« L’ESG, une nouvelle dimension de l’investissement »
Les fonds d’investissements alternatifs, entre risques et opportunités. Les points de vue de Julie Pelcé et Aurélien Hollard, avocats spécialisés dans les sujets ESG (Environnemental, Social et de Gouvernance) au sein de CMS Luxembourg, l’antenne luxembourgeoise du réseau mondial CMS.
Quelles nouvelles opportunités – orientées durabilité - se présentent sur le marché des fonds d’investissements ?
Aurélien Hollard (partner, head of the Investment Fund practice) : « Nous constatons un intérêt croissant du côté des investisseurs pour les fonds d’investissement alternatifs (AIF), c’est-à-dire, comme leur nom l’indique, des fonds qui investissent dans des domaines alternatifs, tels que les énergies renouvelables, les infrastructures, l’immobilier ou encore les sociétés non cotées, comme les start-up. Cet intérêt s’accompagne d’une démocratisation de ces produits financiers - ce qu’on appelle le retailisation. Les investisseurs de détail ont plus tendance à considérer des critères d’éthique et de durabilité, et pas uniquement des critères financiers. Nous avons donc vraiment le sentiment que l’ESG peut être un sujet très sensible et clé dans le développement de cette démocratisation des fonds d’investissements alternatifs. »
Julie Pelcé (managing associate au sein du département Capital Markets et Investment Funds et spécialiste ESG) : « Cet intérêt des investisseurs est suivi par l’intérêt des gestionnaires d’actifs, aussi bien pour s’adapter à la réglementation que pour intégrer les risques de durabilité dans leurs produits et avoir des impacts positifs sur les critères non financiers.
Une étude récente réalisée par Morningstar et l’ALFI indique que fin 2022, le nombre d’actifs dans des fonds dits ‘durables’ - ce qu’on appelle article 8, article 9 sous la réglementation européenne SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation, NDLR) – était légèrement en-deçà des 50 %, avec une constante évolution trimestrielle.
Au-delà des fonds, de plus en plus d’émissions de dettes sont structurées essentiellement pour financer des projets environnementaux et sociaux : green bonds, sustainability bonds, etc. Au Luxembourg, toutes ces activités sont très soutenues, notamment grâce au Luxembourg Green Exchange. »
Des opportunités qui s’accompagnent toutefois de risques. Comment empêcher le « greenwashing » des fonds alternatifs ?
J.P. : « Aussi bien les autorités de surveillance - comme la CSSF - que les régulateurs nationaux, se penchent sur la question du greenwashing, car leur rôle est d’assurer un exercice de marché sain et donc aussi la confiance des investisseurs dans le marché de financement durable. Les législateurs européens sont également très actifs sur ces sujets. Ces derniers mois, on voit presque chaque semaine des nouvelles propositions de directives pour prévenir le greenwashing au niveau des produits, donc pour les consommateurs, ou même des consultations des autorités de régulation européenne sur ce qu’est le greenwashing, parce qu’aujourd’hui nous n’avons pas vraiment de définition commune, ni de réglementation qui pourrait le sanctionner.
Il y a également des discussions autour d’une potentielle réglementation des noms de fonds - qui peuvent parfois faussement intéresser un investisseur, par exemple en utilisant le mot ‘green’ ou ‘ESG’ alors que le fonds ne reflète pas vraiment cela. L’Union européenne a aussi la volonté d’étendre l’Ecolabel des produits de consommation aux fonds d’investissement. On constate donc un réel intérêt de ne pas tromper l’investisseur, comme tout autre consommateur.
Avec toutes ces discussions sur le greenwashing, le marché s’inquiète de ne pas pouvoir répondre au niveau de durabilité attendu, notamment pour remplir ces conditions de noms de fonds, ou d’Ecolabel. Une période de transition sera sans doute nécessaire pour contrôler ce risque de greenwashing tout en s’assurant que les réglementations mises en place sont aussi adaptées au marché. »
En tant qu’avocats, comment accompagnez-vous vos clients pour les éloigner de ce risque de greenwashing ?
J.P. : « Notre rôle est d’abord de les informer sur la réglementation. Pour beaucoup, elle est très opaque, et l’appliquer sans la comprendre peut indirectement mener à du greenwashing. Nous organisons des formations pour nos clients afin d’être sûrs qu’ils comprennent les enjeux et les risques et nous leur conseillons une transparence totale.
A.H. : « Nous leur expliquons les risques fondamentaux et les aidons à mettre en place une stratégie adaptée pour limiter les risques de greenwashing. Il est essentiel qu’ils s’assurent que tout ce qu’ils font est maîtrisé dans leur communication. Je pense que le greenwashing est une problématique d’information trompeuse, qui peut être volontaire comme involontaire. Évidemment, à notre niveau nous ne pouvons rien faire véritablement pour ceux qui le font volontairement. Nous pouvons les aider à mettre leur documentation en ordre avec la réglementation, mais nous ne pourrons pas avoir de réel impact. Ce sera plutôt le rôle de l’approche répressive, punitive qui arrivera dans un second temps, lorsqu’ils auront à faire face à leurs responsabilités.
Là où nous pouvons les aider réellement, c’est sur les aspects d’informations trompeuses involontaires. On les met face au questionnement : si vous proposez cela, êtes-vous vraiment capables de prouver ce à quoi vous vous engagez ? Disposez-vous des process et des données vous permettant de justifier que vous faites bien ce que vous dites ? C’est là notre plus-value : on part d’un exercice de modification de documentation et on aboutit finalement à un vrai changement de paradigme. Ils doivent être conscients que l’ESG n’est pas un exercice de compliance, mais une nouvelle dimension de l’investissement. »
Propos recueillis par Marie-Astrid Heyde
Photo : Marie Champlon
Article tiré du dossier du mois « L’âme de fonds »