Méga-inondations : pouvons-nous être mieux préparés à la prochaine crise ?
Une étude publiée dans Nature Geoscience indique que nous pouvons tirer des leçons d’un regard rétrospectif... et international.
En juillet 2021, une série d’inondations dévastatrices a balayé l’Europe, coûtant la vie à plus de 200 personnes. Les conséquences de cette catastrophe naturelle ont entraîné des dégâts considérables en Allemagne et en Belgique, ainsi que plus près de chez nous, au Luxembourg. Les conséquences ont été particulièrement graves dans l’ouest de l’Allemagne, où les inondations ont fait des ravages, causant 49 décès et plus de 30 milliards d’euros de dégâts (source : The Guardian).
Qualifiées de méga-inondations, ces catastrophes naturelles, malgré leur apparente régularité ces dernières années, prennent au dépourvu des populations entières, en raison d’un manque de préparation. « Dans les régions fortement exposées aux inondations, la détermination du scénario le plus défavorable est donc cruciale pour concevoir des mesures de protection efficaces », explique Laurent Pfister, chef du groupe « Catchment and Eco-hydrology » au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST). Traditionnellement, cette détermination est basée sur les données historiques locales, en utilisant les événements d’inondation les plus graves des décennies ou des siècles passés comme référence pour les prévisions futures. « Les méthodes conventionnelles qui s’appuient uniquement sur des données locales, généralement limitées au territoire national, ont jusqu’à présent eu du mal à prévoir ces événements extrêmes avec précision en raison du manque d’informations », ajoute-t-il.
Une vaste initiative de recherche, menée par l’Université technique de Vienne et à laquelle Laurent Pfister a contribué, a permis de faire une révélation importante : si les grandes inondations peuvent surprendre les citoyens et les parties prenantes à l’échelle locale, elles n’ont pas beaucoup changé dans le temps par rapport à leur variabilité à l’échelle de l’ensemble du continent européen.
Tirer parti de l’histoire des inondations transfrontalières pour améliorer les évaluations locales
La recherche, publiée au début de ce mois dans Nature Geoscience, vise à comprendre les déclencheurs et les caractéristiques de ces inondations, ce qui est essentiel pour mettre au point des mesures efficaces de protection contre les inondations. « Le défi classique de la prévision des inondations réside également dans la rareté des données à long terme permettant de classer ces événements avec précision », ajoute Laurent Pfister. La particularité de l’étude réside dans le fait que les chercheurs ont recueilli et examiné les données de plus de 8 000 stations de jaugeage, dont celle du Luxembourg, couvrant les années 1810 à 2021 dans toute l’Europe.
Il explique : « Contrairement aux analyses conventionnelles limitées à des périodes plus courtes, cette étude a englobé des ensembles de données couvrant des siècles. Elle a également proposé de passer d’une analyse à partir d’une seule station à une approche à l’échelle de l’Europe, en capitalisant sur le comportement commun des rivières dans des catégories spécifiques. »
Cette étude nous permet d’anticiper les méga-inondations dans une région en exploitant les données de bassins fluviaux similaires situés ailleurs sur le continent. L’approche consiste à tirer des enseignements de zones présentant des caractéristiques climatiques et hydrologiques comparables, où des méga-inondations se sont peut-être déjà produites.
« Notre objectif était de classer les cours d’eau en fonction de leurs similitudes en termes de comportement, de climat, d’utilisation des sols et de géologie. En les regroupant, nous visons à extrapoler les enseignements tirés des relevés historiques des inondations survenues sur des cours d’eau similaires afin d’estimer la fréquence et l’ampleur des méga-inondations dans des catégories spécifiques », a ajouté Laurent Pfister.
L’équipe de recherche a également démontré dans l’article que les inondations catastrophiques, comme celle qui s’est produite dans le bassin du Rhin en 2021, auraient pu être anticipées à l’aide de cette méthode. En fait, elle se situe largement dans la fourchette prévue lorsque les données continentales sont prises en compte.
Ces résultats soulignent l’importance d’adopter une perspective internationale pour une prévention plus efficace des inondations et mettent l’accent sur la nécessité de ne pas se limiter à l’évaluation des zones géographiquement adjacentes. « Ce changement encourage à aller au-delà des évaluations nationales des risques d’inondation et montre la valeur du partage d’informations sur les méga-inondations entre les pays et les continents. Cela peut en fin de compte réduire le facteur de surprise et potentiellement sauver des vies. »
Perspectives d’avenir
En réponse à une question sur la pertinence de l’étude dans le contexte du changement climatique, le chercheur précise que, plus qu’un modèle prédictif, l’étude est une analyse rétrospective qui ne prend pas en compte les scénarios futurs ou les changements dans les variables climatiques. Elle s’appuie plutôt sur des données historiques pour aider les parties prenantes à évaluer les risques d’inondation et à planifier des mesures de protection contre les inondations.
Il souligne également que l’étude est novatrice en Europe, des recherches similaires ayant été menées en Amérique du Nord. En ce qui concerne les projets futurs du LIST, l’accent est mis non plus sur la recherche axée sur les processus, mais sur l’utilisation des connaissances accumulées sur les systèmes fluviaux au cours des 30 dernières années dans les bassins de l’Alzette et de la Sûre au Luxembourg. L’objectif est de prévoir comment nos rivières nationales pourraient réagir aux changements futurs, en tenant compte de facteurs tels que le changement climatique et les modifications de l’utilisation des sols. Il s’agit de combiner des modèles climatiques et des modèles hydrologiques afin d’établir des projections plus précises et d’aider les parties prenantes à prendre des décisions éclairées en matière de protection des infrastructures.
À plus long terme, Laurent Pfister a évoqué des projets visant à explorer le passé à l’aide d’archives naturelles telles que les moules d’eau douce et les anneaux de croissance des arbres. « En analysant les bandes de croissance de ces enregistreurs biologiques, nous espérons avoir un aperçu de l’histoire hydrologique des rivières sur des milliers d’années, ce qui nous permettra d’améliorer notre capacité à comprendre et à anticiper les changements potentiels à venir. »
Pour plus d’informations : https://www.list.lu/fr/