L’impact positif des buffles d’eau
À l’instar de la perte continue de la diversité biologique, la nécessité de trouver des concepts innovants pour combiner la protection des espèces avec une exploitation agricole respectueuse de la nature ne cesse d’augmenter. Dans la zone protégée Schlammwiss Brill, un tel projet a été réalisé grâce à un animal domestique peu commun au Luxembourg.
Dès la renaturation de la Syre en 2003, qui rétablissait une panoplie de biotopes du milieu humide, séquestrant du carbone, le pâturage extensif servait comme méthode principale pour gérer les prairies humides du « Schlammwiss Brill », une des plus importantes zones de protection pour les oiseaux migrateurs. Les sols humides et argileux étant particulièrement sensibles au lourd poids des grandes machines agricoles, un pâturage dit « d’intégrité écologique » garantit une gestion douce de la végétation, tout en respectant les oiseaux nicheurs, leur proie principale, des insectes, ainsi que les nombreux amphibiens qui habitent la zone protégée.
Les 15 buffles d’eau, dont la race est originaire des Carpates ukrainiennes et roumaines, pâturent sur une surface de 23 hectares depuis 2021. Les premiers résultats positifs pour la biodiversité ont déjà pu être observés après deux ans. En effet, les buffles sont des vrais ingénieurs d’écosystèmes : le troupeau a créé de nombreuses petites mardelles, c’est-à-dire des mares de petites tailles qui se remplissent naturellement d’eau et qui sont utilisées par les buffles pour s’y vautrer. Ces mardelles déclenchent une véritable cascade en faveur de la biodiversité : elles attirent les amphibiens qui y posent leurs œufs, des oiseaux limicoles qui y cherchent des invertébrés et des hirondelles qui en collectent la boue pour la construction de leurs nids.
Les prairies humides profitent d’une dynamique naturelle. En effet, la grande biomasse d’herbe, présente jusqu’en septembre, qui est avantageuse pour les insectes, est réduite progressivement par les buffles jusqu’en mars de l’année suivante, donnant une opportunité pour des nouvelles plantes de germiner, sans compétition excessive par des herbes graminées. Ainsi, des fleurs de la liste rouge (espèces menacées du Luxembourg), la faune et les iris des marais ont pu étendre leur présence significativement. Les bouses des buffles, à leur tour, attirent de nombreux insectes coprophages (qui se nourrissent d’excréments, de bouse et de matière fécale), dont le très rare scarabée Aphodius satellitius, dont la première détection au Luxembourg a été enregistrée dans une bouse de buffle à Mensdorf en 2021.
Présente à l’inauguration du projet de pâturage d’intégrité écologique, aux côtés de Claude Haagen, la ministre Joëlle Welfring, a souligné le côté « win-win » pour la protection de la nature et l’agriculture. « C’est l’un des premiers endroits où une renaturation à grande échelle d’un cours d’eau, le Syr, a été réalisée. Sur ces prairies humides, les engins agricoles lourds peuvent difficilement circuler. Par conséquent, il a été décidé dès le début d’opter pour un pâturage extensif avec des buffles d’eau. Cela a un effet positif sur la conservation et la création de biotopes et d’habitats. Ce projet de gestion concrète d’une réserve naturelle avec des représentants de l’agriculture locale, également économiquement intéressant, est l’un des exemples qui constituent une part importante de notre plan national de conservation de la nature. Un grand merci à l’agriculteur bio Alex Mehlen, à l’Administration de la nature et des forêts, Gemeng Betzder, la Fondation Hellef fir d’Natur natur&ëmwelt, Claude Haagen et mon équipe du ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable. »
Pour information, c’est l’agriculteur biologique Alex Mehlen de Manternach qui a été retenu comme exploitant du « Menster Brill » et responsable ultime du bien-être des buffles. De nouvelles infrastructures, financées par le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable (MECDD), dont des clôtures, un abri et un nouvel abreuvoir, complètent le bien-être animal sur le site.
Les habitants de Mensdorf, pour leur part, se réjouissent des nouveaux gardiens charismatiques du « Menster Brill ». L’autopédestre, qui entoure le pâturage, offre des belles vues sur le projet. Avec un peu de chance, lorsque les températures dépassent les 20 degrés, on pourra observer les buffles pendant les baignades dans les mares nouvellement installées près du village de Mensdorf. Vu les résultats prometteurs de ce concept de pâturage extensif, le MECDD a l’intention de promouvoir le pâturage à buffles sur d’autres sites renaturés.
Sébastien Yernaux
Photo : MECDD