« De la ferme à la table » : hommage à Louis de Funès !
La stratégie européenne propose certaines mesures qui, dit la Chambre des Métiers, méritent d’être critiquées car elles pourraient à la fois induire en erreur le consommateur et porter fortement préjudice aux PME artisanales.
En 2020, la Commission européenne a présenté sa stratégie « De la ferme à la table », une des initiatives clés du « pacte vert pour l’Europe ». En 27 actions à réaliser jusqu’à fin 2023, l’UE a pour but de transformer la manière dont les aliments sont produits et consommés en Europe, afin de réduire l’empreinte environnementale des systèmes alimentaires et de renforcer leur résilience face aux crises, tout en veillant à ce que des aliments sains et abordables soient proposés à la population aujourd’hui et disponibles pour les générations futures.
Si les grandes lignes de la stratégie, notamment la lutte contre le changement climatique et la volonté d’améliorer l’accès de la population à une alimentation équilibrée, sont parfaitement recommandables, certaines mesures méritent d’être critiquées, car elles pourraient à la fois induire en erreur le consommateur et porter fortement préjudice aux PME artisanales.
De l’étiquetage bien emballé
La Commission souhaite permettre aux consommateurs de faire des choix alimentaires éclairés et sains, en proposant un étiquetage nutritionnel obligatoire harmonisé sur la face avant des emballages. Actuellement, il existe plusieurs systèmes, dont le « Nutriscore » adopté au Luxembourg, sur base facultative pour les opérateurs alimentaires.
Cependant, en parcourant les rayons des supermarchés, l’absurdité du Nutriscore fait surface. Et l’objectif des grands groupes agroalimentaires se dévoile : profiter au maximum du nouvel outil « institutionnalisé » et augmenter le chiffre d’affaires.
Les fruits et légumes sont généreusement emballés (souvent de plastique) pour pouvoir y apposer le « A » dudit logo et rappeler au consommateur que ces denrées sont bonnes pour sa santé. La population n’est-elle pas assez émancipée pour le voir elle-même ?
Ainsi, tout en stigmatisant l’usage des ressources fossiles et le plastique, on accepte une augmentation d’emballages superflus. Bien que le projet de loi sur les emballages et déchets d’emballages - actuellement en procédure législative - vise à imposer au Luxembourg une interdiction d’un conditionnement en plastique des fruits et légumes pour les quantités inférieures à 1,5 kg, le problème ne sera pas résolu. Les acteurs du marché procéderont à un conditionnement des produits à petite quantité, notamment avec des emballages en carton jetables, et cela pourrait amener les commerçants à proposer plus de choix en lots de 1.5 kg, menant à un risque de surconsommation et de gaspillage alimentaire.
Par ailleurs, les multinationales agroalimentaires modifient leurs recettes et s’adaptent à la lucrative cible « verte » à grand renfort d’additifs créés en laboratoires pour in fine tromper le consommateur. Pour récompense, le système octroie aux limonades « light » ou « zéro » une meilleure classification qu’un jus de pommes bio sans sucre ajouté et les salamis « light » modifiés chimiquement l’emportent sur les charcuteries naturelles sans additif !
Est-ce vraiment le but recherché : diriger le consommateur vers la nourriture industrielle ? Cela me rappelle un classique du cinéma français : « L’aile ou la cuisse » avec Louis de Funès, dans lequel le redoutable critique Charles Duchemin qu’il incarne se bat contre la malbouffe et la nourriture industrielle… Mais ici, personne ne rit !
Profils nutritionnels, diktat industriel
La Commission prévoit aussi la mise en place de profils nutritionnels pour limiter la promotion de denrées alimentaires riches en sel, en sucres et/ou en matières grasses. Ils classifient les produits selon leur composition, sans pour autant considérer la quantité totale consommée. Les denrées sont ainsi calibrées en « bonnes » ou « mauvaises » : de quoi égarer le consommateur en lui faisant croire qu’éviter certains groupes de nourriture pourrait lui être bénéfique. Une alimentation saine et équilibrée dépend pourtant de la bonne combinaison entre quantité et qualité des aliments, fréquence des repas, activité physique…
Cela amènera de nouveau les industriels alimentaires à procéder à des reformulations douteuses de leurs recettes. En même temps, beaucoup d’entreprises artisanales subiront des conséquences négatives en termes de compétitivité, même en fabriquant majoritairement des produits artisanaux (fromage, viande, boulangerie) qui contiennent naturellement les nutritifs visés (sels, matières grasses, sucres).
Donc, étiquetage et profils nutritionnels obligatoires ou non, les entreprises artisanales qui souhaitent proposer leurs produits dans les grandes surfaces à côté des grandes marques de l’agroalimentaire devront suivre le diktat industriel et adopter tous les systèmes qui leur seront imposés… sans pour autant offrir une valeur ajoutée au consommateur.
Pistes alternatives
Il serait temps de revenir vers le bon sens et le Luxembourg ne devrait pas avoir de peur de s’opposer à des propositions réglementaires insensées.
Pour nous, il serait préférable d’approcher la problématique différemment. Afin de promouvoir une alimentation équilibrée auprès de la population, les démarches d’information et d’éducation devraient être intensifiées, notamment avec des programmes spécifiques dans les écoles, voire des séances pratiques au sein des établissements alimentaires en y incluant toute la filière de l’alimentation (production primaire et transformation).
Une vraie alternative pourrait être la mise en place de l’agrément étatique (proposition de loi en procédure) pour les labels dans le secteur de l’alimentation en mettant l’accent sur des systèmes durables et régionaux, mais sous condition d’adopter la logique « filière », c’est-à-dire de faire participer toute la chaîne de valeur au système de certification, du paysan jusqu’au transformateur artisanal.
Ainsi, le consommateur pourrait être fidélisé aux produits locaux de qualité et il serait permis à la filière agro-alimentaire locale de se distinguer des produits industriels des grands groupes multinationaux.
Gilles Reding, Directeur des Affaires environnementales, technologies et innovation - Chambre des Métiers
Article tiré du dossier du mois « De la Terre à la terre »