L’intermodalité, pilier du nouveau plan de mobilité à Belval
Objectif 2035 à Belval : disposer d’un réseau si attractif de train, de tram, de bus, de pistes cyclables et de parkings mutualisés qu’il ne sera presque jamais nécessaire de rouler en voiture dans le quartier.
Pour développer ce concept de mobilité qui rendra ce rêve possible en s’appuyant sur la notion d’intermodalité, AGORA chapeaute depuis 2022 un groupe de travail réunissant toutes les parties prenantes.
L’union fait la force. Pour s’emparer de la partition urbaine de la région Sud et la réinterpréter à l’aune des besoins actuels en mobilité douce et en transport collectif, AGORA coordonne une plateforme d’échanges avec des représentants du Fonds Belval, du département de l’aménagement du Territoire, du ministère de la Mobilité et des Travaux publics, de l’Administration des ponts et chaussées, des CFL, de Luxtram, de la ville d’Esch-Sur-Alzette, de la Commune de Sanem et des cabinets d’ingénieur Schroeder & Associés et Arep. Tous autour de la table ou en sous-comités, ils conçoivent le projet global qui va concrétiser les objectifs d’une mobilité plus durable et de l’intermodalité, c’est-à-dire la possibilité de se déplacer en utilisant une combinaison aisée et rapide de moyens de transport, du train au tramway jusqu’au bus et au vélo, ainsi qu’à pieds. L’espace libéré par la voiture servira à créer des espaces publics attractifs, verts, synonymes de lieux de rencontre et de détente.
L’intermodalité, c’est une petite révolution dans la façon de concevoir les réseaux de transport en commun et de mobilité durable ?
Alexandre Londot, directeur des opérations, AGORA : « C’est un vrai changement de paradigme pour Belval. La voiture a occupé une place importante dans le développement du quartier à ses débuts – c’était normal à une époque où les premières rues se dessinaient sur une friche industrielle qui n’avait jusqu’alors jamais été reliée au reste du pays par le transport en commun. Aujourd’hui dans un quartier bien développé, il nous est possible de redéfinir la place de la voiture en identifiant les endroits où sa circulation peut être amenuisée. On en profite pour renouveler notre approche de la mobilité à travers ce concept d’intermodalité, qui s’impose aujourd’hui comme la solution évidente aux problèmes de congestion routière et comme la voie à suivre pour réduire l’empreinte carbone des villes. »
Adrien Stolwijk, ingénieur-conseil, Schroeder & Associés : « La notion d’intermodalité nous a mené à penser davantage l’organisation des transports en commun sous forme de vrai réseau, c’est-à-dire à travers une réflexion sur l’espace entier plutôt que de penser en lignes, en incluant aussi l’espace autour des quartiers et des villes que nous souhaitons relier. Ça permet d’éviter qu’il y ait des points morts dans le réseau de transport, entre les axes principaux à connecter. Et, oui, c’est une petite révolution. »
Marie-Josée Vidal, présidente d’AGORA et Premier Conseiller de Gouvernement du département de l’aménagement du Territoire :
« Il faut désormais comprendre la mobilité comme un élément structurant de l’espace public et du développement urbain. L’intermodalité fait partie des grandes notions qui nous aident à penser ce réaménagement de l’espace public. C’est assez nouveau, en effet, comme schéma de réflexion. On s’est beaucoup inspirés des acquis de la consultation internationale “Luxembourg In Transition”, qui a eu pour objectif d’élaborer, de repenser l’urbanisme à l’aire de la transition écologique. »
La notion de « répartition modale ( [modal split] ) » a aussi été centrale dans vos réflexions et a permis de définir les grands objectifs. De quelle manière ?
Daniela di Santo, Directrice Fonds Belval : « Le modal split est le pourcentage de voyageurs utilisant un type de transport particulier, et notre concept de mobilité est effectivement aligné vers un objectif de réduction de la part modale en ce moment occupée par la voiture, au profit des trams, des bus, des vélos et des piétons. Précisons que nous appuyons notre concept sur les objectifs du Plan national de mobilité PNM 2035, qui est très ambitieux en cette matière. Je dirais que Belval est un maillon clé, un élément moteur de l’atteinte de ces objectifs à l’échelle nationale. »
Adrien Stolwijk : « Les analyses les plus récentes montrent que la part modale de la voiture est de 72% dans la région Sud. Le PNM 2035 vise à la réduire de près de 20%. Pour y arriver, les déplacements en transport en commun doivent plus que doubler d’ici à l’horizon 2035 et un essor massif du vélo est nécessaire. On y arrivera avec des voies réservées pour le bus, pour les cyclistes, pour le tram rapide, mais aussi en ajoutant des espaces pour les piétons et des espaces de verdure conviviaux qui rendent l’environnement agréable pour ceux qui choisissent la mobilité douce. »
Pouvez-vous nous résumer les projets de pistes cyclables qui sont prévus dans le nouveau concept de mobilité ?
Roland Fox, Directeur des ponts et chaussées : « Le réseau final implique la construction de plusieurs infrastructures, car il s’agit en fait de conjuguer un réseau cyclable national et des réseaux cyclables internes pour connecter les différents quartiers de Belval et rejoindre les différentes stations du futur tram. Au niveau national, la piste cyclable PC8 (ou Circle Line) passe par Belval et comporte plusieurs tronçons, dont le Vëlodukt, surélevé sur une longue passerelle, qui est déjà ouvert et qui est un ouvrage impressionnant. À une échelle plus locale, on a essayé vraiment d’imaginer les déplacements de l’utilisateur de vélo, en liant les principaux centres d’intérêt. »
Adrien Stolwijk : « Il y aura deux tracés est-ouest, le premier provient du Vëlodukt et suit le tracé de la Waassertrap sur la piste nationale PC8. Le deuxième longe le corridor Tram/CHNS au Sud du parc Um Belval et offre une piste cyclable inter-quartier supplémentaire entre le Square Mile et le futur quartier Belval-Sud. D’autres axes complémentaires passant près de la Terrasse des Hauts Fourneaux et dans le Square Mile sont notamment prévus. »
En ce qui concerne le transport en commun, le concept prévoit un tram rapide et un Couloir Haut niveau de services (CHNS) pour le bus ?
Roland Fox : « Le tram rapide est un projet national dont le tracé prendra son départ à Luxembourg (Cloche d’Or), et traversera d’abord le nouveau site Metzeschmelz, puis rejoindra Esch et finalement Belval, avec un terminus à Belvaux-Mairie. À Belval, il y aura de nombreux arrêts pour bien desservir l’ensemble du site, d’abord sur la partie nord du site, puis à la Terrasse des Hauts Fourneaux/Square Mile, puis au centre sportif, et finalement deux arrêts aux extrémités ouest de Belval. Chacune des stations de tram sera aussi un pôle d’échange où l’usager pourra transiter vers un trajet en autobus ou vers une piste cyclable. Les trajets en tram pourront être facilement complétés par des segments en bus sur des corridors réservés où ne circuleront aucune voiture, les fameux CNHS. Et, à travers tout cela, c’est véritablement une rénovation urbaine qui se dessine. »
L’une des idées fortes du concept est la mutualisation de parking, à travers la mise en place de Facility Hubs. Pourquoi et comment est-ce une idée porteuse pour Belval ?
Marie-Josée Vidal : « Si vous regardez une photo satellite de Belval, vous constaterez que beaucoup d’espaces publics sont occupés par des voitures à l’arrêt toute la journée. L’idée des « Facility Hubs », est de regrouper ces voitures dans un bâtiment au lieu qu’elles occupent beaucoup de place dans l’espace public, mais aussi de miser sur une occupation à temps plein de ces bâtiments en y accueillant le jour les voitures des usagers qui viennent travailler à Belval, et le soir celles des résidents qui rentrent à la maison et stationnent leur véhicule pour la nuit. Il y a cette complémentarité naturelle dans l’horaire, qui n’avait jamais été vraiment réfléchie sous l’angle des espaces de stationnement. »
Alexandre Londot : « La mise en place de ces « Facility Hubs » n’est pas encore complètement bouclée, la conversation se poursuit. Mais il y a en vigueur un accord de principe. Le concept est innovant car ces espaces de stationnement partagés ne seront pas de simples parkings : ce seront des endroits où l’on pourra combiner d’autres fonctions et d’autres utilisations. On peut imaginer y greffer du commerce de proximité, de box d’entreposage, une crèche, un atelier de réparation de vélos, ou même des infrastructures récréatives et sportives en toiture. Cette multifonctionnalité est importante : les multiples usages justifient la construction d’un bâtiment et ses émissions de gaz à effet de serre. Si cela fonctionne bien à Belval, il va sans dire que le concept pourra être confirmé sur le futur quartier Metzeschmelz que nous développons. Nous envisageons à cet égard l’expérience de Belval comme un test pour de futurs quartiers où la mutualisation de parking pourrait devenir la norme et s’affiner au fil du temps. »
Le nouveau concept de mobilité est-il aussi l’occasion de réfléchir à la place de la verdure dans le quartier, notamment autour des nouvelles infrastructures de mobilité ?
Alexandre Londot : « Effectivement, les travaux d’infrastructure nous offrent une belle occasion de rajouter des espaces verts. Il y aura par exemple une grande partie du tracé du tram qui sera en site propre, et qui pourra avoir un revêtement en gazonné, comme c’est le cas sur le tronçon du quartier Kirchberg à Luxembourg Ville. En réduisant les espaces de stationnement un peu partout dans le quartier sera libéré de l’espace pour planter des arbres et plantes et à créer des lieux de rencontre conviviaux. Il y aura de nombreux endroits propices à ce genre de requalification urbaine. »
Pour accueillir les nouvelles infrastructures, faut-il revoir de vastes pans de l’urbanisme du quartier, ou est-il possible d’intégrer facilement le nouveau concept de mobilité sur ce qui est déjà existant ?
Adrien Stolwijk : « On a travaillé le plus possible sur les espaces existants et disponibles, mais il y a tout de même des interventions urbanistiques conséquentes, notamment à l’entrée nord du site de Belval. Mais le tissu urbain ne sera pas redessiné d’un seul coup et la transition sera douce et naturelle. Nous avons élaboré un phasage progressif, qui tient compte des impératifs du CHNS (couloir à haut niveau de service) et du tram, progressivement entre 2023 et 2033, sans trop bouleverser l’utilisation des lieux par les usagers. »
Alexandre Londot : Évidemment, il est prévu de conserver un maximum d‘éléments existants tels que les arbres,… etde construire en grande partie les nouvelles infrastructures sur les tracés des routes actuelles, en limitant le plus possible les déviations des réseaux,même si certaines seront nécessaires. Une nouvelle passerelle cyclo-piétonne sera construite au niveau du parc Belval pour assurer la continuité des cheminements lorsque le couloir mixte bus/tram traversera le parc. Pour rejoindre la rue de la Poste à Belvaux depuis le quartier de Belval Sud, le CHNS passera aussi au-dessus des voies ferroviaires existantes, ce qui va entraîner des travaux assez conséquents, mais au final de très beaux ouvrages architecturaux vont naître autour de ce concept de mobilité.
Comment avez-vous réussi à concevoir ce plan dans l’harmonie malgré le nombre d’acteurs impliqués ?
Marie-Josée Vidal : « C’était vraiment une approche de conversation participative très équitable. Tout le monde a pu contribuer dès le début du processus, dès l’élaboration du cahier des charges, jusqu’à la sélection des bureaux d’études et aux différentes phases de travail. Cette approche a permis de créer une atmosphère de confiance et d’aboutir finalement à un concept accepté et partagé par tous. Ceci est essentiel pour assurer la mise en oeuvre ultérieure du concept. »
Daniela di Santo : « Je pense que l’une des clés du succès est la structuration de nos échanges, certains en réunion bilatérale sur des sujets spécifiques, d’autres en grand groupe de travail réunissant toutes les parties prenantes. Surtout, il fallait que tous gardent en tête notre grand objectif commun, lequel était très clair dès le début. On ne joue pas un jeu pour gagner un match, on essaie plutôt de faire de la musique ensemble pour le plaisir des usagers à qui se destine notre grande symphonie. On a fait preuve du meilleur esprit sportif pour que toute l’équipe soit gagnante. On œuvre dans une perspective globale en tout temps. »
Jardins urbains, Smart cities, éco quartiers ou occupation temporaire de l’espace urbain, la série « Tell me more ! » décortique les nouvelles tendances en donnant la parole à des experts.
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Article tiré du dossier du mois « En pistes »