Les véhicules autonomes pour mieux gérer le train-train quotidien

Les véhicules autonomes pour mieux gérer le train-train quotidien

La conduite de demain tend vers plus d’autonomisation, mais dépend encore fortement des avancées technologiques. Tôt ou tard, les voitures autonomes sillonneront les routes du Luxembourg, comme certaines navettes le font déjà. Un concept durable ?

Prof. Raphaël Frank
Prof. Raphaël Frank - ©SnT

Prof. Raphaël Frank dirige le groupe de recherche UBIX de l’Interdisciplinary Centre for Security, Reliability and Trust (SnT) de l’Université du Luxembourg. Il est spécialisé dans l’intelligence artificielle appliquée à la mobilité et travaille sur des sujets smart mobility, notamment la conduite connectée et autonome. Son équipe interdisciplinaire se compose d’une douzaine de chercheurs férus, entre autres, d’intelligence artificielle, de mathématiques et de systèmes de communication.

Depuis juin 2024, il dirige également le programme IPBG (Industrial Partnership Block Grant) Atlas, soutenu à hauteur de 1,5 million d’euros par le Fonds National de la Recherche luxembourgeois. Neuf thèses de doctorat vont ainsi pouvoir bénéficier d’une bourse pour booster les connaissances en matière de systèmes autonomes intelligents, en grande partie sur terre, mais aussi dans les airs et dans l’espace.

Dans le cadre de notre dossier mobilité, Prof. Raphaël Frank nous fait un état des lieux de la recherche en matière de conduite autonome et répond à nos interrogations quant aux aspects durables liés à ces véhicules (plus si) futuristes.

Avancées technologiques en général / au Luxembourg

« Ces dernières années, il y a eu pas mal de déploiement, par exemple de robotaxis aux États-Unis et en Chine. La technologie devient mature et il y a une base légale qui permet d’exploiter ce type de service de façon commerciale.

Les portes des robotaxis Pony AI s'ouvrent grâce à un QR code. Ces véhicules autonomes roulent déjà en Chine. Le déploiement européen se fera depuis le Luxembourg où l'entreprise californienne est sur le point d'ouvrir ses bureaux
Les portes des robotaxis Pony AI s’ouvrent grâce à un QR code. Ces véhicules autonomes roulent déjà en Chine. Le déploiement européen se fera depuis le Luxembourg où l’entreprise californienne est sur le point d’ouvrir ses bureaux - ©Business Wire

En Europe et plus précisément au Luxembourg, il y a également de plus en plus d’initiatives, comme la signature il y a quelques mois d’un partenariat avec Pony.ao qui est, je dirais, dans le top 5 des entreprises qui font des robotaxis. Pony.ai va devenir un partenaire de recherche important pour notre équipe. »

NDLR : Pony AI est sur le point d’ouvrir un centre de recherche à Bissen (selon Paperjam) et de tester le déploiement de véhicules autonomes pour l’Europe, depuis le Luxembourg.

Pistes d’amélioration

« Il reste pas mal de boulot pour faire en sorte que ces voitures n’aient plus besoin d’opérateurs qui sont encore généralement présents pour s’assurer que le système fonctionne bien. D’un point de vue économique, ces opérateurs représentent également un coût élevé. L’idée, dans les années à venir, est d’essayer de mettre en place davantage de systèmes de sécurité et de développer ce qu’on appelle du tele-operated driving, avec des opérateurs qui surveillent, en temps réel mais à distance, une flotte de véhicules autonomes et qui interviennent à partir d’un réseau très performant – 5G de nouvelle génération.

Les systèmes fonctionnent très bien dans 95% des situations, mais il reste 5% de edge cases, des situations très complexes difficilement gérables par l’IA car nous n’avons pas d’exemple d’entraînement à lui fournir alors qu’elle est généralement entraînée sur des scénarios réels. Il nous faut donc plus de données, par exemple grâce à l’IA générative qui peut créer des scénarios réalistes très très rares de façon synthétique. »

Au Luxembourg, les CFL ont introduit deux minibus autonomes de la marque néo-zélandaise Ohmio. Sales-Lentz fait de même avec les navettes françaises Navya
Au Luxembourg, les CFL ont introduit deux minibus autonomes de la marque néo-zélandaise Ohmio. Sales-Lentz fait de même avec les navettes françaises Navya - ©CFL

L’exemple des navettes Ohmio

« Au Luxembourg, il y a déjà des navettes autonomes Ohmio qui circulent, toujours avec un opérateur à bord. Nous avons une proposition de recherche – en attente de validation - avec Ohmio et l’opérateur Post, pour tester les performances du réseau et voir s’il serait faisable de l’utiliser pour qu’un opérateur téléguide, le cas échéant, ces véhicules autonomes de façon très efficace. Il faut pour cela une latence très faible, afin que l’opérateur puisse être très réactif.

Cela nécessite également que nous ayons accès à tous les capteurs, aux systèmes de caméra, à la position à partir de technologies de positionnement beaucoup plus précises que le GPS, etc. Et donc des bandes passantes ultra-performantes pour transmettre ces données. »

Durabilité : les bons points…

« J’ai un avis très personnel sur le sujet.

Les véhicules autonomes sont souvent des véhicules électriques en raison de la boîte automatique qui facilite déjà l’intégration de systèmes autonomes. Je pars du principe qu’une voiture électrique est plus écologique qu’une voiture à moteur thermique, dans la plupart des cas, même s’il y a bien sûr matière à discussion.

Deuxième aspect, c’est que le système autonome est en général plus efficace. On va consommer moins d’électricité, parce que le mode de conduite est limité en vitesse, et est plus fluide – il n’y a pas ces accélérations et ces freinages très brusques d’une conduite manuelle, qui augmentent la consommation.

Et dernier point, qui est selon moi le plus important, c’est que, dans un futur - j’espère pas trop lointain ! - le concept ne sera plus d’acheter des voitures, mais d’accéder à un service de mobilité à la demande. Vous payerez un abonnement, et vous pourrez demander à la voiture qu’elle vienne vous chercher pour vous emmener où vous voulez. Cela signifie qu’il y aura moins de voitures en circulation, c’est plus écologique et ça réduit aussi les embouteillages. Cela ne doit pas empêcher les citoyens de conserver leur old timer pour le week-end et pour le plaisir. Mais ça permettra de mieux gérer la mobilité au quotidien. »

… et ceux qui nécessitent plus d’attention

« Certains reprochent aux voitures autonomes d’utiliser beaucoup d’ordinateurs, de data centers et donc beaucoup de puissance de calcul. C’est vrai qu’aujourd’hui, cela requiert pas mal d’électricité et c’est un point qui peut encore être optimisé. Nous allons dans cette direction en améliorant les processus d’entraînement d’IA pour qu’ils deviennent moins lourds et donc nécessitent moins d’ordinateurs.

Du côté du marché du travail, il y aura probablement moins de boulot pour des chauffeurs, mais ce sera un processus graduel dans les 20 prochaines années, ça ne va pas venir d’un jour à l’autre de façon disruptive. Ces personnes trouveront à mon avis d’autres fonctions dans le même secteur, en tant qu’opérateur ou dans des jobs plus techniques pour lesquels il faudra donner les moyens de se reconvertir. »

Propos recueillis par Marie-Astrid Heyde
Photo : L’équipe de Raphaël Frank dispose d’une voiture qui a été modifiée pour effectuer des tests de conduite autonome sur routes publiques. Ce véhicule est mis en circulation plusieurs fois par an. ©SnT

Article tiré du dossier du mois « En pistes »

Article
Publié le mercredi 2 octobre 2024
Partager sur
Avec notre partenaire
Nos partenaires