
Cinq ans de gratuité des transports publics : entre succès et limites
En 2020, le Luxembourg devenait le premier pays à offrir la gratuité totale des transports publics. Cinq ans plus tard, cette mesure suscite toujours autant d’intérêt. Si le gouvernement y voit un levier pour une mobilité plus durable, le STATEC montre une réalité plus nuancée.
Le 1er mars 2020, le Luxembourg devenait le premier pays au monde à instaurer la gratuité totale des transports publics sur l’ensemble de son territoire, à l’exception de la première classe des trains. Cinq ans plus tard, quel bilan tirer de cette initiative ? Le ministère de la Mobilité et des Travaux publics salue une avancée majeure en matière de mobilité et d’attractivité. De son côté, l’institut national de la statistique (STATEC) adopte une approche plus mesurée, soulignant que la voiture demeure le mode de transport dominant dans le pays et que « la part modale des transports publics peine à augmenter ».
Selon le ministère de la Mobilité et des Travaux publics, la gratuité des transports publics a largement contribué à rendre les déplacements plus accessibles et à favoriser une mobilité plus durable. Dès son lancement, la mesure a attiré l’attention des médias internationaux et reste aujourd’hui encore l’un des symboles forts du Luxembourg à l’étranger.
Augmentation des usagers
Malgré les défis posés par la pandémie de COVID-19, les transports en commun luxembourgeois ont connu une progression notable. Entre 2019 et 2024, la fréquentation du réseau ferroviaire est passée de 25 millions à 31,3 millions de passagers. Quant au tramway, il a connu une hausse spectaculaire, passant de 6,2 millions à 31,7 millions d’usagers sur la même période, un essor largement attribué aux extensions successives du réseau. Essor auquel contribuera encore l’ouverture toute récente du tronçon menant à l’aéroport du Findel.
Outre l’aspect économique pour les usagers, la gratuité s’inscrit dans une stratégie de transition vers une mobilité plus respectueuse de l’environnement. En incitant les résidents, travailleurs transfrontaliers et touristes à privilégier les transports publics, le gouvernement espère réduire la congestion automobile et limiter les émissions polluantes.
De nombreux projets sur les rails
Consciente que la gratuité ne suffit pas à elle seule pour encourager un changement des habitudes, la ministre de la Mobilité et des Travaux publics, Yuriko Backes, insiste sur l’importance des investissements continus.
« Cinq ans après son lancement, la gratuité des transports publics a prouvé qu’elle était bien plus qu’un symbole : c’est une mesure concrète qui améliore la qualité de vie des habitants, elle est un facteur d’attractivité et renforce notre engagement en faveur d’une mobilité durable et inclusive. Nous continuerons à investir pour rendre nos infrastructures toujours plus performantes. »
Yuriko Backes, ministre de la Mobilité et des Travaux publics
Plusieurs projets sont en cours, notamment l’extension du tramway à Luxembourg-Ville avec de nouvelles lignes vers Hollerich, la route d’Arlon et la route d’Esch. Le réseau ferroviaire continue de se développer avec une augmentation de capacité et des fréquences accrues. Les infrastructures routières et les pôles d’échanges sont modernisés pour faciliter l’intermodalité. Par ailleurs, le Wi-Fi sera progressivement déployé dans les transports publics et un meilleur système d’information en temps réel est prévu pour optimiser les trajets des voyageurs.
En complément, l’enquête nationale Luxmobil 2025 sera menée dans les prochains mois pour mieux comprendre les habitudes de mobilité afin d’affiner les politiques publiques et d’adapter les infrastructures aux besoins réels des usagers.
Le STATEC nuance
Si le ministère met en avant les progrès réalisés, le STATEC adopte un regard plus mesuré sur les effets réels de la gratuité. Les données montrent que, malgré une offre de transport en commun en amélioration, les transports publics peinent à intégrer les habitudes de déplacement.
Le Luxembourg affiche l’un des taux de possession automobile les plus élevés d’Europe, avec 678 voitures pour 1.000 habitants selon Eurostat. En 2021, près de 67 % des actifs utilisaient la voiture pour aller travailler, un chiffre qui inclut conducteurs et passagers. À titre de comparaison, les transports en commun ne représentaient que 17,6 % des déplacements domicile-travail.
L’analyse des déplacements montre une évolution contrastée selon les régions. À Luxembourg-Ville, la part de l’automobile a fortement chuté entre 2011 et 2021, passant de 54 % à 37 %, un niveau comparable à celui de Paris.
Cette baisse s’explique par une offre de transport améliorée et une densification de la population.
Dans le nord du pays et près des frontières, la voiture reste incontournable, notamment dans des communes comme Troisvierges ou Kiischpelt, où l’éloignement des transports en commun rend leur utilisation plus difficile. L’intermodalité progresse lentement, avec moins de 20 % des actifs combinant plusieurs modes de transport. Parmi eux, le bus est le plus utilisé, suivi de la marche et du train.
Un élément clé expliquant la persistance de la voiture est la durée des trajets. En moyenne, un trajet en voiture vers l’agglomération-centre dure 41,5 minutes, contre 59,7 minutes en transports en commun. Depuis les zones périphériques, l’écart peut être encore plus important, rendant la voiture plus compétitive malgré la congestion. De plus, certaines infrastructures, notamment en milieu rural ou dans les zones frontalières, ne permettent pas toujours une connexion rapide et efficace avec les transports publics, ce qui limite leur attractivité pour une partie de la population.
Les statistiques du STATEC révèlent que certains groupes sociaux utilisent davantage la voiture que d’autres. L’automobile est privilégiée par les hommes, les couples avec ou sans enfants, les personnes nées au Luxembourg et les travailleurs de l’administration publique ou du commerce. À l’inverse, les transports en commun et les modes doux sont principalement utilisés par des actifs nés à l’étranger, des habitants de la capitale ou des villes moyennes, des travailleurs des secteurs de la finance et des sciences, ainsi que des personnes célibataires ou vivant dans des ménages de petite taille.
En parallèle, le développement des modes de transport alternatifs, tels que le vélo ou la trottinette électrique, commence à se faire une place dans le paysage urbain, notamment chez les jeunes actifs et les résidents des centres-villes. Cependant, leur usage reste limité par des infrastructures parfois inadaptées ou par des distances trop importantes entre le domicile et le lieu de travail.
Si la gratuité des transports publics a favorisé une prise de conscience et une amélioration des services, le changement des habitudes de mobilité se heurte encore à des contraintes structurelles et culturelles.
Sébastien Yernaux
Photos tram : © Wikimédia Commons
Illustrations : STATEC Luxembourg