Les micropolluants, de nos maisons aux rivières

Les micropolluants, de nos maisons aux rivières

Que deviennent nos eaux usées, notamment après qu’on se soit brossé les dents, douché, ou qu’on ait fait la vaisselle ? Ces eaux dites « résiduaires » sont envoyées vers les stations d’épuration, où elles sont filtrées avant de rejoindre les cours d’eau. Une filtration qui a ses limites…

Au Grand-Duché, sept syndicats se partagent les stations d’épuration du pays, complétés par la Ville de Luxembourg qui gère la station de Beggen. Actuellement, le traitement des eaux usées consiste en une filtration mécanique des résidus solides, suivie par un traitement biologique appelé « procédé des bouées activées », ou par disques biologiques dans les plus petites stations.

Le problème, c’est que ces systèmes ne sont pas en mesure de débarrasser les eaux sales des micropolluants, qui se retrouvent automatiquement dans les rivières. Dr.-Ing. Christian Köhler est responsable du service exploitation de la division technique au sein du SIDERO, Syndicat intercommunal de dépollution des eaux résiduaires de l’Ouest. Auparavant, il était chercheur au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), sur cette thématique précise. Il explique : « Nous avons réalisé des études de cas dans une dizaine de stations d’épuration. Nous avons mené des campagnes de mesures pour définir la quantité de micropolluants qui entre dans nos stations, la quantité qui en sort et la quantité présente dans les rivières. Et c’est plutôt substantiel. »

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Cliquez pour agrandir - ©SIDERO

Une soixantaine – 59 pour être exact – de micropolluants ont été analysés, issus d’une liste proposée par la Commission européenne. Il poursuit : « Plus de 50% de ces composants étaient présents en haute concentration dans les eaux usées et dans les effluents des stations. Certains d’entre eux sont réputés néfastes pour l’environnement. » Dans les rivières aussi, les chiffres sont élevés, bien au-dessus des normes de qualité environnementale.

Des dents propres pour une rivière sale

Ce slogan pourrait être attribué à de nombreuses marques de dentifrices très répandues sur le marché. Beaucoup de produits d’hygiène, comme les dentifrices et bains de bouche, contiennent du triclosan, un agent antibactérien reconnu comme perturbateur endocrinien.

Nous avons donc probablement tous des produits problématiques dans nos armoires. « Le diclofenac, par exemple, contenu dans le Voltaren, a des conséquences sur l’environnement », précise l’ingénieur. Il ne devrait être utilisé qu’en cas de nécessité absolue, et surtout ne pas être trop rapidement suivi par une douche, qui envoie le diclofenac droit vers nos rivières…

Dispositif d'analyse des micropolluants du SIDERO
Dispositif d’analyse des micropolluants du SIDERO - ©SIDERO

En dehors des murs, d’autres substances sont concernées : le plus classique est certainement le glyphosate, d’abord interdit au Luxembourg avant d’être de nouveau autorisé en 2023. Les peintures pour façades sont aussi source de problèmes pour les cours d’eau. Dès qu’il pleut, elles libèrent des polluants.

Depuis un an, le SIDERO dispose de son propre laboratoire d’analyse à Beringen, qui couvre les besoins de tout le pays, à l’exception du Nord et de la capitale, qui ont leur propre matériel. « Nous y mesurons les polluants conventionnels, pour répondre aux normes de qualité de l’Agence pour la gestion de l’eau (AGE). Et depuis 2023, nous avons un système de chromatographie liquide qui est capable de mesurer les micropolluants ». Cette attention pour la présence de micropolluants est très récente et sera prochainement convertie dans des textes légaux.

Les innovations technologiques, pour aller de l’avant ?

Il paraît évident que ces produits néfastes, tant pour l’Homme que pour la nature, devraient être supprimés de nos consommables. Cela éviterait de nombreux soucis de santé et épargnerait des sommes astronomiques investies dans la R&D.

Heureusement, toutefois, que l’innovation peut permettre de limiter certains dégâts. Des projets pilotes sont menés à travers le pays pour davantage filtrer ces polluants ou les transformer pour les rendre plus acceptables.

À Neuhausen, un bassin grandeur nature a été construit (avec le soutien de l'AGE et de l'Université du Luxembourg) en vue de tester la filtration RBFplus. Ronny Diederich, SIDEN : « Inspirés des processus naturels, les bassins de filtration RBFplus utilisent des substrats spécifiques pour adsorber les micropolluants tout en favorisant leur décomposition biologique. »
À Neuhausen, un bassin grandeur nature a été construit (avec le soutien de l’AGE et de l’Université du Luxembourg) en vue de tester la filtration RBFplus. Ronny Diederich, SIDEN : « Inspirés des processus naturels, les bassins de filtration RBFplus utilisent des substrats spécifiques pour adsorber les micropolluants tout en favorisant leur décomposition biologique. » - ©SIDEN

Ronny Diederich, ingénieur diplômé, a récemment présenté sur infogreen.lu des projets mis en place par le SIDEN, Syndicat intercommunal de dépollution des eaux résiduaires du Nord : « Ces initiatives, souvent réalisées en collaboration avec l’Université du Luxembourg et l’AGE, ainsi que des acteurs européens, couvrent des approches variées, allant des solutions techniques aux solutions naturelles ».

Quatre techniques y sont ou y ont été appliquées :

  • Le charbon actif pulvérisé (PAK)
  • Le procédé AOP (ozonation-oxydation)
  • Les bassins de filtration RBPplus
  • La combinaison de l’ozonation et du charbon actif

Cette dernière sera prochainement utilisée dans la station de Bleesbrück. Les travaux débuteront fin 2025.

Le SIDEN n’est pas le seul à mettre en place ces méthodes pionnières. L’Université de Luxembourg prévoit par exemple des essais pilotes avec la technologie RBF sur le site de Hersberg, comme le confie Danièle Mousel, directrice adjointe du Syndicat Intercommunal de dépollution des eaux résiduaires de l’Est (SIDEST).

« En sus, le SIDEST avait un projet pilote qui investiguait une combinaison filtration, ozonisation et charbon actif pour éliminer les micropolluants organiques et mettre à disposition des eaux désinfectées pour une réutilisation comme eau d’irrigation dans l’agriculture, la viticulture et le domaine urbain. Ce projet fut réalisé à Grevenmacher et est terminé. Les résultats sont très prometteurs », précise Mme Mousel.

Au SIDERO, les stations de Mamer et Beringen/Mersch seront équipées d’un système combinant ozonation et filtre biologique d’ici trois à quatre ans. « Les installations sont très coûteuses et nécessitent beaucoup d’espace, ce dont nous ne disposons pas facilement au Luxembourg », note Christian Köhler.

Dans les plus petites stations, qui concernent l’équivalent de 10.000 habitants maximum, de tels investissements ont peu de sens. Des marais artificiels pourraient être construits à proximité des sites de Dondelange, Fischbach et Bourglinster. Cette alternative plus économique semble être efficace pour les plus petites centrales, comme étape de post-traitement, selon les recherches de Silvia Venditti de l’Université du Luxembourg.

Toutes ces méthodes sont, à un stade ou un autre des procédés, très énergivores. Et ne résolvent le problème qu’en bout de chaîne…

Marie-Astrid Heyde
Photo principale : station d’épuration de Heiderscheidergrund ©SIDEN
Article tiré du dossier du mois « Eau-delà »

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Publié le lundi 10 février 2025
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