142.000 unités de logement pourraient être construites !
Il y a un très important potentiel dans la réserve foncière disponible au Luxembourg. Face à la hausse des prix, mobiliser ces centaines d’hectares de terrains constructibles est une priorité politique de premier ordre. Il y a des instruments pour ça. Mais aussi des mentalités à bousculer.
Le remembrement ministériel, l’impôt foncier national de mobilisation, l’appui donné aux communes dans le cadre du Pacte logement 2.0… Ce sont des outils, parmi d’autres, qui vont devoir être activés face à la hausse incessante des prix du terrain, face à la spéculation, face à l’urgence d’une croissance démographique qui se heurte aux soucis majeurs du logement accessible au plus grand nombre...
Car des études le prouvent : les réserves foncières disponibles au Luxembourg ne sont pas négligeables et elles représentent même un fort potentiel pour le logement.
Trois études, dévoilées par les ministres du Logement et de l’Aménagement du territoire, explorent ce potentiel foncier ainsi que sa répartition au Luxembourg. Et elles montrent les grandes capacités de développement de logements au sein même des périmètres de construction.
3750 hectares sur 89 communes
Ainsi, sur le territoire des 89 communes analysées, la réserve foncière disponible à l’habitat représente quelque 3750ha. On estime que cela permettrait de créer environ 142.000 unités de logement, soit de quoi loger plus de 300.000 habitants !
L’outil méthodologique qui met les pieds dans le plat, c’est Raum+, un projet commun du Département de l’aménagement du territoire (DATer), de l’Observatoire du développement spatial et du ministère du Logement, et de l’Observatoire de l’Habitat. L’instrument se veut au service de l’aménagement du territoire et il permet notamment de répertorier les réserves foncières au Grand-Duché, donnant une vue d’ensemble, quantitative et qualitative.
Il se base sur une coopération avec les communes, 89 d’entre elles ayant joué le jeu. Elles ont à leur disposition une plateforme intranet, une base de données géographiques, sorte de cartographie du potentiel foncier. Il s’agit pour la DATer de répondre à trois principaux enjeux de l’aménagement du territoire : orienter et concentrer le développement territorial aux endroits les plus appropriés, procéder à l’observation et au suivi de l’évolution territoriale et veiller à une utilisation rationnelle du sol ainsi qu’à un développement urbanistique concentrique et cohérent.
0,5% des résidents possèdent la moitié du potentiel foncier
Autre constat : cette réserve théoriquement disponible tient dans peu de mains… 0,5% de la population résidente, moins de 3500 personnes physiques, possèdent la moitié de ce potentiel foncier (1 865 hectares). Et, si la part des personnes physiques a baissé de 72% à 64% de la réserve totale, celle des « personnes morales », les sociétés donc, est passée de 15 à 20%.
L’analyse a été poussée plus loin : le regroupement de sociétés détenues par les mêmes personnes révèle que 10 groupes de sociétés privées détiennent la moitié de la surface constructible pour l’habitat aux mains de l’ensemble des 627 groupes de sociétés. La grande majorité du foncier aux mains de sociétés privées est in fine détenue par des acteurs locaux de l’immobilier.
Dans le même temps, les acteurs publics tentent de grignoter du terrain. Entre 2016 et 2020/2021, la part du foncier à vocation résidentielle détenu par les acteurs publics et parapublics (État, communes, Fonds publics) a augmenté de près de 2%, passant à 13,5%.
Limiter la consommation du sol
Ces analyses constituent une base précieuse pour l’élaboration de stratégies de développement territorial et de mesures ciblées pour mobiliser les potentiels urbanisables. Il s’avère que 5018ha sont utilisables, dont 64% en zones d’habitation (10% en zones mixtes et 15% en zones industrielles et commerciales).
Même s’il existe des déséquilibres entre certaines régions à développer et les communes endogènes, la conclusion de cette analyse, tirée par le ministre Claude Turmes, est assez frappante :
« Il n’est pas nécessaire d’agrandir les périmètres de construction »
« Nous devons limiter la consommation de nouveau sol et la fragmentation du paysage, protéger la biodiversité et les terres agricoles et viser une utilisation optimale des services et infrastructures et une diminution des coûts de viabilisation et d’infrastructure technique. Cette démarche s’inscrit clairement dans l’objectif principal de l’aménagement du territoire : préserver la qualité de vie des citoyens sur l’ensemble du territoire en favorisant aussi bien la cohésion territoriale que sociale ».
L’analyse sera complétée avec les 13 communes restantes et le développement de Raum+ sera poursuivi avec le recensement du potentiel de densification et de renouvellement urbain, notamment sur les friches, afin de réduire, si possible à néant, l’artificialisation du sol.
Trop réticents à construire
La Note 28 de l’Observatoire de l’habitat s’attache quant à elle aux effets sur les prix de vente des terrains à bâtir. L’indice des prix du foncier résidentiel montre une augmentation d’environ +7,9% en moyenne annuelle entre 2010 et 2020, avec une forte accélération (16,9%) entre 2019 et 2020. Ces évolutions des prix des terrains sont cohérentes avec celles observées sur les prix des logements (anciens ou en construction), mais l’augmentation des prix des terrains est tendanciellement plus forte. Ceci suggère que c’est la hausse des prix des terrains à bâtir qui explique en grande partie l’évolution des prix des logements, alors que les coûts de construction n’avaient que modérément augmenté jusqu’en 2020.
Et la Note 29 de l’Observatoire de l’habitat va plus loin, avec le programme Raum+ comme point de départ… Les particuliers seuls pourraient construire près de la moitié des logements potentiels sur leurs terrains, mais sont les plus réticents à construire. À l’opposé, les Fonds publics et les acteurs de l’immobilier (seuls) affichent selon les estimations des communes un haut niveau d’intérêt pour le développement. De façon générale, ces analyses montrent qu’un nombre important de logements pourrait être construit relativement rapidement par leurs propriétaires privés.
Si la construction de tous ces logements potentiels était effectivement démarrée dans les 5 prochaines années, cela mènerait à un quasi doublement des logements produits par année à moyen terme et à la création de quelque 20.000 logements supplémentaires.
Le projet Raum+ fournit des informations essentielles pour agir et mettre au point des stratégies de développement et des mesures ciblées pour mobiliser les réserves. En effet, vu le besoin urgent en logements abordables et le potentiel foncier destiné au logement disponible, il est capital de mobiliser rapidement ces terrains.
Plusieurs outils doivent permettre d’y arriver, comme le Pacte Logement 2.0, l’article 29 bis de la loi sur l’aménagement communal qui prévoit un mécanisme permettant la cession à la main publique de 10 à 20% de surfaces constructibles, le remembrement ministériel, en cours d’instance (instrument censé permettre de développer des projets de construction, au cas où un propriétaire bloque ce projet) ou encore la création d’un impôt foncier national destiné à la mobilisation des terrains constructibles.
« Il est aussi essentiel de parvenir à un changement de mentalité dans la société luxembourgeoise.
« La propriété privée ne doit pas alimenter la flambée des prix du logement au détriment de l’accès au logement abordable pour une grande partie de la population. »
Je rappelle que 21.000 ménages dépensent plus de la moitié de leur revenu pour le logement. Voilà pourquoi les investissements élevés dans la création massive de logements abordables publics sont prioritaires, et pour cela la mobilisation des terrains constructibles est primordiale ! », conclut Henri Kox, ministre du Logement.
Alain Ducat