« Nous vivons pour nous-mêmes en oubliant le futur »
Active depuis les années 60, l’ONG AEIN - Aide à l’Enfance de l’Inde et du Népal - s’intéresse aux jeunes pousses de ces pays éloignés pour leur donner un avenir meilleur. La tâche est vaste et concerne également les jeunes générations luxembourgeoises.
D’ici ou d’ailleurs, ils sont tous des enfants et tous ont droit aux mêmes chances. C’est en substance le message derrière toutes les missions d’AEIN. Si son travail sur le terrain, en Inde et au Népal, est régulièrement décrit dans les médias et certainement sur Infogreen, ses actions locales d’éducation au développement trouvent moins souvent écho dans la presse.
Le travail n’en est pas moins volumineux, et les enjeux de taille. « Nous avons pris l’habitude de vivre pour nous-mêmes, en oubliant le futur. Or, il y a des valeurs qu’il faut absolument transmettre aujourd’hui pour que les enfants deviennent des adultes responsables et transmettent ces valeurs à leur tour », argumente Françoise Binsfeld, directrice d’AEIN. Empathie, entraide, ouverture d’esprit, respect des autres et de l’environnement font partie du lot gagnant. « En vivant avec ces valeurs, on obtient un monde plus équitable, plus intact. »
Power to the children
Pour faire passer ces messages, l’équipe « éducation au développement » de l’ONG se rend régulièrement dans les écoles du Luxembourg, dans les classes de primaire et de secondaire. A travers, notamment, des exemples concrets de projets menés en Inde et au Népal, des connexions avec nos propres modes de vie se créent. « En Inde, les Parlements pour enfants ont beaucoup de succès, au niveau des communes, des régions et même au niveau national », explique Jeff Donckel, responsable éducation au développement. « Nous voulons montrer ici ce que les enfants font là-bas pour faire changer les choses, et montrer que c’est aussi possible ici ». Par exemple : s’adresser aux autorités communales pour la création d’aires de jeux, inclure des journées sans viande pour la cantine scolaire ou encore organiser des ploggings (marches combinées au ramassage de déchets). « Certains enfants impliqués dans des projets que nous avons menés il y a 15-20 ans en Asie sont devenus des maires, des conseillers communaux, voire parlementaires. On voit de vrais changements », se réjouit la directrice. Le film Power to the Children aborde cette thématique du point de vue des jeunes.
Le pouvoir de ces futurs adultes réside aussi dans leurs choix. Parmi nos habitudes d’achats, beaucoup ont un impact sur des enfants à l’étranger. Le maquillage, la peinture, le dentifrice, les appareils ménagers et bien d’autres produits du quotidien contiennent du mica, un minéral que l’on trouve notamment dans les mines d’Inde. « Les gens ne savent pas d’où cela vient, ni que des enfants sont exploités dans ces mines, où ils gagnent un euro par jour. Ces mines sont souvent illégales, et même quand les enfants n’y travaillent pas, ils y accompagnent leurs parents, faute de modes de garde disponibles. Évidemment, ce ne sont pas des lieux sains pour les enfants », regrette Françoise Binsfeld. Il est toutefois et malheureusement difficile de connaître l’origine exacte du mica contenu dans les produits que nous achetons, mais il paraît évident que les produits vendus à très bas prix ne peuvent contenir des matériaux extraits dans de bonnes conditions. Grâce au soutien financier du gouvernement et de ses donateurs, AEIN investit également dans les crèches et l’alimentation des enfants de zones d’extraction du Jharkhand, en Inde.
Les cultures se rencontrent
En 2022, une délégation de jeunes Népalais s’est rendue au Luxembourg dans le cadre d’un programme d’échange avec les élèves de l’Ecole Nationale pour Adultes (ENAD). « Un grand aspect de notre travail consiste à mettre les jeunes en contact avec une autre culture », explique Jeff Donckel. Cinq jeunes et trois accompagnants népalais ont eu la chance de visiter plusieurs structures sociales, durables, alternatives et solidaires au Luxembourg et d’échanger sur les différences et les similitudes entre les pays avec les responsables de ces structures, ainsi qu’avec des étudiants de l’ENAD mais également de divers établissements scolaires.
« De futurs enseignants, ingénieurs ou agriculteurs sont repartis avec plein d’idées à mettre en place chez eux », enchaîne-t-il. C’est le cas du jeune Raj Tamang, qui témoigne : « L’une des choses que je veux ramener du Luxembourg à la maison, c’est le système d’éducation libéral. Je pense que cela peut créer un sentiment d’exploration de soi et d’indépendance. Je pense aussi qu’avoir un tel système éducatif peut rendre les jeunes confiants à long terme ».
Des étudiants luxembourgeois se rendront à leur tour au Népal en 2023 pour s’imprégner de la culture nationale. Le jeune Matisse prendra part au voyage : « Je voudrais bien me laisser surprendre. Pour moi, il est important de rencontrer d’autres cultures pour grandir, s’enrichir de connaissances et pouvoir découvrir une autre façon de vivre ». La gentillesse et la tranquillité des Népalais en visite au Luxembourg ont déjà marqué l’étudiant. Françoise Binsfeld : « Ce type de rencontre forge le caractère des jeunes, leur apprend de belles valeurs qui pourront être transmises de génération en génération ».
AEIN a d’ores et déjà entamé les préparatifs du prochain accord-cadre qui débute en 2024 et espère pouvoir compter sur de nombreux jeunes (et moins jeunes) bénévoles pour poursuivre ses activités.
Marie-Astrid Heyde
Photos : Marie Champlon / AEIN
Extrait du dossier du mois « Génération ? Présente ! »