Devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité
La Chambre de Commerce souhaite attirer l’attention de ses ressortissants sur la récente proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, telle que présentée par la Commission européenne récemment (la « Proposition »).
Contexte de la Proposition
À titre de rappel, en février 2020, la Commission a publié une étude sur les exigences liées au devoir de vigilance dans la chaîne d’approvisionnement, et puis en juillet 2020, une deuxième (et vivement critiquée) étude sur les devoirs des dirigeants et la gouvernance durable de l’entreprise, ayant pour objet de déceler les causes du court-termisme dans la gouvernance des sociétés et de proposer des solutions en vue de l’adoption de stratégies à long terme par les dirigeants.
La Commission a également publié une feuille de route sur la « Gouvernance d’entreprise durable », laquelle a été suivie par une consultation publique en la matière ; la synthèse des réponses à cette consultation a été publiée en mai dernier.
Pour sa part, le Parlement européen avait invité la Commission à présenter une proposition législative sur la gouvernance d’entreprise durable et aussi proposé dans sa résolution du 10 mars 2021 des recommandations sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises en plaidant en faveur d’un dispositif européen contraignant, celle-ci accompagnée d’un projet de directive.
La Proposition constitue la réponse de la Commission européenne aux appels ci-dessus, ainsi qu’à ceux du Conseil et d’autres parties prenantes consultées.
De quoi s’agit-il ?
Objet de la Proposition
La Proposition prévoit (i) des obligations pour les sociétés tombant dans son champ d’application personnel, concernant les incidences négatives sur l’environnement et les droits de l’homme, réelles et potentielles et, (ii) un cadre de responsabilité en cas de violation de ces obligations.
Il convient de souligner que ces dispositions ne s’appliqueront pas seulement aux opérations propres desdites sociétés, mais aussi aux opérations de leurs filiales et dans leurs chaînes de valeur (relations commerciales établies, tant directes qu’indirectes).
En outre, les principales obligations prévues dans la Proposition sont des obligations de moyens.
Champ d’application personnel
Les nouvelles règles s’appliqueront aux sociétés suivantes :
- à toutes les sociétés (telles que définies par la Proposition) établies au sein de l’Union, qui emploient plus de 500 personnes et qui réalisent un chiffre d’affaires net de plus de 150 millions d’euros à l’échelle mondiale au cours du dernier exercice clos ; elles seront concernées par les dispositions de la Proposition - telles que transposées dans leur droit national - 2 ans après l’expiration du délai imparti pour la transposition de la Proposition par les Etats membres ;
- à des sociétés qui n’atteignent pas les deux seuils sous (i), mais qui emploient plus de 250 personnes et réalisent un chiffre d’affaires net supérieur à 40 millions d’euros à l’échelle mondiale au cours du dernier exercice clos, dont au moins 50% est réalisé en exerçant des activités dans des secteurs à fort impact ; pour ces sociétés, les dispositions de la Proposition - telles que transposées dans leur droit national - commenceront à s’appliquer 4 ans après l’expiration du délai imparti pour la transposition de la Proposition par les Etats membres ;
- à des sociétés établies dans de pays tiers exerçant des activités dans l’Union et dont le seuil de chiffre d’affaires tel que réalisé dans l’Union est aligné sur celui des sociétés visées sous (i) et (ii) ci-avant.
Les petites et moyennes entreprises (« PME ») ne relèvent pas directement du champ d’application de la Proposition.
Contenu du devoir de vigilance en matière de durabilité
Les sociétés concernées devront veiller au respect de la législation listée dans l’annexe (de manière non exhaustive comme indiqué dans le préambule de la Proposition) en entreprenant les actions suivantes :
- intégrer le devoir de vigilance dans toutes les politiques de la société et avoir une politique de vigilance raisonnable (y compris, une approche de la vigilance raisonnable à long terme, un code de conduite à cet égard et une description des procédures mises en place pour mettre en œuvre la vigilance raisonnable), laquelle devrait être mise à jour sur une base annuelle ;
- identifier les incidences négatives réelles ou potentielles sur les droits de l’homme et l’environnement par le biais de mesures appropriées ; cet exercice doit se faire de manière dynamique et sur une base temporelle régulière ; les sociétés sous (ii) ci-dessus se limiteront à une identification des incidences négatives dans le secteur concerné ;
- prévenir ou atténuer les incidences potentielles par le biais de mesures appropriées prises à cet effet ; la Proposition contient une liste d’actions/obligations incombant aux sociétés à cet égard ;
- mettre un terme aux incidences réelles ou atténuer leur ampleur par le biais de mesures appropriées prises à cet effet ; la Proposition contient une liste d’actions/obligations incombant aux sociétés à cet égard ;
- établir et maintenir une procédure de réclamation/plaintes (e.g. des réunions entre le plaignant et les représentants de la société) ; les abus de l’usage de telles procédures par les plaignants sont à éviter ;
- surveiller l’efficacité de la politique de vigilance raisonnable de la société et des mesures prises à cet égard (e.g. évaluation des chaînes de valeur sur une base annuelle, possibilité de contrôles ad hoc) ;
- communiquer publiquement sur le devoir de vigilance (publication d’une déclaration annuelle au plus tard au 30 avril uniquement par les sociétés qui ne relèvent pas déjà des articles 19a and 29a de la Directive 2013/34/UE).
Contribution efficace à la lutte contre le changement climatique
Les sociétés soumises aux dispositions de la Proposition devront adopter un plan visant à garantir que la stratégie commerciale sera compatible avec la transition vers une économie durable ainsi qu’avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C conformément à l’Accord de Paris. Si la société identifie que ses opérations posent un risque principal ou ont un impact principal sur le climat, elle devra inclure des objectifs de réduction des émissions dans son plan susvisé.
En cas de mise en place d’un paquet d’incitation en faveur des dirigeants pour récompenser leur contribution à la stratégie commerciale, les intérêts à long terme et la durabilité, le plan susvisé est à prendre en considération lors de la fixation de la partie variable de la rémunération.
PME
Les PME n’étant pas incluses dans le champ d’application de la Proposition, elles sont toutefois indirectement concernées par ses dispositions. Les mesures de soutien prévues pour les PME à ce titre sont comme suit :
- la Commission devrait fournir des orientations sur les clauses contractuelles types (e.g. en cas de contractual cascading) ;
- les États membres devraient créer et exploiter, individuellement ou conjointement, des sites web, des portails ou des plateformes dédiés, et les États membres pourraient également soutenir financièrement les PME et les aider à renforcer leurs capacités ;
- les sociétés soumises aux obligations prévues par la Proposition et dont le partenaire commercial est une PME sont encouragées à aider cette dernière à se conformer aux mesures de vigilance raisonnable, au cas où ces exigences compromettraient la viabilité de la PME et à utiliser des exigences justes, raisonnables, non discriminatoires et proportionnées vis-à-vis de la PME en question.
Sanctions administratives
La Proposition prévoit des sanctions au titre de son article 19, mais la liste détaillée sera établie par les États membres conformément à la législation nationale. En cas d’amendes, celles-ci seront basées sur le chiffre d’affaires de la société concernée.
Autorités nationales de surveillance et réseau européen d’autorités de surveillance
La Proposition énonce l’obligation pour les États membres de désigner une ou plusieurs autorités nationales de surveillance et instaure un réseau européen d’autorités de surveillance composé des représentants des autorités nationales de surveillance.
Responsabilité civile
Selon la Proposition, les États membres devraient être tenus d’établir des règles régissant la responsabilité civile des sociétés pour les dommages résultant de leur non-respect de la procédure de vigilance raisonnable. La société devrait ainsi être tenue responsable des dommages si elle ne respecte pas les obligations de prévenir et d’atténuer les incidences négatives potentielles, de mettre fin aux incidences négatives réelles et de minimiser leur ampleur, et à la suite de ce manquement une incidence négative qui aurait dû être identifiée, empêchée, atténuée, arrêtée ou son étendue minimisée par des mesures appropriées s’est produite et a causé des dommages. Un lien de causalité entre le préjudice et le manquement au devoir de vigilance est donc à établir.
En ce qui concerne les dommages survenus au niveau de relations d’affaires établies indirectes, la responsabilité de l’entreprise devrait être soumise à des conditions spécifiques. Toutefois, la société ne devrait pas être exonérée de sa responsabilité s’il était déraisonnable de s’attendre à ce que les mesures effectivement prises, y compris en ce qui concerne la vérification de la conformité avec celles-ci, soient adéquates pour prévenir, atténuer, faire cesser ou minimiser l’incidence négative. La question de la charge de preuve du caractère adéquat de ces mesures sera laissée à l’appréciation des Etats membres.
En outre, dans l’appréciation de l’existence et de l’étendue de la responsabilité, les efforts de l’entreprise, dans la mesure où ils se rapportent directement au dommage en cause, sont à considérer (e.g. efforts pour se conformer à toute action corrective requise de sa part par une autorité de contrôle, tout investissement réalisé et tout soutien ciblé fourni ainsi que toute collaboration avec d’autres entités pour faire face aux impacts négatifs sur ses chaînes de valeur).
Afin de dissiper tout doute quant à la responsabilité des différents partenaires de la société principale, le régime de responsabilité civile de la société principale ci-dessus devrait s’appliquer sans préjudice de la responsabilité civile de ses filiales ou de la responsabilité civile de ses partenaires commerciaux (directs et indirects) dans la chaîne de valeur.
De surcroît, le régime ci-dessus s’applique indépendamment des règles communautaires ou nationales en matière de responsabilité civile relatives aux atteintes aux droits de l’homme ou à l’environnement qui prévoient une responsabilité dans des situations non couvertes par la Proposition ou prévoyant une responsabilité plus stricte que celle-ci.
Loi de police
La Proposition devrait imposer aux États membres de veiller à ce que la responsabilité prévue dans les dispositions de droit national transposant le régime de responsabilité civile sous la Proposition soit d’application impérative dans les cas où la loi applicable aux demandes de réparation ne serait pas la loi d’un État membre ; il s’agira en effet de qualifier la loi nationale transposant le régime de responsabilité civile tel qu’il est prévu par la Proposition en loi de police.
Duty of care des dirigeants et responsabilité
La Proposition introduit également l’obligation pour les dirigeants des sociétés concernées et établies dans l’Union de mettre en place et de superviser la mise en œuvre du devoir de vigilance ainsi que de l’intégrer dans la stratégie d’entreprise. A ce titre, ils devraient prendre dûment en considération les contributions pertinentes des parties prenantes et des organisations de la société civile.
En outre, lorsqu’ils s’acquittent de leur obligation d’agir dans l’intérêt de société, les administrateurs doivent tenir compte des conséquences de leurs décisions sur les droits de l’homme, le changement climatique et l’environnement. Les États membres doivent veiller à ce que leurs dispositions nationales au titre de manquement aux devoirs des dirigeants s’appliquent également à cette obligation.
La Chambre de Commerce invite par conséquent toutes les entreprises luxembourgeoises concernées à la contacter pour toute question relative à cette Proposition à l’adresse suivante : eu@cc.lu.
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