Des déchets radioactifs aux frontières ?
Où l’on apprend que la Belgique envisage des zones d’enfouissement de déchets nucléaires à une poignée de kilomètres de la frontière luxembourgeoise !
C’est le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable qui l’annonce, et s’en émeut à juste titre, alors que la nouvelle restait encore plutôt enfouie en Belgique : l’autorité belge pour la gestion des déchets nucléaires (ONDRAF - Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies), « est actuellement en train de définir la politique de gestion des déchets radioactifs de haute activité et/ou de longue durée de vie. La solution proposée par l’autorité belge repose sur la dissimulation des déchets nucléaires par enfouissement sous terre ».
Outre le fait que la méthode ne fait pas l’unanimité, le rapport de l’organe fédéral belge sur les incidences environnementales identifie déjà les zones qui pourraient potentiellement accueillir une installation de gestion à long terme de tels déchets, dont quelques-unes sont (parfois très) proches de la frontière luxembourgeoise ! « Ce projet manque de transparence, ce n’est pas ce que l’on attend d’un pays voisin », s’exclame la ministre écologiste Carole Dieschbourg.
Composition géologique « favorable »
En effet, l’ONDRAF a soumis à la consultation du public l’avant-projet « d’arrêté royal établissant le processus d’adoption de la politique nationale relative à la gestion à long terme des déchets radioactifs conditionnés de haute activité et/ou de longue durée de vie et définissant la solution de gestion à long terme de ces déchets », ainsi que le rapport sur les incidences environnementales y relatif.
Les zones retenues, pour leur composition géologique « favorable », sont nombreuses en Wallonie. Elles sont même carrément transfrontalières pour certaines. Le ministère luxembourgeois, qui a analysé la carte géologique ad hoc , pointe la région de Namur (à 80km de la frontière luxembourgeoise), de Dinant (à 70km), le Plateau de Herve (à 55 km), la Gaume (cette couche géologique commence à 5km de la frontière), le synclinal de Neufchâteau (une couche qui traverse le Grand-Duché de Luxembourg), les massifs de Rocroi (à 88 km de la frontière) et de Stavelot (15 km de la frontière).
Le rapport exclut les incidences transfrontalières !
Pas content, le gouvernement du Luxembourg, qui « tient à noter plusieurs incohérences significatives dans le contexte de la soumission à consultation publique transfrontière de ce rapport ».
Ainsi, en s´appuyant sur le caractère préliminaire du rapport et des sites répertoriés, le document de référence belge « exclut, à tort, l’évaluation des incidences transfrontières du stockage géologique en reportant l´analyse des effets transfrontières à des stades ultérieurs ». Un peu comme on balayerait sous le tapis...
Le ministère luxembourgeois souligne que, alors que le rapport identifie d’ores et déjà des sites et zones susceptibles d’accueillir un centre d´enfouissement, « cette approche est contraire à la directive 2001/42/CE relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement et au protocole à la Convention d’Espoo relatif à l’évaluation stratégique environnementale ». D’autant bien sûr que nombre de ces sites se trouvent à proximité de la frontière…
Le gouvernement rappelle aussi qu’un projet de loi grand-ducal 7221 établit la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires et qu’il prévoit le dédommagement des victimes en cas d´accident dans une installation d´enfouissement de déchets nucléaires. Du coup, le Grand-Duché pourrait voir sa responsabilité engagée alors même qu’il ne déciderait pas du fond…
En provenance de centrales nucléaires
On frise l’incident diplomatique. Et l’on sent l’autorité luxembourgeoise très contrariée. Les populations concernées le sont aussi.
Côté belge, le processus est en cours depuis la mi-avril et l’ONDRAF l’avait annoncé par un simple communiqué, en plein confinement, et donc passé inaperçu. On y apprenait pourtant que ces déchets « de haute activité et/ou de longue durée de vie » proviennent de la production d’électricité dans les centrales nucléaires, de la recherche sur l’énergie nucléaire et d’autres applications nucléaires.
« Ils doivent être isolés de l’homme et de l’environnement durant des centaines de milliers d’années. Cette période est nettement plus longue que la durée de vie des bâtiments dans lesquels les déchets sont aujourd’hui entreposés en toute sécurité », soulignait l’organisme fédéral…
On peut ajouter néanmoins que le Grand-Duché fait sous-traiter en Belgique ses (très petites quantités de) déchets radioactifs, provenant essentiellement de laboratoires de recherche, en vertu d’un accord bilatéral plusieurs fois renouvelé. Le texte précise d’ailleurs ceci : le volume total de déchets radioactifs luxembourgeois importés en Belgique pendant la période 1995-2010 correspond, après traitement et conditionnement, à un volume total d’environ 0.5 mètres cubes.
Participer à la consultation publique
Le ministère luxembourgeois invite clairement à participer à la consultation publique, qui devient transfrontalière. Il faut se rendre sur le site de l’ONDRAF , où l’on peut consulter les documents : avant-projet d’arrêté royal, rapport d’incidences préliminaire, résumé non technique.
Un formulaire disponible sur le site permet aux intéressés d’émettre leurs observations. Elles peuvent aussi être envoyées par mail à info@ondraf.be, ou par voie postale à ONDRAF SEA 2020, avenue des Arts 14, B-1210 Bruxelles.
La date butoir pour la soumission d’avis est fixées au samedi 13 juin 2020.
En clair, il reste un mois pour s’informer et agir.
Alain Ducat
Image : lereveilleur.com
Photo : Carole Dieschbourg a pris position quant au stockage géologique de déchets nucléaires belges en région transfrontalière luxembourgeoise - © SIP / Emmanuel Claude