Acheter est un acte militant
Nos achats ne sont pas anodins. Chacun d’entre eux a des répercussions économiques, environnementales et sociales. Nos choix de consommation influent donc sur le monde qui nous entoure et ils sont le moyen le plus efficace pour faire entendre notre voix en tant que citoyen lambda.
Force est de constater que de nos jours en Europe, nous avons tous un fâcheux penchant à acheter tout et n’importe quoi. L’essentiel, mais surtout le superflu. De manière presque compulsive. On amasse, on entasse, puis, très vite, on se débarrasse. C’est tellement facile que la tentation en devient irrésistible. Tout est à notre portée, il suffit de tendre la main : des fraises au cœur de l’hiver, des bananes qui ont parcouru des milliers de kilomètres pour rejoindre nos assiettes, des nouvelles collections de vêtements tous les 15 jours… sans parler des smartphones et autres produits gris qui sont obsolètes au bout de quelques mois tant la vitesse de progression de la technologie est fulgurante. Le tout, bien sûr, à prix cassé. Pour le prix d’un livre, on peut aujourd’hui acheter une nouvelle table basse et pour le prix d’un plein d’essence, on peut voyager à l’autre bout du monde.
Et aujourd’hui, on ne répare plus, on jette. Il faut dire qu’on nous y encourage : quand bien même nous trouverions le temps de bricoler nous-mêmes, ce qui est peu probable vu le rythme effréné auquel nous vivons, trouver la pièce qui manque relève du parcours du combattant. Le cas échéant, trouver quelqu’un qui accepte de le faire à notre place, sans nous demander l’équivalent ou presque du prix de l’objet en question, n’est pas une mince affaire. Au final, racheter demande moins d’investissements si on met dans la balance l’argent et les efforts fournis. Pour y remédier, dans certains pays, on prend le taureau par les cornes. C’est le cas de la Suède qui a divisé par 2 son taux de TVA (qui s’élève tout de même à 25 %) sur la main d’œuvre et les pièces détachées dans le cadre de réparations. Si cette initiative mérite d’être saluée, reste à voir si elle atteindra les résultats escomptés. Au Luxembourg, le ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs a lancé une campagne contre le gaspillage alimentaire, l’alimentation étant le poste de gaspillage par excellence car 1/3 de la nourriture produite passe à la trappe.
Cette intensification de la consommation induit l’intensification de la production ce qui n’est pas sans conséquences pour l’environnement, pour la santé humaine et pour les conditions de vie de toutes les parties prenantes de la chaîne de production et de commercialisation. Comme le souligne un article du site Web The Conversation repris dans ce dossier, notre soif de goûts inédits et de nouvelles expériences alimentaires nous mène tout droit à de véritables désastres écologiques. La demande pressante en avocat, ail, piment, soja et maïs par exemple, dont la production et le commerce dépendent exclusivement de certaines régions du monde, met l’environnement à rude épreuve. Ajoutons à cela la pression que nos comportements d’achats génèrent sur les producteurs, donc sur la main-d’œuvre, et on ne peut que déplorer que l’aspect sociétal en pâtisse largement lui aussi.
Les corollaires de nos comportements sont multiformes : déforestation, épuisement des sols, saturation des sols et des eaux en intrants chimiques, pollution de l’air liée au transport sur de (trop) longues distances, maltraitance animale, agriculteurs, producteurs et travailleurs sous-payés, conditions de travail dégradées… on empoisonne l’air en transportant, on empoisonne les sols et les nappes phréatiques en produisant, on exploite les pays pauvres, on contribue à l’appauvrissement voire à la disparition des entrepreneurs et des salariés des pays riches, on nuit à notre santé en nuisant à celle de la planète, on traite les animaux comme une matière première inerte... La liste est longue. Ne vaudrait-il pas mieux prendre du recul et consommer consciemment ? En tant que consommateurs, nous avons ce pouvoir de refuser certaines pratiques et d’encourager une production plus responsable car, finalement, on nous sert ce que nous voulons bien acheter.
Tout espoir est permis : une étude publiée par le site Web The Conversation, à lire plus loin, a révélé que 56 % des 3.000 personnes interrogées dans 4 pays européens achèteraient plus volontiers un produit qui a une durée de vie supérieure à celle de ses concurrents. Ceci démontre que l’obsolescence programmée sera peut-être, elle aussi, bientôt obsolète.
Au-delà de telles informations, ce dossier vous donnera aussi quelques tuyaux pour parvenir à mieux consommer. Vous y retrouverez l’association SOS Faim qui, dans le cadre de sa campagne intitulée Changeons de menu, propose un calculateur d’empreinte alimentaire et une application mobile permettant de comprendre pourquoi et comment changer de menu en 10 conseils pratiques. Un de ces conseils et sans doute le 1er à suivre est de consommer avec sobriété. Se poser des questions : en ai-je vraiment besoin (ou bien, ai-je déjà 5 chemisiers similaires dans ma garde-robe ?) Aurais-je le temps de le cuisiner, l’occasion de le consommer ? Et commencer par acheter moins.
Ensuite, acheter solidaire. Acheter Faitrade, par exemple, pour favoriser un équilibre économique plus juste entre pays du Nord et pays du Sud. À quelques semaines de l’orgie annuelle de chocolat, Fairtrade Luxembourg nous présente sa prochaine campagne sur le cacao, une véritable drogue douce pour nous Européens, mais qui peut virer à l’amer quand on sait qu’il est souvent produit par des enfants, parfois très jeunes, qui travaillent dans des conditions d’insécurité déplorables. Pourquoi ne pas faire un acte doublement solidaire en choisissant cette année d’offrir des figurines en chocolat Fairtrade fabriquée par les ateliers du Tricentenaire et permettre ainsi à des personnes souffrant de handicap de trouver leur place dans la société ?
Acheter local aussi. On trouve des produits locaux dans de nombreuses boutiques dont Eis Epicerie à Soleuvre, une épicerie solidaire qui a de multiples ambitions : remettre le pied à l’étrier à des demandeurs d’emploi, favoriser la création de richesses locales, permettre aux consommateurs lambda comme aux bénéficiaires de l’Office social d’acheter au même endroit sans stigmatisation, proposer des produits de qualité, dont les matières premières ont été cultivées ou élevées de manière saine et dans un rayon géographique limité et limiter les emballages.
Acheter sans emballages enfin. Est-il vraiment nécessaire d’enrober 125 g de yaourt dans un emballage plastique et alu, doublé d’un superbe packaging tape-à-l’œil réalisé dans un épais carton couvert d’une brillante pellicule de vernis ? Ce yaourt n’aurait-il pas la même saveur dans un contenant moins glamour ? C’est en tous cas la vocation de l’épicerie OUNI qui va très bientôt ouvrir ses portes quartier gare que de nous proposer une solution alternative : celle d’emporter nos propres bocaux et sachets pour acheter la quantité de nourriture adaptée à nos besoins.
Adopter finalement la philosophie du mouvement Slowfood qui lutte contre la « malbouffe » en prônant de consommer « bon, propre et juste ».
En entreprise aussi, il est possible de mieux faire et c’est le rôle d’IMS Luxembourg que d’accompagner les chefs d’entreprise et de département volontaires dans une telle démarche qui commence par un état des lieux, la fixation d’objectifs concrets et la définition d’un plan d’actions. Leur rôle n’est pas négligeable quand on sait qu’elles consacrent les 2/3 de leur chiffre d’affaires à leurs achats. Pour illustrer par l’exemple le fait qu’avec un peu de volonté on peut y arriver, notre partenaire Ramirez Data a accepté de nous expliquer sa politique interne en la matière.
Découvrez le dossier du mois « Moins consuméristes, plus consommactifs ! »
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Mélanie Trélat