Le rôle des fonds philanthropiques pour saisir les défis du handicap
Carte blanche de Dr Maximilian Martin, Global Head of Philanthropy, Groupe Lombard Odier.
Aujourd’hui, les fonds philanthropiques peuvent jouer un rôle crucial permettant de contribuer à répondre à la crise du handicap et créer une économie et une société plus inclusives. En effet, les personnes en situation de handicap, qu’il soit physique, sensoriel, psychosocial ou intellectuel, représentent 16% de la population mondiale.
Au Luxembourg, environ 15% des résidents se trouve en situation de handicap. Les trois handicaps les plus fréquemment rencontrées sont la malvoyance (8,9% de la population totale), la mobilité réduite (3,9%) et le handicap auditif (2,5%), et le handicap augmente fortement avec l’âge. Les personnes concernées sont confrontées à de nombreux défis si elles veulent participer à l’économie et à la société : leur niveau de formation est plus faible que celui des autres personnes, leur taux d’emploi (57,1%) est inférieur à la moyenne nationale et leur taux de chômage (8,0%) dépasse la moyenne nationale. En 2023, le ministère luxembourgeois de la Famille, de l’Intégration et la Grande Région, en collaboration avec le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER), a lancé une enquête sur les besoins des personnes en situation de handicap au Luxembourg. L’objectif de cette enquête était d’évaluer ce qui devrait être mis en place dans le Grand-Duché pour que les personnes en situation de handicap puissent gérer leur quotidien de façon plus autonome.
En parallèle avec les politiques publiques et aux côtés des organisations de la société civile, la philanthropie joue un rôle important dans le financement d’un avenir plus équitable et plus inclusif, pour tous. Mais il reste encore énormément à faire. En Amérique par exemple, les dons des fondations consacrés au handicap ne représentent que 2% du montant total. Or, un Américain sur quatre est en situation de handicap. En outre, les mesures de soutien visent souvent à « corriger » ou à « guérir » le handicap, sans chercher à éliminer les barrières systématiques et la discrimination auxquelles les personnes concernées sont confrontées.
Pour répondre aux besoins des personnes en situation de handicap à grande échelle, il est essentiel d’augmenter le financement total et d’améliorer le rapport coûts-bénéfice. Heureusement, la situation évolue et trois voies s’ouvrent à nous pour renforcer les efforts en la matière.
Premièrement : repenser le champ d’action
Le nombre de personnes en situation de handicap mental ou physique ne cesse d’augmenter, comme en témoigne la hausse des demandes d’allocations d’invalidité dans les pays industrialisés. Le vieillissement de la population décuplera la proportion de personnes handicapées nécessitant des technologies d’assistance. Aujourd’hui, dans le monde, 2,5 milliards de personnes ont besoin d’au moins une technologie d’assistance (fauteuil roulant, appareil auditif, prothèse, lunettes ou service digital). Mais, bien souvent, le handicap est encore considéré comme un sujet de niche. Cette situation doit changer.
Des progrès sont urgents, surtout dans les pays en développement où les inégalités d’accès aux soins sont très marquées, principalement en raison de la pauvreté et des conflits. Dans les pays dans des situations de conflits de longue durée, la population handicapée est beaucoup plus importante. Plus de 50% des personnes en situation de handicap dans le monde vivent dans les pays touchés par des crises ou des conflits. En Syrie par exemple, on estime qu’au moins 25% des personnes âgées de plus de douze ans souffrent d’un handicap.
Deuxièmement : donner la priorité à la prévention
En plus de mieux répondre au handicap, l’une des stratégies les plus importantes consiste avant tout à empêcher qu’il ne survienne.
Par exemple, pour apprendre et participer à la vie scolaire, un enfant doit pouvoir voir de loin. Dans les pays en développement, où les examens oculaires et l’accès aux lunettes ne sont pas garantis, les projets philanthropiques et de développement permettent de prévenir le handicap et ses conséquences. La Fondation Fred Hollows, financée par l’agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development ou USAID), a soutenu ATscale dans la conception du projet « Scaling up Refractive Error Services in Cambodia ». Ce programme de trois ans mis en place par le gouvernement du Cambodge vise à fournir à 275.000 Cambodgiens, y compris aux enfants en âge de scolarité, des technologies d’assistance telles que des prothèses, des fauteuils roulants et des lunettes.
Troisièmement : valoriser la technologie
Pour mieux répondre au handicap, il faudra tirer parti des avancées réalisées dans les technologies et les modèles de distribution. Le mouvement de la « technologie abordable » a permis de faire de grands pas pour la vision et l’audition des personnes les plus démunies au cours des 20 dernières années. Pionnière en la matière, l’entreprise sociale VisionSpring a distribué plus de 12 millions de paires de lunettes correctrices dans 29 pays depuis sa création en 2001, pour un impact économique estimé à USD 2,6 milliards . Cinquante-huit pour cent de ces lunettes ont été attribués à des personnes qui n’en avaient jamais porté auparavant.
La technologie transforme également les possibilités dans les domaines de la prothétique et de l’orthétique. Dans les pays à faible revenu, plus de 30 millions de personnes en situation de handicap ont besoin de prothèses ou d’orthèses. Ces appareils sont essentiels à la mobilité et permettent à leurs utilisateurs de pleinement participer à l’économie et à la société. Mais, en raison de coûts élevés, d’une production limitée et d’une pénurie de personnel qualifié, 85% à 95% des personnes qui en ont besoin ne peuvent pas y accéder. En Afrique, en moyenne, il n’existe qu’une seule unité de production par tranche de deux millions d’habitants1. Afin de garantir l’accès auprès des personnes vivant dans des zones de conflit ou dans des endroits reculés, Handicap International fabrique des appareils personnalisés depuis 2019, en combinant l’impression 3D et la télémédecine . Le personnel médical commence par scanner le membre du patient ayant besoin d’une orthèse ou d’une prothèse. Les images sont ensuite transmises directement sur une imprimante 3D qui fabrique un appareil personnalisé, sans que la présence du patient soit nécessaire. Une fois l’impression terminée, l’appareil n’a plus qu’à être envoyé à son destinataire.
En agissant à plus grande échelle, en prévenant le handicap dans la mesure du possible et en valorisant la technologie pour que les solutions deviennent plus abordables et accessibles, nous créons des opportunités prometteuses pour répondre à la crise du handicap.
L’objectif est clair : bâtir un monde où chaque voix compte, où chaque talent est apprécié et où l’inclusion devient la norme. Toutefois, l’inclusion des personnes en situation de handicap dans chaque aspect de l’économie et de la société, et la prestation des services dont elles ont besoin, ne seront pas automatiques. Les fonds philanthropiques peuvent jouer un rôle important dans le financement qui transformera les nombreuses possibilités en réalités concrètes.
Dr Maximilian Martin, Global Head of Philanthropy, Groupe Lombard Odier
1 Lombard Odier et Handicap International, 2024, « Guide du donateur : le handicap »