« Aller beaucoup plus loin dans l'offre de formation »

« Aller beaucoup plus loin dans l’offre de formation »

Les acteurs de l’enseignement et de la formation s’impliquent dans les besoins de compétences et les évolutions sociétales. Entrevue avec le ministre Claude Meisch.

Monsieur Meisch, on a souvent entendu le monde économique dire qu’un enjeu majeur était l’acquisition de nouveaux profils et la rétention des mieux préparés. Les mêmes disent volontiers qu’un « gap » demeure entre la formation et les besoins de terrain. Qu’en penser en 2023 ?

« C’est un constat. Le gap est d’abord mathématique. Le Luxembourg crée environ 13.000 nouveaux emplois par an. Et il y a deux fois plus de postes de travail que d’habitants actifs au niveau national. Or une génération au Luxembourg, cela représente quelque 6.000 personnes. Nous sommes d’emblée, et de façon historique, dans une situation atypique.

Il faut ajouter l’évolution rapide des besoins dans les entreprises, l’évolution des changements sociétaux et des équilibres. Pensons aux nouveaux métiers ou, à l’inverse, aux métiers en profonde mutation, voire en disparition. »

Quels sont les besoins aujourd’hui au Luxembourg ?

« Suite à une décision de la Tripartite en 2021, nous avons, avec le ministère de l’Emploi notamment et sous l’égide de l’OCDE, lancé une grande enquête. L’idée était de faire un véritable audit, avec tous les acteurs impliqués, sur les besoins de compétences. Toutes les chambres et fédérations professionnelles ont participé. Nous devrions présenter un rapport final en ce printemps 2023. L’objectif est évidemment d’aller à la rencontre de ces besoins mieux identifiés. »

Faut-il revoir l’approche de la formation ?

« On a déjà beaucoup investi pour soutenir ou développer la formation initiale et le lifelong learning, les programmes pour la réinsertion, l’inclusion, les enfants, les adultes. Mais à mon avis, il faut aller plus loin et anticiper les grandes tendances, liées aux transitions de la société. On doit développer les mécanismes de cofinancement, de co-formation ou/et de codiplomation, permettre les réorientations et les changements de métiers… Pour cela, il est important d’augmenter l’offre de formation et d’en élargir le spectre, en ciblant les besoins manifestes. »

Peut-on parler de l’évolution de l’enseignement, notamment de l’enseignement supérieur, de la recherche ou de formations qui manquaient au Luxembourg ? L’image classique qui veut que « les Luxembourgeois vont se former hors du pays » disparaît-elle ?

« Je peux toujours encourager les jeunes à aller se former à l’étranger, à aller se frotter aux autres réalités que celles de notre petit pays. C’est toujours un enrichissement. Mais les choses ont beaucoup changé. Jadis, l’enjeu était aussi que ces jeunes formés à l’étranger (re)viennent renforcer les compétences au pays. D’une part, les succès de notre économie continuent d’attirer naturellement des talents de l’extérieur. Et, d’autre part, nous formons de plus en plus ici, au Luxembourg.

L’Université du Luxembourg a 20 ans, elle est encore très jeune par rapport aux grandes institutions mondiales, mais elle est adulte, mature, internationale ; elle a de bons rankings, et c’est une université qui attire. Elle est reconnue pour ses chaires spécifiques, la qualité de ses enseignants et de ses doctorants, dont le nombre augmente sans cesse. C’est une université de recherche et elle bouillonne d’idées. Les collaborations sont orientées résultats, avec les industriels eux-mêmes, avec les centres de recherche du pays, dont nous pouvons être fiers.

Il y a une évolution remarquable dans tous les domaines, et nos lycées se prolongent aujourd’hui de formations appréciées notamment du secteur médical et paramédical, des nouveaux médias, du sport.

Avec toujours cet encouragement à la mobilité des étudiants, dans les deux sens, via les bourses d’études ou les programmes du type Erasmus, cela correspond à la multiculturalité du pays et contribue à son dynamisme et à son attractivité. »

Que manquerait-il ? Et comment y remédier ?

« Répétons-le : plus l’offre de formation sera étendue et ciblée sur les besoins, mieux on avancera. Les tendances sont les mêmes à peu près partout en Europe. On constate un investissement accru dans les sciences et les technologies. + 40 % dans les sciences naturelles ou dans l’ingénierie, + 30 % dans les sciences informatiques… Il y a néanmoins du retard, et nous devons notamment renforcer la promotion des études techniques, liées aux métiers en recherche permanente de main-d’œuvre qualifiée. Cela peut commencer tôt dans l’enseignement, avec une approche plus ludique, une curiosité stimulée, un encouragement à la découverte. Hors du cadre de l’enseignement, des manifestations de sensibilisation ou de vulgarisation comme la Fête des Sciences sont importantes. »

Et donc, toutes les compétences sont importantes et doivent être soutenues ?

« Oui et elles doivent être appréciées en se projetant vers l’avenir. Les soft skills et les sciences humaines y prennent une place majeure. Il semble important de réfléchir à la place de l’être humain dans un monde de machines et d’intelligence artificielle. Je suis convaincu que les capacités humaines sont centrales au 21e siècle. C’est lié à l’éducation à la maison, à l’enseignement, à l’apprentissage d’un ou plusieurs métiers, à la formation tout au long d’une carrière, voire d’une vie. Ce sont les valeurs de la transmission du savoir et de l’expérience entre générations, de la collaboration, de la complémentarité, de l’esprit critique…

Dès l’enfance, on peut encourager la créativité, le talent au service du collectif, le partage de compétences. C’est valable dans tous les domaines, dans le sport ou dans les arts. Par exemple, l’apprentissage de la musique est gratuit et nous en sommes fiers ; c’est une singularité luxembourgeoise et c’est un succès, comme en témoigne le nombre d’inscriptions (+ 12 %) à la dernière rentrée.

Après 9 années dans ce ministère, je pense que nous avons dynamisé le secteur de l’éducation et de la formation en général. Il y a beaucoup d’implication de la part des acteurs du terrain, des contenus pertinents et des méthodes plus flexibles. Un système éducatif peut être une grosse machine. Mais son évolution est évidente dans cette société en mouvement. »

Propos recueillis par Alain Ducat
Photos © Marie Champlon/Infogreen / MESR
Extrait du dossier du mois « Former pour agir »

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Publié le mercredi 8 mars 2023
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