Accents durables dans une logique de crise
« Une approche réaliste, solidaire et responsable » pour le budget de l’État. Une « prise de responsabilités » selon le discours sur l’état de la Nation. Le gouvernement entend faire face à « un monde sens dessus dessous » et assurer la résilience du pays.
« C’est la pire crise que notre pays, voire tout le continent européen, ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale ». En ouvrant son « discours sur l’état de la Nation » de la sorte, le Premier ministre Xavier Bettel donnait des accents particulièrement dramatiques à la situation. La suite de sa déclaration de rentrée politique, et la présentation globale du budget qui l’a suivie, par la ministre des Finances, a tenté au contraire de démontrer que le gouvernement tenait le cap pour veiller sur le pays, sur ses citoyens et sur leur avenir respectif et commun, dans une quête ordonnée et financée de la résilience durable.
Faisant le tour de la question géopolitique du moment, le Premier ministre confirme au passage une annonce stratégique : « Le nouveau fonds d’innovation de l’OTAN aura son siège à Luxembourg. Doté d’un capital d’un milliard de dollars, ce fonds investira dans des startups qui développent des technologies dans les domaines du cyberespace, de l’espace, de l’intelligence artificielle et de l’environnement. Ces technologies pourront ensuite être utilisées aussi bien dans le domaine civil que militaire ».
Citant tour à tour les cyber-menaces et la défense des sites vitaux et infrastructures critiques, le Premier ministre glisse assez naturellement vers une des conséquences de la guerre en Ukraine, la crise énergétique. Et profite de l’occasion pour « remercier les nombreux citoyens et entreprises qui participent à la campagne d’économie d’énergie. Leur engagement nous aide à passer l’hiver dans de bonnes conditions et à éviter les pénuries de gaz et d’électricité. Nous sommes sur la bonne voie pour économiser 15 % de notre consommation. C’est un effort énorme de la part de nombreux acteurs de notre société. Nous assumons ensemble la responsabilité de notre sécurité d’approvisionnement ».
Climat et énergie : montrer l’exemple
Et dans la foulée, il rappelle les « paquets d’aides historiques d’un montant total de 2,5 milliards d’euros pour soutenir financièrement ceux qui souffrent le plus de la situation actuelle (…) Depuis la pandémie, nous avons versé 5,5 milliards d’euros d’aides directes et indirectes aux personnes et aux entreprises. Ce montant extraordinaire est non seulement impressionnant dans la comparaison internationale, mais peut être considéré comme sans précédent en Europe ».
Rayon énergie, le Luxembourg soutient l’idée d’un plafonnement européen des prix des importations de gaz et d’une taxe sur les bénéfices excédentaires « que les producteurs d’énergie n’auraient pas réalisés sans la crise actuelle ».
Et d’enchaîner : « Le changement climatique reste la menace la plus importante et la plus imminente pour l’humanité. Nous faisons partie des pays du monde qui émettent le plus de CO2 et consomment le plus de ressources précieuses. Nous devons montrer l’exemple aux autres pays en matière de politique climatique ».
Le gouvernement a mis en place une task-force qui devra coordonner les travaux nécessaires pour intégrer les propositions du Klima-Biergerrot dans le plan en matière d’énergie et de climat. Le gouvernement a demandé un débat de consultation à la Chambre des députés pour la fin de ce mois, qui devra valider ce projet participatif.
« Les énergies renouvelables sont un élément important de la protection du climat mais aussi de notre sécurité d’approvisionnement nationale. Nous avons plus que doublé la production d’énergie renouvelable au cours des 6 dernières années. Nous constatons un succès particulier dans le domaine des systèmes d’énergie solaire. L’année dernière, nous avons installé 15 fois plus d’unités qu’en 2016. En juillet cette année, nos installations photovoltaïques ont produit deux fois plus d’électricité qu’au cours du même mois de l’année précédente. Nous avons triplé la production d’énergie éolienne au cours des 6 dernières années. Le Luxembourg participe également à de grands parcs éoliens offshore à l’étranger. Nous venons de signer un accord avec le Danemark afin de sécuriser jusqu’à 4.800 gigawatts d’électricité renouvelable d’ici 2025 ».
Le gouvernement prévoit des efforts supplémentaires dans les mois à venir : + 50% pour la prime au remplacement d’un système de chauffage aux combustibles fossiles, aide aux ménages qui chauffent aux pellets, aides « Klimabonus » augmentées de 25%, introduction d’un fonds obligatoire pour les copropriétés pour des rénovations notamment énergétique, TVA à 3% pour les nouvelles installations photovoltaïques…
« Souvent, ce qui est bon pour le climat est aussi bon pour le porte-monnaie (…) Nous sommes convaincus qu’une politique durable se caractérise par des mesures écoresponsables et socialement inclusives. Nous ne laissons donc personne de côté dans le cadre de la transition énergétique. La politique énergétique est aussi une politique sociale ».
Autre exemple annoncé : « Le gouvernement introduira l’obligation d’installer un système photovoltaïque sur le toit entier de chaque nouvelle construction. L’État prendra en charge le coût des installations photovoltaïques des personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas se permettre cet investissement. Dès que l’État aura récupéré les coûts induits par la production d’électricité, il offrira l’installation au propriétaire ».
Les coûts = des investissements
Cela n’aura aucun impact sur le budget à moyen et long termes, promet le Premier ministre. « C’est une initiative win-win-win. Les citoyens bénéficient à long terme d’une centrale photovoltaïque entièrement financée, l’État atteint plus rapidement ses objectifs climatiques et l’artisanat bénéficie de commandes garanties et d’une certaine prévisibilité pour les prochaines années. Nous ne voyons donc pas cette initiative comme un coût, mais comme un investissement ».
Et les bâtiments publics ? 62 d’entre eux sont actuellement équipés d’une installation PV. D’ici 2026, 10% de la consommation annuelle d’électricité dans les bâtiments publics devrait être couverte par leurs propres installations photovoltaïques.
Et l’électromobilité ? « Rien qu’en juillet de cette année, 690.000 kWh d’électricité verte ont été fournis par les bornes publiques Chargy. Cela correspond à environ 4,6 millions de kilomètres parcourus grâce à l’électricité. D’ici 2025, des bornes de recharge rapides devraient être installées au moins tous les 60 kilomètres sur les autoroutes européennes. Le Luxembourg est pionnier. Les 88 bornes SuperChargy prévues seront toutes installées d’ici la fin de l’année prochaine ».
En 2021, comme les années précédentes, le Luxembourg figure en tête de liste des pays qui investissent le plus par habitant dans leur réseau ferroviaire. Le Premier Bettel parle aussi du tram, des bus électriques, des transports gratuits, du réseau cyclable. Et assure que l’investissement va se prolonger voire s’intensifier.
Idem pour la politique agricole, orientée sur les ressources naturelles. La protection de la nature et de l’environnement en général : l’air, les sols, l’eau, la forêt, les réserves naturelles, la production et la consommation locales…
« Nous ne gagnerons pas la lutte contre le changement climatique sans un énorme effort financier. Oui, une politique climatique efficace coûte cher. Mais il est beaucoup plus coûteux de simplement ne rien faire », résume Xavier Bettel.
Record d’investissements publics
En présentant à la Chambre le projet de budget des recettes et des dépenses de l’État pour l’exercice 2023, la ministre des Finances Yuriko Backes l’a qualifié de « réaliste, solidaire et responsable ; un budget de crise en temps de crises ».
Les paquets de mesures à 2,5 milliards d’euros, soit 3,3% du PIB, constituent une charge considérable pour les finances publiques, tant en 2022 qu’en 2023. « Mais le budget 2023 mise résolument sur une politique d’investissement ambitieuse qui vient améliorer la compétitivité de l’économie luxembourgeoise et qui contribue à accélérer la transition climatique et numérique. Le budget 2023 a également pour objectif de renforcer la cohésion sociale et le pouvoir d’achat des ménages, tout en adressant le défi structurel du logement ».
Cela se traduit par des accents budgétaires chiffrés et souvent ambitieux.
La composante sociale représente 47% des dépenses totales (prestations sociales, subsides, subventions et transferts à la Sécurité sociale).
Le développement du logement abordable constitue l’une des priorités du gouvernement. Les moyens budgétaires du ministère du Logement seront de nouveau renforcés en 2023, pour atteindre 282 millions d’euros, tandis que le budget du Fonds spécial de soutien au développement du logement sera porté à 192 millions d’euros.
Pour sa politique d’investissement durable, le gouvernement atteint un nouveau record : 3,8 milliards d’euros en 2023, soit 4,6% du PIB, investis dans un ensemble de projets dans les domaines de la mobilité, de l’éducation, de la santé et des infrastructures. Les investissements environnementaux et climatiques représentent à eux seuls 1,2 milliard d’euros en 2023.
On peut noter aussi que le Luxembourg consacre toujours 1% de son revenu national brut (RNB), soit 544 millions d’euros, à l’action de la coopération luxembourgeois en faveur des pays les plus vulnérables.
Dans ce budget 2023, les recettes totales se montent à 24,5 milliards d’euros, contre 27,3 milliards de dépenses. « Face à l’ampleur de la crise, l’Administration centrale affichera ainsi un déficit de 2,8 milliards d’euros ». Quant à l’Administration publique – qui englobe l’Administration centrale, les administrations locales et la Sécurité sociale dans son ensemble -, le solde pour 2023 s’établira à -1,8 milliards d´euros.
« Le Luxembourg continuera à respecter le seuil de 30% du PIB, avec une dette qui s’établira à 26,3% du PIB en 2023. Hors financement des mesures de crise (COVID et énergie), l’endettement public du Luxembourg se situerait en 2023 à 19,7% du PIB », commente Yuriko Backes.
Alain Ducat
Photos / Illustrations : SIP (c) Julien Warnand / MFIN