Le Nutri-Score : pour ou contre ?
Alors que beaucoup regardent cet indice présent sur de nombreux emballages alimentaires, deux clans s’opposent, au sein de l’Union Européenne, pour son harmonisation. Une lutte d’influence qui pourrait conduire jusqu’à sa disparition.
Les célèbres lettres A, B, C, D, E, apposées sur les emballages alimentaires, sont connues de toutes et tous. Outre leurs couleurs allants du vert au rouge, elles permettent surtout de savoir si un aliment s’intègre ou non dans une vie saine. En effet, ces lettres évaluent la teneur en bons nutriments (protéines, fibres, fruits et légumes, les légumes secs …), mais également les mauvais comme les acides gras saturés, le sucre ou le sel en excès, et d’une façon globale, les aliments trop caloriques qui figurent en fin de classement.
Cette évaluation, aussi simple qu’efficace puisqu’elle nous rappelle le fonctionnement d’un feu de circulation, est apparue en France en 2017 afin de lutter contre la fameuse malbouffe. L’étiquetage des produits selon le Nutri-Score n’est pas obligatoire. Les entreprises qui souhaitent le voir apposé sur leurs produits s’inscrivent sur une plateforme.
Si le système est donc assez simple, il divise de manière assez féroce au cœur de l’Europe. En plus de la France, la Belgique, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, et l’Espagne ont adopté cette référence. Sans oublier la Suisse. Selon une étude réalisée en 2020 en France, le dispositif est identifié par 93% des consommateurs. Un tiers des Français interrogés le jugent déterminant dans leurs achats. Plus d’un sur deux déclare même avoir changé ses habitudes de consommation depuis sa mise en place. Enfin, le bilan met en avant l’impact de ce logo sur la santé, pour les personnes consommant des aliments mieux classés.
L’Italie en tête de la fronde
Dans le cadre de la stratégie contre cette fameuse « malbouffe », la Commission européenne devait présenter une proposition d’étiquetage harmonisé et obligatoire avant la fin 2022. Mais elle a été repoussée à une date indéterminée en 2023. Pourquoi ? Suite à une fronde menée par l’Italie, qui y voit une menace pour son industrie agroalimentaire et sa gastronomie. Les Italiens ne sont pas les seuls puisqu’ils sont soutenus par Chypre, la Grèce, la République tchèque, la Roumanie ou encore la Hongrie.
Selon l’Italie, son industrie serait directement touchée par cette uniformisation qui ne correspond pas à ses propres barèmes. Les produits phares de sa gastronomie et du régime méditerranéen (huile d’olive, miel, fromages comme le parmesan, le jambon de Parme, les pizzas...) seraient, selon les représentants de la Coldiretti (principale association professionnelle du secteur agricole en Italie), tout simplement dévalorisés. Leurs arguments ? « Le Nutri-Score finit par exclure de l’alimentation des aliments sains et naturels présents sur les tables depuis des siècles pour privilégier des produits artificiels. »
Un argument volontiers repris par plusieurs eurodéputés qui suggèrent de cibler les aliments ultra-transformés et leur marketing plutôt que les produits du terroir. « La surcharge pondérale des adolescents ne vient pas du fait qu’ils mangent trop de camembert », ironise l’eurodéputée, Irène Tolleret (Renew, libéraux).
Selon 270 scientifiques qui ont lancé un appel en faveur du Nutri-Score le 16 mars 2021, celui-ci est le seul logo nutritionnel en Europe à avoir fait l’objet de nombreuses études scientifiques démontrant son efficacité, sa pertinence et son utilité pour les consommateurs et la santé publique.
« Une campagne de lobbying intense contre cet outil au profit d’intérêts commerciaux a malheureusement brouillé les cartes », regrette Emma Calvert, du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), alors qu’en Europe l’obésité concerne désormais un adulte sur quatre, selon l’OMS.
Si l’Italie ne nie pas ce phénomène d’obésité, elle pointe du doigt la problématique de comparaison et propose le Nutrinform Battery, qui tient compte des portions potentiellement consommées. L’idée serait de tenir compte des portions. Pour l’heure, le Nutri-Score français évalue effectivement les aliments selon la même référence de 100 grammes ou 100 millilitres dans le but de favoriser les comparaisons, sans tenir compte du fait que certains, comme l’huile d’olive ou le fromage, sont consommés en petite quantité.
Bref, fervents comme opposants ne sont pas décidés à changer leurs opinions. Et pourtant, le temps presse, car la proposition de la Commission doit être débattue par les États puis soumise aux eurodéputés dont le mandat expire en 2024.
Sébastien Yernaux