Essoufflement de la restauration des rivières européennes ?

Essoufflement de la restauration des rivières européennes ?

Une nouvelle étude publiée dans Nature montre que la restauration des rivières européennes pourrait s’être essoufflée.

Publiée le 10 août, leur étude révèle une augmentation notable de la biodiversité dans les systèmes fluviaux de 22 pays depuis 1968.

L’article paru dans la revue scientifique Nature, intitulé The recovery of European freshwater biodiversity has come to a halt, met en lumière la collaboration d’une équipe internationale, dont font partie deux chercheurs - Alain Dohet et Lionel L’Hoste - du département Environmental Research and Innovation du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), pour étudier l’état et l’évolution de la biodiversité dans les masses d’eau douce européennes, en se concentrant sur les invertébrés en tant qu’indicateurs.

Toutefois, l’équipe de scientifiques avertit que cette tendance positive stagne depuis 2010 et que de nombreux systèmes fluviaux n’ont pas été en mesure de se régénérer complètement. Ils appellent donc à des mesures supplémentaires pour relancer la reconstitution de la biodiversité dans les eaux intérieures, les écosystèmes d’eau douce qui sont et continuent d’être exposés à de graves pressions telles que la pollution, les espèces envahissantes et le changement climatique.

D’abord un rétablissement, puis une stagnation

Les insectes éphémères, les perles et les phryganes font partie des divers groupes d’invertébrés qui passent une grande partie de leur vie dans l’eau à l’état de larves. « Ces invertébrés et de nombreux autres contribuent à d’importants processus écosystémiques dans les masses d’eau douce. Ils décomposent la matière organique, filtrent l’eau et transportent les nutriments entre les milieux aquatiques et terrestres. En outre, ces invertébrés constituent depuis longtemps une pierre angulaire de la surveillance de la qualité de l’eau », explique le premier auteur de l’étude, le professeur Peter Haase, de l’Institut de recherche de Senckenberg et du Musée d’histoire naturelle de Francfort.

Les eaux intérieures sont exposées à diverses pressions anthropiques dues à l’utilisation des terres agricoles et urbaines. Elles accumulent des polluants, des eaux de ruissellement contaminées par des substances organiques, des sédiments fins et des pesticides, et sont également menacées par des changements tels que la construction de barrages, les prélèvements d’eau, les espèces invasives et le changement climatique. Face au mauvais état des masses d’eau dans les années 1950 et 1960, des contre-mesures ont été mises en œuvre pour restaurer les habitats d’eau douce.

Le Luxembourg ne fait pas exception. Malgré des efforts considérables pour réduire la pollution organique, principalement grâce à l’amélioration du traitement des eaux usées, l’état écologique bon requis n’a pas encore été atteint en moyenne, explique Alain Dohet, biologiste de la conservation et chercheur au LIST.

Au cours des 50 dernières années, ces mesures ont contribué à contenir la pollution des eaux usées et donc à améliorer la biodiversité des eaux douces. Néanmoins, le nombre et l’impact des facteurs de stress qui menacent ces écosystèmes continuent d’augmenter dans le monde entier et la qualité biologique des rivières reste insuffisante dans de nombreux endroits.

En collaboration avec une équipe internationale, un ensemble complet de données a été étudié, comprenant 1 816 séries temporelles collectées entre 1968 et 2020 dans les systèmes fluviaux de 22 pays européens, comprenant 714 698 individus de 2 648 taxons provenant de 26 668 échantillons. Les analyses montrent une augmentation significative de la biodiversité au cours de cette période de 53 ans. Le nombre de taxons uniques a augmenté de 0,73 % par an, le nombre de groupes de taxons jouant différents rôles écologiques a augmenté de 2,4 % par an et l’abondance totale des invertébrés a augmenté de 1,17 % par an.

Cependant, la plupart de ces augmentations se sont produites avant 2010 et, malheureusement, la biodiversité est restée relativement stable depuis lors, explique Alain Dohet. Les améliorations de la biodiversité au cours des années 1990 et 2000 sont dues à une meilleure qualité de l’eau et aux efforts de restauration écologique. Mais le fait que les progrès aient ralenti par la suite suggère que les actions antérieures ont atteint leurs limites.

Selon les résultats de l’étude, les communautés d’eau douce situées en aval des barrages, des zones urbaines et des terres agricoles se sont rétablies moins rapidement. La faune des sites où le réchauffement est plus rapide a également enregistré des augmentations plus faibles de la diversité des espèces, de l’abondance des individus et de la diversité fonctionnelle.

Mesures envisageables à l’avenir

Des investissements substantiels sont nécessaires pour étendre les réseaux d’assainissement et améliorer les stations d’épuration. Des efforts ciblés sont nécessaires pour empêcher les stations d’épuration de déborder en cas de fortes pluies et pour éliminer plus efficacement les micropolluants, les nutriments, les sels et autres polluants des systèmes d’eau douce, affirment les auteurs. En outre, l’équipe de recherche préconise la reconstitution des écosystèmes d’eau douce en réduisant l’apport d’engrais et de pesticides provenant des terres agricoles, en reliant les plaines inondables afin de réduire les inondations destructrices et en adaptant nos systèmes fluviaux aux conditions climatiques et hydrologiques futures.

Ces mesures de gestion devraient cibler les sites les plus menacés par le déclin de la biodiversité, tels que ceux situés en aval des zones urbaines, des terres cultivées et des barrages, tout en maintenant et en renforçant la protection des systèmes les moins touchés qui sont des refuges de la biodiversité (par exemple, les cours d’eau de tête de bassin). Des travaux supplémentaires visant à comprendre les causes de l’arrêt de la régénération biologique dans les rivières d’Europe permettraient d’orienter les mesures de gestion afin de maximiser la protection de la biodiversité. Dans les mois à venir, notre équipe se concentrera principalement sur les modifications de la composition des communautés en relation avec le réchauffement climatique (par exemple, le remplacement des espèces adaptées au froid par des espèces thermophiles et généralistes) et sur l’influence du gradient amont-aval dans la structuration de ces communautés. conclut Alain Dohet.

Plus d’informations : https://www.list.lu/fr/media/actualites/

Communiqué
Publié le lundi 21 août 2023
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