Des réseaux électriques intelligents à l’échelle nationale
Le projet FlexBeAn – Flexibility potentials and user Behaviour Analysis – entend booster la création des smart grids pour accélérer la transition énergétique tout en faisant face aux challenges à venir.
La plus probable conséquence de la fin de la vente des moteurs thermiques est une montée en flèche des flottes de véhicules électriques. En tant que gestionnaire du réseau d’électricité luxembourgeois, Creos va devoir faire face à une demande en énergie électrique exponentielle. Pour que la production suive et soit la plus durable possible, des adaptations sont nécessaires. L’entité du groupe Encevo s’y prépare, notamment en développant des réseaux électriques intelligents. Une étude sur trois ans vient de démarrer, conjointement avec le List et le SnT (Uni) et financée pour moitié par l’industriel et pour le reste par les deux institutions. Ils nous expliquent…
Nicolas Back
Project manager smart grid et flexibility, Innovation department de Creos :
« La transition énergétique implique de nombreux changements majeurs qui ont un impact sur le réseau. Parmi ceux-ci, il y a la volatilité des énergies renouvelables : dans le futur, c’est la demande qui suivra la production d’électricité et non plus, comme c’était le cas jusqu’à présent, la production qui suit la demande. Les consommateurs devront être flexibles, consommer de l’électricité quand il y a beaucoup d’énergie renouvelable au sein du réseau et, en contrepartie, profiter d’un prix de l’électricité plus bas à ces heures de forte production.
Un second changement qui s’amorce est le besoin en chargement flexible sur le réseau, notamment pour la mobilité électrique. Nous avons besoin de savoir quand les utilisateurs devront charger la batterie de leur véhicule.
Au Luxembourg, nous avons un réseau très fiable, qui doit continuer à être développé et de multiples projets sont en cours dans ce sens. Le réseau actuel est toutefois déjà en mesure de répondre à la demande de la mobilité électrique, et de manière plus optimale encore lorsque cette demande correspond aux pics de production, par exemple vers midi, lorsque les panneaux photovoltaïques sont très productifs. A contrario, si tous les conducteurs chargeaient leur véhicule en rentrant du travail, à l’heure à laquelle tout le monde cuisine ou regarde la télé, cela pourrait s’avérer problématique. De façon alternative, si une voiture est branchée toute la nuit alors qu’il ne faut que trois heures pour la charger complètement, on dispose alors également d’une belle fourchette de temps pour optimiser la gestion des capacités du réseau.
Le premier objectif du projet est donc d’identifier les potentiels de flexibilité pour plusieurs secteurs (industrie, PMEs, ménages, mobilité électrique) pour mieux comprendre les futures évolutions dans le comportement lié à la consommation d’électricité. Le second objectif est d’identifier comment nous pouvons activer la flexibilité disponible venant, par exemple, de la mobilité électrique.
Le List et le SnT travaillent principalement sur ce projet, à la demande de Creos où nous sommes deux à guider les équipes, à leur transmettre nos connaissances et à superviser le projet. »
Daniel Koster
Senior Research & Technology associate au sein du LIST (Luxembourg Institute of Science and Technology)
« Au List, nous travaillons avec Creos et le SnT à l’analyse du potentiel de flexibilité dans les quatre secteurs préalablement cités. Pour la mobilité, nous devons prendre en compte la demande liée à la quantité de véhicules électriques que nous verrons dans le futur, les habitudes de mobilité de la population, les possibilités de chargement sur le lieu de travail, au domicile ou aux bornes publiques. Cela regroupe toute une panoplie de potentiels techniques. Nous sommes en train de construire un modèle informatique qui pourrait représenter ces quatre secteurs. Pour la mobilité, on se base entre autres sur les projections sur le nombre de véhicules électriques qui circuleront à l’avenir et des études de pays voisins sur la même thématique.
Une autre équipe au sein du List s’intéresse plus spécifiquement à tout ce qui est lié au comportement : quand charge-t-on, durant combien de temps, quel état de charge minimal est nécessaire, etc. Nous souhaitons aussi analyser comment mobiliser cette flexibilité comportementale. Sous quelles conditions sommes-nous prêts à changer nos habitudes de chargement (incitants financiers) ? Cela passe par des sondages qui seront envoyés à des ménages privés afin de comprendre leurs besoins, leur intérêt pour des incitants monétaires ou d’autres types.
Au total, huit personnes au sein du List travaillent sur ce projet, à des degrés variables. Une des premières étapes consiste à travailler sur le concept d’acquisition de données à l’aide de compteurs intelligents. Nous aurons ensuite besoin de volontaires prêts à partager des données avec nous. Nous devons atteindre un certain seuil de données pour démarrer l’analyse. Les personnes intéressées peuvent nous écrire à l’adresse flexbean@list.lu pour avoir plus d’informations. »
Prof. Dr. Gilbert Fridgen
PayPal-FNR Pearl Chair in Digital Financial Services au SnT (Interdisciplinary Centre for Security, Reliability and Trust), et
Mohammad Ansarin
Research associate dans le groupe FINATRAX du SnT
« C’est la première fois que le List et l’Université du Luxembourg travaillent sur un projet commun avec un acteur du secteur industriel. L’avantage dans ce contexte précis est que les compétences individuelles de chaque participant au sein des trois partenaires de projets concordent parfaitement.
Au sein du SnT, nous travaillons également dans les quatre secteurs mentionnés, mais notre perspective est surtout de faire le lien entre la technologie et les marchés. Nous nous penchons sur des questions du type : quel rôle le marché de l’électricité peut-il jouer dans l’informatique ? Comment prend-on des décisions financièrement optimales pour motiver les consommateurs ?
Pour la mobilité, on cherche à savoir s’il y a aura suffisamment d’attitude idéaliste parmi les consommateurs du réseau pour qu’on puisse les inciter à agir en faveur du réseau, les éduquer à une utilisation optimale du réseau électrique. On peut également les inciter de manière ludique, à travers un défi ‘êtes-vous plus flexible que vos voisins ou que vos amis dans votre consommation énergétique ?’ Ou envisager des incitations financières classiques. Nous devons donc trouver les meilleures options pour différents types de consommateurs, du ménage à l’industrie, en passant par les petites et moyennes entreprises. Et ce afin d’arriver à des comportements flexibles, qui seront nécessaires dans cette transition énergétique.
Nous allons collaborer étroitement avec le List dans ces recherches et chacun y apportera ses forces pour, qu’à la fin, nous parvenions à réduire les émissions carbone et que tout le monde bénéficie de ce changement.
Au SnT, trois candidats au doctorat travaillent à temps plein sur ce projet et trois post-doctorants, dont moi, supervisent et encadrent leurs recherches à temps partiel. »
Propos recueillis par Marie-Astrid Heyde
Photo : Volodymyr Kalyniuk/Getty Images
Extrait du dossier du mois 2035 : Lëtz go !