GIEC : les experts de l’environnement
Andrew Ferrone, chargé de recherche en climatologie et membre de la délégation luxembourgeoise lors des sessions plénières du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), nous entraîne dans les coulisses de cette organisation intergouvernementale.
Fondé en 1988 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), le GIEC est un organisme intergouvernemental qui a pour mission de rassembler l’ensemble des publications scientifiques concernant le changement climatique pour les mettre dans un rapport d’évaluation, aujourd’hui devenu assez conséquent (2.000 pages, soit 4,5kg, rien que pour le rapport du premier groupe de travail). Véritable bible du climat regorgeant de détails, « ce rapport, rédigé par des scientifiques pour des scientifiques constitue une base de travail importante », assure Andrew Ferrone. Chargé de recherche en climatologie au CRP-Gabriel Lippmann, ce jeune scientifique luxembourgeois de 31 ans compte déjà de nombreuses séances plénières du GIEC à son actif.
Convaincu qu’il est absolument nécessaire d’« expliquer de façon aussi transparente que possible les conclusions du rapport afin de sensibiliser au mieux » le grand public, pour Infogreen, le chercheur livre quelques clefs pour découvrir le GIEC.
De 2.000 à 30 pages
Publié à l’attention de ceux que l’on appelle les « décideurs politiques », le désormais célèbre “Rapport du GIEC“ n’est pas le premier ouvrage de 2.000 pages cité plus haut. En effet, sur base de cette première “bible“, un « résumé technique » d’une centaine de page est rédigé. Gardant un aspect scientifique, ce premier résumé servira de support de travail pour les scientifiques de chaque groupe de travail (lire plus bas). De cette centaine de pages, une nouvelle synthèse, contenant des termes plus “vulgarisés“ voit le jour. De 2.000 pages pour le texte scientifique, le rapport se réduit à une trentaine de pages pour devenir le « résumé pour décideurs ». Enfin, un résumé encore plus court est réalisé. De seulement deux pages, ce dernier livret reprend les principales conclusions du résumé pour décideur. Lors des plénières du GIEC, c’est le résumé pour décideurs qui est approuvé.
Ouvertes à tous les pays membres de l’OMM et du PNUE, soit entre 110 et 120 délégations venues du monde entier, ces plénières ont pour but se mettre d’accord sur le contenu du “Rapport du GIEC“ tel qu’on le connaît tous. Durant ces plénières, chaque ligne, chaque mot doit être approuvé… par consensus ! « Il y a des phrases sur lesquelles on peut passer des heures », témoigne Andrew Ferrone en se remémorrant des nuits entières passées à se mettre d’accord. Lors de ces plénières, il faut savoir que ce sont les auteurs (donc les scientifiques) qui ont toujours le dernier mot. « Lorsqu’une proposition est émise pour remplacer tel ou tel mot, c’est toujours aux scientifiques de décider si, oui ou non, le nouveau terme proposé reflète bien leurs propos originaux. S’ils considèrent que ce n’est pas le cas, alors la proposition n’a aucune chance de passer ! »
En octobre 2014, un dernier « rapport de synthèse » sera négocié et publié à Copenhague. Il s’agit d’un résumé des trois rapports pour décideurs et il s’intéresse aux questions qui combinent les trois groupes de travail.
Constat-comparaison-projections
Les groupes de travail, justement, parlons-en ! Au nombre de trois, chaque groupe répond à une tâche bien précise. Dans le premier, davantage concentré sur « l’aspect physique de la problématique », on constate les changements climatiques. En clair, on dresse un état des lieux des changements climatiques actuels, puis on les compare aux changements précedents avant de réaliser une projection future du système climatique. Ce sont les fameuses “projections du GIEC“.
Le second groupe de travail s’intéresse aux impacts sur les systèmes naturels et anthropiques. Quelle est la vulnérabilité de ces systèmes ? Quelles sont les possibilités d’adaptation ? Le tout à peu près sur le même modèle que pour le premier groupe : d’abord le constat actuel, la comparaison avec les précédents, puis les projections.
Enfin, après avoir ainsi constaté que le changement climatique était une réalité aussi bien aujourd’hui que dans les années à venir, le troisième groupe examine des moyens de limiter les émissions de gaz à effet de serre et du prix que cela va coûter.
Informer, juste informer
Pour Andrew Ferrone, le GIEC est un outil idéal d’intéractions entre la politique et la science dont l’une des forces principales est de réussir à s’éloigner de toutes obligations politiques.
Quant aux doutes de certains climatosceptiques, Andrew Ferrone aime à rappeler que les groupes de travail sont composés d’environs 300 scientifiques, soit une large partie de la communauté. Et s’il y a toujours des incertitudes, car « tout processus scientifique doit toujours remettre en cause ce qui existe », le chercheur indique que le GIEC a toujours inclus ces doutes dans ses rapports.
Pour terminer, le scientifique se hâte de rappeler la devise du GIEC, « entendue des centaines de fois lors des plénières » : « Le GIEC informe les décideurs, mais ne prescrit pas de mesures à prendre ». Répétée tel un mantra, cette simple phrase résume le rôle du GIEC : observer les maux que l’on inflige à notre planète sans émettre de recommandations. « Le GIEC explique juste que, si on veut limiter le changement climatique à X°, il faut réduire les émissions de Y%. Ensuite, les décisions, c’est aux gouvernements de les prendre. Des décisions basées, on l’espère en tout les cas, sur le rapport du GIEC. » Nous aussi, on l’espère !
Photo ©UN Photo / Debebe Eskinder