Alimentation, production, conditions et consomm’action
Pas de transition écologique, économique et sociétale sans appréciation des coûts cachés. Et si on cherchait à connaître le « prix juste » des aliments pour changer de modèle ?
« On estime qu’environ un quart de l’empreinte écologique d’un Luxembourgeois est dû à ses habitudes alimentaires. En particulier, notre forte consommation de viande, de produits laitiers, de sucre et de produits riches en graisses consomme beaucoup d’énergie et détruit des écosystèmes précieux, souvent au détriment des conditions de vie des populations du Sud », explique Danielle Bruck, du département « Information et Sensibilisation » chez SOS Faim Luxembourg.
Clairement, la transition, écologique, économique, sociétale, passe par une appréciation des coûts cachés de l’alimentation, bases d’une réflexion pour devenir des « consomm’acteurs ». « Si nos habitudes alimentaires actuelles ne changent pas, on estime que les coûts de santé liés à l’alimentation et les coûts sociaux des émissions de gaz à effet de serre associées à nos habitudes alimentaires actuelles dépasseront 2 000 milliards d’euros par an d’ici 2030 ».
Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation et membre de SOS Faim, explique : « On dit que le système alimentaire industriel fournit des aliments bon marché aux ménages pauvres, mais cette affirmation est trompeuse. En fait, il s’agit d’une forme d’alimentation très coûteuse, qui a surtout de nombreux impacts négatifs sur l’environnement. Les coûts sociaux, environnementaux et sanitaires ne sont pas inclus dans le prix que le consommateur paie au supermarché. Qui supporte donc ces coûts ? C’est aux générations futures, aux contribuables, de régler les problèmes de ce type de production et de consommation ».
Changer de menu…
SOS Faim a lancé sa campagne « Changeons de Menu » en 2015, avec 10 gestes simples et quotidiens en exemple, et un objectif affiché : « sensibiliser les consommateurs luxembourgeois aux conséquences que nos habitudes alimentaires peuvent avoir sur notre planète et ses habitants, et ainsi inciter les consommateurs à changer et à consommer plus consciemment ». Quelques années plus tard, les défis demeurent. « Les partisans de l’agriculture industrielle prétendent toujours produire au moindre coût pour le plus grand nombre de personnes, et les entreprises nous disent combien elles sont respectueuses de l’environnement, même s’il n’y a généralement pas grand-chose derrière. Pire encore, en leur offrant plus de choix, de nombreuses entreprises tentent simplement de rejeter la responsabilité sur les consommateurs ».
La consommation consciente peut être très fastidieuse - parcourir les listes d’ingrédients, regarder d’où viennent les différents produits, identifier les conditions dans lesquelles ils ont été produits... – et les promotions, remises, emballages, positionnement en magasin… compliquent encore la tâche. « Le pouvoir économique se concentre entre les mains d’un petit nombre de sociétés transnationales, qui sont en mesure d’exercer une influence démesurée sur les politiques et de prendre des décisions clés concernant nos systèmes alimentaires, comme la nature des aliments produits, la manière dont ils sont produits, le lieu où ils sont produits, les personnes qui les produisent et celles qui les consomment ».
… et de paradigme
Le système peut marginaliser et appauvrir davantage les petits acteurs agricoles, perturber les circuits traditionnels de commercialisation des aliments locaux… « Les aliments sains et frais coûtent en moyenne près de 5 fois plus cher que des aliments transformés, et sont donc inabordables pour de nombreuses personnes. Les chaînes de valeur alimentaires mondialisées nous maintiennent, en tant que consommateurs, dans une certaine dépendance vis-à-vis de l’alimentation industrielle ».
Pour SOS Faim, c’est clair : « Le droit à l’alimentation saine et digne est un droit de l’homme, que nous produisions notre propre nourriture ou que nous l’achetions. Cela implique que les États doivent créer un cadre favorable permettant à chaque individu d’avoir un accès illimité à une alimentation quantitativement et qualitativement adéquate pour lui-même et sa famille. La réalisation de ce droit pour tous nécessite donc l’adoption de politiques économiques, environnementales et sociales adéquates, tant au niveau national qu’international. »
Ainsi, nos choix de consommation (produits locaux, saisonniers, issus d’une production durable ou du commerce équitable) peuvent sans doute contribuer à changer les choses. Nous pouvons de plus en plus soutenir les petits producteurs, au Nord comme au Sud, en privilégiant les circuits courts de commercialisation. « Au-delà de nos décisions en tant que consommateurs, nous devons surtout, en tant que citoyens, interpeller la politique, voter pour des personnes et des programmes qui créent des conditions plus favorables à une agriculture familiale durable. Nous pouvons nous engager et, au sein de la société, influencer les conditions-cadres politiques de manière à ce qu’elles deviennent plus justes et permettent à chacun dans le monde de manger à sa faim. Nous avons besoin d’une consommation responsable, mais nous avons d’abord besoin d’une production responsable et durable ! »
Alain Ducat, avec SOS Faim Luxembourg
Photos : SOS Faim
Article paru dans le dossier du mois « Transmission en mouvement »