Le bio, de la politique au terrain
Le gouvernement a des objectifs ambitieux pour l’agriculture biologique. Mais est-ce possible sur le terrain ? Infogreen fait le point avec le ministre Romain Schneider et le nouveau (jeune) président de la Centrale paysanne, Christian Wester. Nous leur avons posé les mêmes questions et confronté leurs réponses.
Le plan d’action national de promotion de l’agriculture biologique PAN-Bio 2025 a pour objectif d’atteindre 20% des surfaces agricoles du Luxembourg exploitées en agriculture biologique à l’horizon 2025. Où en est-on ?
Romain Schneider : Aujourd’hui, le mode agriculture biologique représente 5,18% de la surface agricole exploitée nationale. Nous observons une progression linéaire moyenne de 7% très encourageante de l’agriculture biologique au Luxembourg sur les dernières années. Notre objectif gouvernemental à l’horizon 2025 est certes un défi très ambitieux, mais nous allons dans la bonne direction ! Le plan PAN-Bio 2025 et les projets pilotes que nous avons élaborés avec le secteur portent leurs fruits à moyen terme, de la fourche à la fourchette. Les exploitations agricoles qui ont entamé leur conversion vers l’agriculture biologique reflètent presque toute la palette des secteurs agricoles, viande, fruits, légumes, viticulture, céréales, apiculture. Nous faisons aussi tout pour conseiller et accompagner les agriculteurs dans ce processus vers la production primaire biologique. Notre coordinateur « Bio » est en dialogue permanent avec tous les agriculteurs et représentants du secteur.
Christian Wester : Le “PAN-Bio 2025” veut atteindre environ 25.000 ha de surface agricole cultivés en biologique. Pour le moment, la surface agricole utilisable (SAU) en bio représente 6324 ha, y inclus les surfaces des exploitations encore en conversion. Cela veut dire que la surface réellement cultivée et certifiée est inférieure au nombre proclamé par le ministre. Pour atteindre les objectifs du plan, il faudrait que plus de 200 exploitations agricoles commencent la conversion dans les mois à venir. Honnêtement je n’y crois pas. Et s’il y avait suffisamment d’agriculteurs prêts à la conversion, je doute que les services de consultation aient assez de capacité à traiter toutes les demandes.
Les réalités du monde agricole et des marchés économiques traditionnels semblent être un frein. Pourquoi ?
C.W. : L’agriculture respecte, plus que tout autre secteur économique, des valeurs civiles et sociales plutôt traditionnelles. Le respect de la nature et de nos animaux a de fortes racines dans le monde agricole. Le rêve de chaque paysan est de pouvoir transmettre une exploitation saine, en tous sens, à la prochaine génération. Pour pouvoir garantir le bien-être de la ferme et des exploitants, il faudra parfois des investissements qui ne sont pas compatibles avec les doctrines économiques d’aujourd’hui. Depuis toujours, le monde agricole a connu des changements et des développements de production. Ces adaptations ne se font que lentement, mais en continu. Si on force le monde agricole à se modifier plus vite que d’habitude, on crée des restrictions envers le but qu’on veut atteindre. C’est ce qui se passe pour le moment. L’agriculture biologique n’a pas que des avantages. Mais la politique n’en parle pas ! Il faut voir notamment la réalité de la production et du marché, des fruits et légumes, ainsi que pour les vignobles. Les agriculteurs se rendent parfaitement compte de ces contraintes, mais la politique ne propose pas de solutions suffisantes pour la plupart des exploitants.
R.S. : Je ne pense pas qu’il y ait lieu de parler de frein, mais je suis conscient des particularités de notre agriculture luxembourgeoise, fortement axée sur la production laitière, du fait que la conversion d’une exploitation vers l’agriculture biologique peut prendre jusqu’à 3 ans, et que cette année de crise COVID-19 n’encourage pas la prise de risques. Cependant, nous constatons que de plus en plus de surfaces agricoles sont certifiées bio au niveau national, européen et mondial et que le secteur de la transformation alimentaire est également en train d’évoluer. Le bio est dans l’air du temps et les ménages augmentent leurs dépenses pour des produits agricoles biologiques d’année en année. Je suis donc confiant que l’agriculture biologique, et de manière générale les produits agricoles durables et de qualité ont de belles perspectives de développement devant eux. Le consommateur en est demandeur !
Comment fédérer davantage autour des projets d’agriculture biodynamique, résiliente, durable ? Le secteur est-il prêt à changer les modèles ?
R.S. : C’est justement l’approche holistique du plan « PAN-Bio 2025 » qui va nous aider à augmenter la cadence pour accompagner des projets agricoles durables, afin de mettre en rapport l’offre et la demande de produits bio. Il est vrai qu’il faut tendre la main à tous les acteurs de la chaîne de production, mais nous constatons que le secteur agricole s’oriente déjà vers la résilience et la durabilité. Nous comptons aussi sur le rôle modèle des nouveaux porteurs de projets pilotes qui développent la filière bio, et sur le succès de nos fermes de démonstration biologiques ouvertes aux agriculteurs et professionnels intéressés. Enfin, en restant à l’écoute des attentes sociétales, notre agriculture s’oriente de manière dynamique vers une approche globale de durabilité et de résilience.
C.W. : La jeune génération d’agriculteurs se rend bien compte que tout ne peut plus continuer comme par le passé. Par contre, le monde agricole refuse une politique qui polarise, entre les exploitants traditionnels et les agriculteurs biologiques. Les agriculteurs d’aujourd’hui sont prêts à s’adapter aux défis de notre société, ils voudraient aussi lutter contre le changement climatique par exemple. Mais la politique bloque certaines nouvelles technologies vraiment utiles à l’agriculture. Sachant que chaque méthode de production a des avantages et désavantages, le monde agricole souhaite une politique moins idéologique. Nous avons besoin d’une politique qui fait avancer le secteur, en se servant des avantages de chaque méthode de production pour supprimer le plus possible les désavantages de chacune d’entre elles.
Propos recueillis par Alain Ducat
Article tiré du dossier du mois « De la Terre à la terre »