Justice économique : comment développer la résilience des agriculteurs et des agricultrices face aux dérèglements climatiques
Déclaration politique du mouvement mondial du commerce équitable à la COP 24
La 24e Conférence des États signataires de la Convention cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), COP 24 aura lieu du 2 au 14 décembre 2018, à Katowice, en Pologne. Le récent rapport spécial sur « le réchauffement planétaire d’1,5 °C » du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) indique clairement qu’il n’y a pas encore d’obstacles physiques, chimiques ou techniques pour atteindre l’objectif de 1,5 degré[1], mais qu’une détermination politique forte est indispensable. L’avenir de notre planète dépend en grande partie des décisions politiques qui seront prises lors de la COP24 et de leur mise en œuvre immédiate, significative et ambitieuse au cours de cette décennie. Chaque année compte, chaque décision compte, chaque dixième de degré compte.
Les petits(es) producteurs(trices), en particulier ceux qui possèdent moins de deux hectares de terres, contribuent à une part essentielle de nos systèmes alimentaires et agricoles mondiaux. 500 millions de petites exploitations agricoles produisent plus de 80 % de la nourriture consommée dans les pays du Sud contribuant ainsi à la réduction de la pauvreté et à la sécurité alimentaire mondiale[2]. Pourtant les petit.es producteur.rices sont davantage menacé.es par la pauvreté et la faim, et font partie des populations les plus vulnérables face aux impacts des dérèglements climatiques.
En tant que mouvement international du commerce équitable, composé d’experts, de militants, de chercheurs, d’entreprises de commerce équitable et de consommateurs, engagés à promouvoir la justice économique, nous mettons en garde par rapport à l’accroissement des inégalités économiques au sein des chaînes de valeur mondiales aggravées par les effets négatifs s du dérèglement climatique sur les petits(es) agriculteurs(trices) et artisans(es) du monde entier.
C’est pourquoi nous exhortons les pays membres de la CCNUCC à reconnaître les politiques et les pratiques commerciales équitables comme un élément déterminant des stratégies d’atténuation et d’adaptation aux dérèglements climatiques. La transparence et la réglementation contraignante internationale dans les chaînes de valeur mondiales sont des éléments clefs à mettre en œuvre de toute urgence.
Comment le dérèglement climatique impacte les plus vulnérables
Les petits(es) producteurs(trices) et les communautés rurales du monde entier pâtissent considérablement des effets du dérèglement climatique : sécheresses extrêmes, inondations, précipitations insuffisantes, désertification, salinisation des terres, pénurie d’eau, réduction des périodes de récolte, déplacement des zones de culture, maladies ou attaques d’insectes etc. Ces phénomènes entraînent une perte de la production, une baisse de la qualité des récoltes et une hausse des coûts de production qui mettent en péril la sécurité et la souveraineté alimentaires, ainsi que les moyens de subsistance des communautés. En conséquence, ils ont de lourds impacts sur l’exode rural et la charge des soins qui pèsent déjà rudement sur les filles et les femmes.
Afin de faire face aux épidémies provoquées par les dérèglements climatiques et pour en atténuer les conséquences économiques néfastes, les petits(es) producteurs(trices) sont souvent obligés(ées) d’adopter des stratégies de court terme telles que l’utilisation accrue d’intrants chimiques. Celles-ci impliquent non seulement une augmentation des coûts de production, mais engendrent des coûts cachés économiques, sociaux et environnementaux importants sur le long terme, comme la pollution des eaux, la déforestation ou encore des problématiques de santé, qui contribuent in fine à exacerber l’impact du dérèglement climatique sur ces mêmes populations.
Dans ce contexte, les impacts environnementaux, économiques et sociaux du dérèglement climatique menacent l’avenir des chaînes d’approvisionnement agricoles et artisanales et affectent encore plus particulièrement celles et ceux qui ont le moins contribué aux changements climatiques au cours de l’histoire : les populations rurales des pays du Sud. Déjà très fragilisées par l’extrême volatilité des prix et des pratiques commerciales déloyales, ces populations doivent relever un défi de taille : adapter leurs modes de production à des conditions climatiques toujours plus extrêmes et imprévisibles.
La justice économique est donc un moyen essentiel pour parvenir à la justice climatique, en priorisant les besoins des petits producteurs(trices) et en tenant compte de leur vulnérabilité accrue.
Comment le commerce équitable participe à la justice climatique et à l’Agenda 2030 ?
Le commerce équitable répond à de nombreux Objectifs de Développement Durable (notamment les ODD 1, 2, 5, 8, 10, 12, 13, 15, 16, 17). Au cours des 40 dernières années, il a démontré qu’il est un modèle commercial innovant, transformateur, et efficace pour parvenir à un développement durable et réduire la pauvreté.
En effet, le commerce équitable :
- Permet aux petits producteurs(trices) d’avoir accès à une répartition plus juste au sein des chaînes de valeur mondiales, augmentant leurs ressources disponibles et leurs connaissances pour s’adapter et développer des modes de production plus résilients.
- Encourage des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement grâce à la prime de conversion vers l’agriculture biologique et en promouvant la gestion de l’environnement.
- Renforce le pouvoir de négociation des producteurs(trices) et travailleurs(euses) et en améliorant leur autonomie individuelle et collective afin de rééquilibrer le pouvoir au sein des chaînes d’approvisionnement.
En intégrant des principes sociaux, économiques et écologiques, le commerce équitable participe à l’amélioration de la résilience climatique dans les chaînes d’approvisionnement. Cependant, le commerce équitable ne peut à lui seul faire face aux défis soulevés par le dérèglement climatique et les inégalités dans les chaînes de valeur : il est urgent de transformer le système économique mondial actuel.
Le mouvement international du commerce équitable appelle les Parties de la CCNUCC à la COP 24 à :
1. Introduire des mécanismes incitatifs et contraignants, de transparence et de vigilance pour que les acteurs privés mettent en place des chaînes d’approvisionnement justes et résilientes au changement climatique. Par exemple : un prix équitable dans les chaînes de valeur permet aux petits (es) producteurs (trices) de percevoir un revenu décent et de couvrir les coûts d’une production durable ;
2. Fournir un soutien financier, des formations et un appui technique agricole aux petits (es) producteurs (trices) et aux populations vulnérables, afin de faire face aux impacts inévitables du dérèglement climatique, de se remettre des chocs climatiques, de rétablir leurs moyens de subsistance et de mettre en place des stratégies d’atténuation et d’adaptation efficientes ;
3. Promouvoir des mécanismes qui répondent à l’internalisation des coûts des activités économiques inéquitables et non respectueuses de l’environnement et encourager les incitations fiscales pour les produits agricoles sans CO2. Par exemple : par l’introduction d’une taxe sur le CO2 ;
4. Veiller à ce que le secteur privé dans les pays du Sud paye des taxes justes et adaptées, et que les États investissent dans le développement de modèles résilients face au dérèglement climatique bénéficiant aux petits (es) producteurs (trices) et aux communautés vulnérables ;
5. Investir dans la recherche agronomique dans les zones les plus touchées et promouvoir des pratiques agricoles centrées sur les petits(es) producteurs (trices). Par exemple : la préservation de la biodiversité et des modèles agroforestiers respectant les connaissances traditionnelles et la souveraineté alimentaire.
La vision commune du mouvement international du commerce équitable est de remettre de l’équité au cœur de nos relations économiques – en replaçant l’humain et la planète avant le profit. De solides alliances et partenariats sont nécessaires pour transformer le système économique actuel qui favorise le maintien des inégalités et l’exploitation croissante de l’environnement. Une réponse mondiale à la menace du dérèglement climatique doit également viser l’éradication de la pauvreté ainsi que le développement durable. Cela implique de donner la priorité à des chaînes d’approvisionnement plus équitables et de veiller à ce que les petits(es) producteurs(trices) et tous les acteurs de la filière aient accès à des moyens financiers et techniques pour mettre en œuvre une production et un commerce résilients face aux dérèglements climatiques.
[1] See http://www.ipcc.ch/report/sr15/
[2] IFAD/ UNEP (June 2013) Smallholders, Food Security and the Environment