1,1 million d’habitants
Selon les derniers chiffres du Statec, le Grand-Duché compte actuellement 576.200 habitants, dont presque 47 % de citoyens étrangers.
En annonçant le 27 avril dernier qu’il allait porter son objectif budgétaire à moyen terme (OMT) de 0,5 % à -0,5 % du PIB, le gouvernement a implicitement fait savoir qu’il misait sur une croissance forte et continue de la population pour garantir la viabilité de ses finances publiques et respecter les règles de bonne gouvernance budgétaire prévues par le Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance et la législation nationale en découlant.
Cette adaptation est licite puisqu’autorisée par la Commission européenne qui concède au Luxembourg une marge de manœuvre accrue pour la fixation de son OMT au vu des projections démographiques récentes, une évolution qui lui aurait notamment permis de réduire le coût du vieillissement et le risque lié aux pensions. Le raisonnement de la Commission est somme toute simple et d’ordre purement mécanique : si la population – et, de manière sous-entendue, l’économie et le marché du travail du Luxembourg – continue à croître au rythme appuyé des dernières années d’ici 2060, le pays ne devrait pas rencontrer de difficultés budgétaires majeures pour financer son modèle économique et social actuel. Il faut cependant savoir que la Commission part d’une hypothèse de dette publique tendant vers 60 % du PIB pour établir l’OMT du Luxembourg à -0,5 %, alors que le gouvernement a annoncé viser un objectif de 30 %. Selon les calculs du Conseil national des finances publiques, l’OMT du Luxembourg devrait être au minimum de 0,25 % afin de pouvoir prétendre atteindre à l’horizon 2060 cet objectif de 30 % du PIB en matière de dette publique.
On peut donc s’étonner que le gouvernement ait de si bon gré accepté la proposition de la Commission à revoir son OMT vers le bas. Car en acceptant un OMT de -0,5 % du PIB, le gouvernement accepterait non seulement de tendre implicitement vers une dette publique de 60 % du PIB, mais accepterait aussi ouvertement le scénario d’une augmentation de la population résidente à 1,1 million à l’horizon 2060. Cette décision est d’autant plus étonnante qu’elle mise sur une croissance soutenue mais non soutenable, qui est en contradiction flagrante avec l’objectif de développement durable inscrit dans le programme gouvernemental, voire même avec les ambitions affichées en matière de promotion d’une économie circulaire, une économie qui miserait donc davantage sur une croissance intensive basée sur des gains de productivité plutôt que sur une croissance numérique des facteurs de production. Passer à une nation de 1,1 million d’habitants signifierait qu’en matière de densité de population le Luxembourg passerait d’actuellement 200 habitants/km2 à quelque 400 habitants/km2. Les défis en matière d’aménagement du territoire, d’adaptation du système d’éducation (la majorité des habitants serait alors d’origine étrangère), de logement, d’intégration sociale, d’assurance-santé, de transport et de mobilité en découlant seraient gigantesques. Sans parler de la question de la représentation démocratique d’un pan désormais majoritaire des citoyens du pays, qui ne pourrait plus être éludée.
Après la baisse progressive des ambitions de consolidation du gouvernement – l’effort d’assainissement de 1,5 milliard d’euros d’ici 2018 inscrit dans le programme gouvernemental de fin 2013 avait déjà été réduit à 874 millions d’euros d’ici 2020 (desquels il faut encore déduire quelque 110 millions d’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire) dans son programme de stabilité et de croissance 2016-2020 –, l’on est en droit de s’interroger sur les raisons de ce nouveau revirement de politique budgétaire, un revirement qui semble faire fi des principes de prudence, de durabilité et de responsabilité intergénérationnelle. Aurait-il été tout à fait inconcevable d’utiliser au moins une partie de la marge de manœuvre budgétaire retrouvée pour approvisionner davantage le fonds souverain intergénérationnel ? La force symbolique d’une telle décision aurait été forte, tout comme elle l’aurait été si le Luxembourg – malgré une relative embellie conjoncturelle - avait visé, sinon un excédent, du moins un équilibre en termes d’objectif budgétaire à moyen terme.
Par Patrick Ernzer Rédacteur en chef
Source : Edito du MERKUR Mai-Juin 2016 - www.cc.lu/uploads/tx_userccmerkur/MERKUR_3_2016.pdf