Alerte sur les mélanges de perturbateurs endocriniens pendant la grossesse
Une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Inserm au sein de l’Irset « Institut de recherche en santé, environnement et travail »(1) montre pour la première fois chez les humains que l’exposition simultanée à des molécules potentiellement perturbatrices endocriniennes exacerbe les effets observés lorsque l’exposition est réalisée avec les molécules indépendamment les unes des autres.
Cette étude s’est principalement intéressée au testicule fœtal humain avec des conséquences éventuelles sur le développement du système reproducteur, les molécules sélectionnées inhibant toute production de testostérone. Ces résultats sont publiés dans Environmental Health Perspectives.
L’utilisation accrue de nouveau matériaux, produits, procédés industriels/agricoles caractéristiques du mode de vie « moderne » a conduit à une contamination des environnements (domestiques, professionnels, alimentaires…) par de multiples molécules chimiques. Plusieurs d’entre elles ont été identifiées comme exerçant des effets perturbateurs endocriniens, et plus particulièrement comme anti-androgènes (= anti-testostérone). Il apparaît désormais clair, que continuer à focaliser les recherches sur ces produits chimiques « individuels » est de nature à sous-estimer le risque lié à leurs expositions simultanées, particulièrement chez les femmes enceintes.
Des preuves expérimentales, notamment sur différentes espèces animales et sur des lignées cellulaires en culture, étayent la notion « d’effet mélange » souvent aussi appelé « effet cocktail ». Toutefois, et paradoxalement au vu des enjeux pour la santé humaine, la preuve de concept de l’existence de ces « effets cocktails » n’a pas encore été apportée chez l’homme. Les auteurs de ce nouvel article ont développé des modèles de prédiction mathématique de ces effets combinés à partir des profils toxicologiques individuels des molécules). Ces modèles mathématiques sont la première étape pour l’évaluation du risque lié à l’exposition à des mélanges de perturbateurs endocriniens chez l’Homme, et en particulier ici la femme enceinte. Le travail réalisé avait un double objectif :
- élargir le répertoire des molécules aux propriétés perturbatrices endocriniennes chez l’Homme ;
- vérifier l’adéquation de données expérimentales des mélanges aux prédictions mathématiques.
Les chercheurs de l’Irset – avec l’appui de collègues du CHU de Rennes, et du Pr Andréas Kortenkamp et le Dr M Scholze de l’Université de Brunel à Londres, ont mis en œuvre une démarche expérimentale inédite et ont ainsi ciblé 27 molécules, comportant 7 médicaments, 14 molécules chimiques d’usage industriel (pesticides…) et 6 molécules dites socio-culturelles (alcool, caféine…). Onze molécules aux propriétés perturbatrices endocriniennes ont alors été identifiées, dont certaines pour la toute première fois chez l’homme.
À partir de ces 11 molécules, quatre mélanges ont été conçus et testés sur le testicule fœtal humain. Les résultats expérimentaux de ces mélanges corroborent les prédictions mathématiques élaborées, pour un nombre de composés supérieur à 3. Ceci démontre d’une part, que le modèle établi par les auteurs de l’article est capable de mettre en évidence, pour la première fois sur un organe humain, des effets cocktails et, d’autre part, que les effets combinés observés sont mathématiquement prédictibles.
Enfin, les auteurs de cet article ont pu quantifier l’exacerbation des effets individuels de chacune des molécules mélangées. En d’autres termes, à la question : « combien de fois la molécule est plus puissante en mélange que lorsqu’elle est seule » ils ont pu apporter la réponse que cette exacerbation varie d’un facteur 10 à 1.000 en fonction de la molécule considérée.
Pour Bernard Jégou, directeur de l’Irset, chercheur Inserm, directeur de la recherche de l’École des Hautes Études en Santé publique et coordinateur de cette étude, Pierre Gaudriault, pharmacien et docteur de l’université de Rennes 1, et Séverine Mazaud-Guittot, chercheuse Inserm, les conclusions de ce travail soutenu par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) sont à prendre au sérieux :
« Il existe une fenêtre de sensibilité bien précise au cours du 1er trimestre de développement du fœtus pendant laquelle l’exposition simultanée à des doses faibles de plusieurs perturbateurs endocriniens, laisse entrevoir un risque pour le futur appareil génital et reproducteur de l’enfant. Ceci est d’autant plus préoccupant que les exacerbations des effets individuels de telles molécules peuvent aller jusqu’un facteur 1.000. Tous les faisceaux d’indices expérimentaux provenant de différents modèles, convergent vers ces mêmes conclusions. À partir de cette preuve de concept expérimentale, il s’avère indispensable d’intensifier la recherche pour caractériser les mélanges réels auxquels les individus sont exposés et en tester les effets sur des modèles appropriés. ».
Note :
(1) Institut de recherche en santé, environnement et travail ; Inserm ; Ecole des hautes études en santé publique, Université de Rennes 1.
Communiqué par l’INSERM