La fonte des glaces en Antarctique massacre les poussins de manchots empereurs
Une étude scientifique a observé la mort de tous les poussins de manchots empereurs dans quatre colonies de l’Antarctique. Aucun n’a survécu à la récente fonte record de la banquise australe.
L’oiseau emblématique sera-t-il encore sur Terre d’ici la fin du siècle ? Sera-t-il la première espèce polaire à succomber au dérèglement climatique ?
Pour les manchots empereurs, le temps est compté.
Quatre des cinq colonies observées dans la mer de Bellingshausen, dans l’ouest de l’Antarctique, ont souffert de la disparation totale de leurs poussins, noyés ou morts de froid quand la glace a rompu. Selon des images satellites, la glace s’est brisée bien avant que les poussins ne soient suffisamment matures pour survivre dans l’eau.
Ce sont les sombres constations d’une étude menée par des chercheurs du British Antarctic Survey et publiée dans Communications Earth & Environment.
« Il s’agit du premier échec majeur de la reproduction de manchots empereurs dans plusieurs colonies en même temps en raison de la fonte de la banquise et c’est probablement un signe de ce qui nous attend à l’avenir. Nous le prévoyions depuis un certain temps, mais le voir réellement se produire est sinistre », a déclaré l’auteur principal de l’étude, Peter Fretwell.
Une dégradation de l’habitat des manchots empereurs sans précédent
L’année dernière, la banquise a connu sa plus faible superficie jamais enregistrée depuis 45 ans et le début de l’ère des données satellitaires. Des chiffres étayés et confirmés par l’Observatoire du changement climatique de l’union européenne, Copernicus (C3S) comme par le NSIDC, le National Snow and Ice Data Center.
La région de la mer de Bellingshausen est celle qui a connu la fonte la plus massive de sa banquise. Certaines de ses zones ont vu ses glaces s’évanouir entièrement.
C’est lors du printemps de l’hémisphère sud, de la mi-septembre à la mi-décembre, que la banquise antarctique s’est démembrée à des vitesses exceptionnelles, avant de chuter à son plus bas niveau en février/mars. La fonte précoce de la glace doublée de son incapacité nouvelle à se reconstituer n’a laissé aucune chance à la reproduction complexe des manchots.
La fonte de la banquise condamne la fragile reproduction des manchots empereurs
La banquise est le berceau des manchots. Les oiseaux endémiques de l’Antarctique s’accouplent, pondent leurs œufs, couvent et élèvent leurs jeunes sur la banquise côtière en plein hiver lorsque les températures sont les plus austères.
C’est un phénomène qui couvre de long mois. Tous les ans, les adultes entament un périple de centaines de kilomètres pour atteindre à la fin mars leur site de reproduction. Toujours le même. Les femelles pondent un œuf unique entre mai et juin.
Les mâles gardent les œufs au chaud, sans bouger ni manger pendant que les femelles partent en quête de nourriture, parfois sur plus de cents kilomètres.
Les œufs éclosent au beau milieu de l’hiver. Les nouveau-nés demeurent loin de l’eau jusqu’au retour de l’été. Leur duvet laisse alors place à des plumes imperméables, généralement entre décembre et février, ce qui ouvre la voie de leur autonomie désormais en danger.
Les oiseaux marins comptent quelque 250.000 couples reproducteurs. Si ceux de la mer de Bellingshausen représentent moins de 5 % de ce recensement, il faut savoir qu’entre 2018 et 2022, 30 % des soixante-deux colonies connues de manchots Aptenodytes forsteri ont été frappées par une dégradation similaire de leur biotope. Selon M. Fretweel, sur l’ensemble de l’espèce, « il y aura donc beaucoup plus de poussins qui n’auront pas survécu »
Menace d’extinction : l’avenir sombre des manchots empereurs
La question se pose, le plus grand de tous les manchots choisira-t-il de retourner en mer de Bellingshausen ou de s’expatrier ?
Norman Ratcliffe, également membre du British Antarctic Survey et coauteur de la nouvelle étude explique que les manchots empereurs, « ayant un espace de reproduction éphémère et peu fiable, ils se sont adaptés et ont appris à se déplacer pour faire face à leur perte d’habitat. Le problème, c’est lorsque le phénomène se reproduit à l’échelle régionale. La mer de Bellingshausen est une zone immense et nous ne savons pas si les manchots pourront migrer dans une autre région de l’Antarctique ».
Les manchots sont donc en mesure – comme l’ensemble du monde sauvage, pris en étau entre l’activité humaine et le réchauffement planétaire – de puiser dans leurs facultés d’adaptation et de trouver des sites alternatifs. Cependant, les pics inédits de fonte des glaces de mer depuis quelques années font décroître leurs possibilités et leurs ressources qui menacent de s’épuiser irrémédiablement.
En effet, la fonte de son habitat de reproduction n’est pas le seul défi à sa survie issu du réchauffement climatique : l’acidification des océans perturbe l’existence des crustacés, son alimentation.
Jeremy Wilkinson, physicien spécialiste de la banquise au British Antarctic Survey, affirme que le dernier échec de reproduction « est un indicateur spectaculaire du lien entre la perte de la banquise et l’anéantissement de l’écosystème ». Les manchots empereurs sont des proies et des prédateurs primordiaux dans la chaîne alimentaire du continent méridional.
Des mesures de conservation de l’espèce ou de restriction de la visite de l’Homme dans les colonies préservées des perturbations et de la pollution doivent être prises. Pas sûr qu’au regard de l’alerte lancée par les scientifiques, cela suffise. Les chercheurs envisagent qu’au rythme actuel, presque toutes les colonies seront éteintes d’ici 2100.
« Fait inhabituel pour une espèce vertébrée, le changement climatique est considéré comme le seul facteur majeur influençant l’évolution à long terme de leur population ». Ce sont les mots du British Antarctic Survey.
Sans retournement de situation, les manchots empereurs deviendront les stars délaissées et disparues de films à succès d’autrefois, tels Happy Feet ou La Marche de l’empereur. Des images d’archives.
Par Sébastien MICHEL