Le traité transatlantique de libre-échange est l’ennemi du climat
Menaces contre les directives environnementales, arbitrage juridique contre les États, accroissement des échanges générateur de CO2…
Alors que les discussions entre les États-Unis et l’Union européenne sur le traité de libre-échange se poursuivent, l’auteur de cette tribune démontre que ce traité est incompatible avec l’accord de Paris sur le climat.
Olivier Derruine est assistant parlementaire au groupe des Verts/ALE au Parlement européen et rédacteur du blog d’analyse socioéconomique Délits d’initiés .
Du 22 au 24 février 2016, les États-Unis et l’Europe se rencontreront pour la douzième fois dans la perspective de constituer le plus grand marché libéralisé du monde. Or, il semble que la protection de l’environnement et l’action contre le changement climatique puissent être considérées par les délégations comme des barrières techniques au commerce , donc à éliminer.
Ainsi, Michael Froman, le chef des négociateurs états-uniens, a déclaré que la directive européenne promouvant les énergies renouvelables et celle sur la qualité des carburants sont des barrières techniques au commerce qu’il convient de démanteler par le biais du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP [1]), connu également sous le nom de zone de libre-échange transatlantique (Tafta [2]). Or, ces directives sont au cœur de la transition énergétique et écologique de nos économies.
Un moyen de contester des réglementations
La première directive est un instrument permettant à l’Europe d’atteindre 20 % de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et de porter à 10 % minimum les biocarburants dans la consommation d’essence et de gazole. La seconde vient en appui, en contraignant les fournisseurs de combustibles à réduire de 10 % d’ici à 2020 les émissions générées tout au long du cycle de vie des combustibles. Mais ces directives poseraient surtout des contraintes aux industriels états-uniens qui voudraient ne pas devoir en tenir compte pour bénéficier du marché unique européen. Tout porte à croire que si ces directives n’étaient pas neutralisées par le TTIP, elles ne seraient plus actualisées, de sorte que des objectifs plus ambitieux pour le futur, c’est-à-dire au-delà de 2020, ne seraient plus fixés.
L’insistance tant des États-uniens que des Européens à inscrire dans le traité la clause ISDS (Investor-State Dispute Settlement, soit mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États ), ou une alternative pas tellement différente sur le fond, est également de mauvais augure : le professeur de droit international Gus Van Harten a passé en revue 196 procédures ISDS. 34 cas renvoyaient à des litiges sur les ressources naturelles et 40 autres à des contestations de décisions gouvernementales visant à protéger la santé publique et l’environnement. Autrement dit, les investisseurs privés, et en l’occurrence les grandes multinationales qui ont les ressources pour recourir à cette procédure, jouissent par ce biais d’un moyen de contester des réglementations qui, pourtant, vont dans le sens de l’intérêt général et de la préservation de la planète. L’ISDS crée donc une nouvelle brèche dans l’accord climatique de Paris et dans les accords connexes comme la Convention sur la biodiversité et le protocole de Nagoya qui lui est associé.
La promesse d’un ridicule gain annuel de 0,05 % du PIB
Selon une récente étude de la chambre de commerce états-unienne en Europe et qu’il faut prendre avec précaution , les exportations de la majorité des États membres à destination des États-Unis croîtraient avec le TTIP de 20 % au moins (+ 23 % pour la France). À supposer que ce chiffre soit proche de la réalité, le flux de marchandises devra être transporté par fret maritime et aérien sur plus de 5.000 kilomètres. Or, le secteur du transport international a été exempté de l’accord de Paris ! Ceci est particulièrement préoccupant alors que, pour l’ OCDE , les émissions de CO2 imputables au commerce international augmenteraient de 290 % d’ici à 2050…
Et tout ça pour quoi ? Pour la promesse d’un ridicule gain annuel de 0,05 % du PIB (produit intérieur brut), dont l’ensemble des populations concernées ne profiteraient même pas équitablement : en effet, seule une poignée d’entreprises [3] et leurs actionnaires en profiteront réellement au détriment des PME, des travailleurs, des consommateurs, des écosystèmes et des générations futures. Cette hausse infinitésimale du PIB, indicateur par ailleurs hautement décrié, ne justifie absolument pas les énormes risques environnementaux (et sociaux) esquissés ci-dessus.
Notes :
[1] Transatlantic Trade and Investment Partnership.
[2] Transatlantic Free Trade Area.
[3] Selon le Moniteur du commerce international , le commerce extérieur français souffre d’une« faiblesse structurelle » : les exportations y sont concentrées par les grandes entreprises – 70 % des exportations françaises sont ainsi réalisées par les 1.000 premiers exportateurs.
Source : Reporterre – www.reporterre.net - Olivier Derruine