Évolution des records de température estivale en Europe au cours du XXIe siècle
L’occurrence des records de chaleur durant l’été en Europe à la fin du XXIe siècle serait multipliée par dix par rapport à celle attendue en l’absence d’influence humaine…
Les chercheurs du laboratoire Climat, environnement, couplages et incertitudes (CECI, CNRS / CERFACS) ont analysé les projections pour le XXIe siècle de l’évolution des records de température estivale en Europe à partir d’un ensemble de simulations climatiques contraintes sur le XXIe siècle par le scénario d’évolution des émissions de gaz à effet de serre et des aérosols dit du laisser-faire. Selon ce scénario, l’occurrence des records de chaleur durant l’été en Europe à la fin du XXIe siècle serait multipliée par dix par rapport à celle attendue en l’absence d’influence humaine alors que celle des records froids deviendrait quasi nulle. Les chercheurs ont également estimé à partir de quand il leur serait possible de détecter l’influence anthropique sur l’évolution des records de température estivale en Europe : dès 2020 pour les records froids et dès 2030 pour les records chauds.
Les canicules récentes des années 2003 et 2015 sont caractérisées par l’établissement de records de température estivale pour de très nombreuses stations de mesure. L’occurrence élevée de ces nouveaux records est une manifestation évidente du caractère extrême de ces événements climatiques dont la sévérité devrait augmenter au cours du XXIe siècle sous l’influence des émissions de gaz à effet de serre passées et futures. L’évolution de ces records peut donc être considérée comme un marqueur spécifique des changements futurs des épisodes caniculaires.
Des chercheurs du CECI se sont intéressés à cette question et ont mis au point une méthodologie originale pour dater l’émergence de l’influence humaine sur l’évolution des records de température.
Ils ont tout d’abord utilisé un ensemble de 53 simulations (1) climatiques contraintes par le même scénario d’émission des gaz à effet de serre et des aérosols dit du laisser-faire (croissance continue, sans limite ni atténuation, de la concentration des gaz à effet de serre et des aérosols dans l’atmosphère).
À partir de ces simulations, ils ont estimé l’évolution de l’occurrence des records de température estivale au cours du XXIe siècle. Les projections climatiques prévoient pour la fin du XXIe siècle une occurrence moyenne des records chauds 10 fois supérieure aux probabilités d’occurrence attendues dans un climat stationnaire, tel celui de la première moitié du XXe siècle, et une quasi-disparition des records froids à l’échelle de l’Europe.
Ils ont également analysé l’évolution de l’occurrence de ces records de 1900 à 2100, à partir des températures observées et des températures simulées. Outre un bon accord entre modèles et observations, il s’avère que l’évolution de l’occurrence des records reste proche de celle d’un climat stationnaire jusqu’aux années 1990 avant de s’en écarter progressivement tout au long du XXIe siècle.
Afin de mieux prendre en compte l’effet possible de la variabilité interne du climat aux échelles multi-décennales dans l’estimation de la date d’émergence de l’influence humaine, les chercheurs ont ensuite eu recours à des simulations climatiques dites de contrôle (1). Ces simulations d’un climat stationnaire n’étant soumises qu’à des forçages externes, naturels et anthropiques, constants et égaux à leurs valeurs préindustrielles, la variabilité climatique simulée est donc purement d’origine interne.
Ces nombreuses simulations ont permis aux chercheurs de définir une plage de valeurs possibles (ou intervalle de confiance) pour l’occurrence des records de température sous un climat stationnaire soumis à l’influence unique de la variabilité interne, et ce pour toutes les dates depuis 1900. La date d’émergence est alors simplement définie par la date à partir de laquelle l’occurrence des records sous l’hypothèse du scénario d’émission dit du laisser-faire sort significativement de l’intervalle de confiance.
Cette date d’émergence est de 2020 pour les records froids et de 2030 pour les records chauds avec une incertitude de ± 20 ans, dont une moitié (± 10 ans) est liée à l’utilisation des modèles climatiques et à leur reproduction imparfaite de la réalité et l’autre moitié au caractère chaotique du système climatique.
Alors que l’influence anthropique sur les températures globales moyennes a déjà pu être détectée, ce n’est donc qu’à partir de 2030 ± 20 ans (2020 ± 20 ans) que les chercheurs pourront détecter et donc attribuer l’évolution de l’occurrence des records chauds (froids) de température estivale en Europe à l’influence humaine.
Dans un climat stationnaire, la théorie des records indique que la probabilité d’occurrence des records de température doit évoluer de façon inversement proportionnelle au nombre d’échéances temporelles considérées depuis le début du comptage des records. Par exemple, on peut s’attendre à ce que la probabilité de battre des records de température au bout de trente ans en un lieu donné et pour un jour donné soit proche de 1/30. Sous l’hypothèse d’un climat stationnaire, on peut donc s’attendre à ce qu’il devienne de plus en plus difficile de battre des records de température en été.
Note :
(1) Les chercheurs ont utilisé les simulations réalisées lors d’un vaste exercice d’inter-comparaison de simulations climatiques, effectué par la communauté de modélisation climatique internationale regroupant une trentaine de groupes issus d’une quinzaine de pays dans le cadre du projet CMIP5 (Coupled model intercomparison project version 5 : http://cmip-pcmdi.llnl.gov/cmip5/ ) coordonné par le Programme mondial de recherche sur le climat.
Illustration : Évolution de l’occurrence normalisée des records de température estivale en Europe : occurrence observée, modélisée avec le scénario du laisser-faire et calculée pour un climat stationnaire (enveloppe grisée).
Source : INSU – CNRS - www.insu.cnrs.fr