Face aux risques climatiques, une Europe en retard et en danger
La plupart des pays européens ne sont pas préparés aux futures conditions météorologiques extrêmes, aux incendies de forêt, à la sécheresse et aux inondations. C’est la sévère analyse du tout premier rapport de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) sur les risques climatiques.
L’Europe s’est réchauffée plus que tout autre continent depuis la révolution industrielle. En moyenne, elle s’est même réchauffée deux fois plus vite que le reste du monde. L’Europe est « la Cocotte-minute du réchauffement climatique ». Cet affolement thermique déconcerte les politiques climatiques et leurs stratégies d’adaptation.
Andrew Ferrone, président de l’Observatoire de la Politique Climatique matérialise ces données au Luxembourg, où « les jours de fortes chaleurs ont doublé lors des 60 dernières années ». Cette réalité déjà palpable est appelée à se durcir dans le futur. Le temps n’est pas à une amélioration à court terme. Or, les conséquences, les scientifiques les ont anticipées.
L’Agence européenne pour l’environnement (AEE) détaille ces prévisions dans son European Climate Risk Assessment (EUCRA), son premier rapport d’évaluation des risques climatiques. À savoir : « la chaleur extrême, la sécheresse, les incendies de forêt et les inondations que nous avons connus ces dernières années en Europe vont s’aggraver, y compris dans les scénarios optimistes du réchauffement climatique, et affecteront les conditions de vie sur tout le continent ».
« Ces événements représentent la nouvelle norme », a insisté la directrice de l’AEE, Leena Ylä-Mononen. « Ils doivent être aussi un coup de semonce ».
Les scénarios optimistes évoquent un accroissement de température de l’ordre de +1,5 °C. Andrew Ferrone, qui est également représentant national au GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), réveille notre lucidité : rien ne garantit que les émissions de CO2 soient au net zéro en 2050 ; pour le moment, nous sommes plutôt sur une trajectoire de +3 °C.
Une adaptation climatique qui court à la catastrophe
Cette fuite en avant affecte la gestion des risques climatiques. Et les conclusions de l’AEE ne sont pas tendres : « bon nombre de risques ont déjà atteint des niveaux critiques et pourraient devenir catastrophiques sans une action urgente et décisive ».
Pourtant, cette action politique n’existe pas à l’échelle européenne. Pire, elle tarde à se dessiner. Leena Ylä-Mononen, directrice de l’AEE, alerte ainsi : « notre nouvelle analyse montre que l’Europe est confrontée à des risques climatiques urgents qui augmentent plus rapidement que la préparation de notre société ».
Cibler les actions à mener
Le rapport cible ces risques climatiques les plus urgents : les crues soudaines et les inondations fluviales, le stress thermique, la santé des écosystèmes côtiers et marins et la nécessité de disposer de fonds de solidarité pour se rétablir de ces épisodes catastrophiques.
Pour ce qui concerne l’Europe méridionale, les chercheurs ajoutent : la sécurité des cultures et la protection des personnes, des bâtiments et de la nature contre les feux de forêts.
Andrew Ferrone ajoute également la sécheresse comme le futur ennemi numéro un de l’agriculture.
36 risques climatiques majeurs
L’étude inventorie 36 risques climatiques d’envergure.
Huit d’entre eux requièrent une réponse en urgence. Vingt-et-un d’entre eux nécessitent plus d’action immédiate.
Le rapport de l’Agence environnementale met en garde contre des risques en cascades et cumulés qui seraient sous-estimés par les tests de résistance actuels du secteur financier.
Exemple : la chaleur croissante asséchera les cultures et les réserves d’eau de l’Europe du Sud, mais durcira et imperméabilisera par ailleurs les sols, favorisant des crues soudaines.
Le rapport présente d’autres combinaisons nocives dans ses pages : vagues de chaleur marine, acidification, appauvrissement en oxygène des mers et d’autres facteurs humains comme la pollution ou la pêche intensive. Il en résultera une « perte substantielle de biodiversité, y compris des événements de mortalité massive ». La défense de ces écosystèmes marins et côtiers fait partie des huit risques à traiter maintenant.
Faire plus, plus vite
Le sud de l’Europe et les régions côtières à faible altitude sont les plus vulnérables selon des risques climatiques locaux simultanés :
- Europe du Sud : incendies, pénurie d’eau et ses effets sur la production agricole, impact de la chaleur sur le travail en extérieur et la santé.
- Littoraux : inondations, érosion, intrusion d’eau salée.
L’Europe du Nord n’est toutefois pas épargnée, comme le démontrent les récentes inondations en Allemagne ou encore les feux de forêts en Suède.
Même si nous avons réalisé quelques progrès, « nous devons faire plus et avoir des politiques plus fortes », a martelé Leena Ylä-Mononen.
Les populations et les gouvernements européens doivent avant tout reconnaître unanimement les risques et accepter de faire plus, plus vite. Entrons dans le concret du rapport. Mortifère, certes, mais concret : si aucune action décisive n’est appliquée, « des centaines de milliers de personnes mourront à cause des vagues de chaleur, et les pertes économiques dues aux seules inondations côtières pourraient dépasser 1.000 milliards d’euros par an ».
Mme Ylä-Mononen a jugé que « ce rapport devrait être le dernier signal d’alarme ». Néanmoins, Andrew Ferrone garde en tête, l’impératif équilibre « entre l’atténuation au changement climatique et l’adaptation. Car si nous ne parvenons pas à limiter le réchauffement climatique, nous parviendrons aux limites de l’adaptation ».
La réponse de l’Union européenne
Dans la foulée de l’étude présentée par l’AEE, l’Europe a répondu par quatre grandes catégories d’action.
- Une amélioration de la gouvernance : la compréhension des risques et des responsabilités doit être améliorée. L’identification des « propriétaires de risques » est une première étape essentielle.
- De meilleurs outils pour donner aux propriétaires de risques les moyens d’agir : les décideurs politiques, les entreprises et les investisseurs doivent mieux comprendre les liens entre les risques climatiques, les investissements et les stratégies de financement à long terme.
- Exploiter les politiques structurelles. Trois domaines de politique structurelle sont particulièrement prometteurs pour la gestion des risques climatiques :
a) Un meilleur aménagement du territoire
b) Intégrer les risques climatiques dans la planification
c) Relier les mécanismes de solidarité au niveau de l’UE
- Des conditions préalables adéquates pour le financement de la résilience climatique : la mobilisation de financements publics et privés suffisants pour la résilience climatique sera essentielle.
Ces lignes directrices ne s’appuient pour le moment sur aucune proposition législative, dans un agenda marqué par les prochaines élections européennes. Pas sûr que le dernier signal d’alarme de l’AEE ait été clairement entendu...
Par Sébastien MICHEL
Photo d’illustration : crues à Remich, l’Auberge des Cygnes les pieds dans l’eau - © Gouvernement luxembourgeois