Produits sans déforestation : rien d’officiel, rien de clair
Le Parlement européen a annoncé un accord pour garantir la vente de produits sans déforestation au sein de l’UE. Il doit encore être approuvé par le Conseil et le Parlement. Les détails ne sont pas encore connus et les acteurs luxembourgeois restent prudents.
« Une nouvelle loi contribuera à protéger la biodiversité et le climat en obligeant les entreprises à garantir que certains produits vendus dans l’UE ne proviennent pas de terres déboisées », indique le Parlement européen dans un communiqué publié le 6 décembre. Ces certains produits sont le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja, le bois, le caoutchouc, le charbon de bois et les produits en papier imprimé, soit des biens de consommation quotidienne, pour beaucoup importés par l’Union européenne et qui devraient donc bientôt être passés à la loupe afin de s’assurer qu’ils n’ont pas contribué à la dégradation des forêts ou à la déforestation, quelle que soit leur origine mondiale, après le 31 décembre 2020. Les produits qui auraient dégradé des forêts avant cette date pourront encore être vendus sans contrainte.
Acteurs locaux dans le flou
« Devraient », car il s’agit en effet d’un texte préliminaire qui doit encore être approuvé par le Parlement et le Conseil européens et qui entrera en vigueur 20 jours après sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. En attendant, les acteurs luxembourgeois sont dans le flou. C’est le cas notamment de Michel Dostert, coordinateur PEFC, « le plus grand système de certification [du bois] du monde » : « L’idée est bien entendu bonne et nous sommes en discussion depuis quelque temps déjà avec la Commission européenne afin de rendre la certification PEFC officielle pour garantir la conformité aux nouvelles règlementations. Mais les contrôles seront d’abord fondés sur le risque, c’est-à-dire que la Commission va classer les pays en évaluant le risque faible, standard ou élevé de vente de produits ayant contribué à la déforestation. Et c’est seulement quand cela sera clarifié que nous pourrons voir comment agir ».
Cette classification sera réalisée dans les 18 mois suivant l’entrée en vigueur du texte de loi proposé. La proportion des contrôles variera selon le risque : 9% pour risque élevé, 3% pour risque standard et 1% pour risque faible, selon les informations du communiqué du Parlement européen.
Le Luxembourg probablement à faible risque pour le bois
Deuxième frein au stade actuel pour PEFC, c’est le manque de clarté sur le principe de dégradation des forêts. « Nous garantissons déjà du bois deforestation-free. Notre certification interdit aussi depuis longtemps de remplacer une forêt par des plantations génétiquement modifiées, par exemple. Concernant la dégradation des forêts, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour avoir accès aux critères, mais ce n’est pas encore le cas donc nous ne pouvons pas encore nous positionner sur ce point. Évidemment nous espérons que le Luxembourg sera classé parmi les pays à risque faible. La législation est déjà forte et il n’y a pas de souci dans la réalité du terrain au Luxembourg. »
Nous sommes confiants que la certification PEFC fournira les garanties demandées et qu’elle pourra donc servir de référence pour le bois importé de pays à haut risque.
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Le responsable rappelle également que la diligence raisonnable existe déjà depuis 2013 concernant l’importation du bois. « À présent la démarche va plus loin et ne garantit plus seulement que le bois est légal mais également qu’il n’a pas été source de dégradation de forêt ou de déforestation. Et bien entendu elle s’applique non seulement au bois mais aussi à d’autres produits ».
Quel sort pour les petits producteurs ?
Côté alimentation, l’ONG Fairtrade agit en faveur du commerce équitable, notamment du cacao et du café qui sont des produits inclus dans le texte proposé. Jean-Louis Zeien, président de Fairtrade Lëtzebuerg, apprécie cette initiative qui rendra ces filières plus transparentes : « Le nouveau règlement va dans la bonne direction même s’il y a clairement encore des détails à régler. Il sera vraiment important d’avoir des règles strictes de diligence raisonnable pour les entreprises qui seront obligées de retracer les produits de base jusqu’à la parcelle de terre où ces derniers ont été produits. Nous saluons vivement ce niveau d’ambition qui s’ajoute à d’autres directives, telles que la Corporate Sustainability Due Diligence qui contribuent à réduire l’opacité des chaînes d’approvisionnement ».
« Des 350 multinationales dont les activités encouragent la déforestation, une sur trois n’a aucun engagement en faveur de la protection des forêts. »
Jean-Louis Zeien, président de Fairtrade Lëtzebuerg, citant les chiffres de Global Canopy
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Des détails à régler qui ne sont pas de l’ordre du détail, selon M. Zeien. « Il reste quand même des défis majeurs, notamment la prise en compte de ceux qui sont déjà les plus vulnérables et les plus démunis, les petits producteurs de cafés et de cacao, par exemple. Il faudra éviter qu’ils paient les frais de cette réglementation. Ce règlement ne fonctionnera que si nous sommes prêts à tacler le problème à sa racine. Si certains petits producteurs sont parfois obligés de déforester, c’est en raison du manque d’un prix juste et d’une rémunération correcte qui sont des éléments indispensables du puzzle. C’est une condition sine qua non. »
Ces petits producteurs ne doivent pas rester piégés dans des réalités économiques où l’expansion de leurs terres par la déforestation est la seule solution économiquement viable pour assurer leurs moyens de subsistance. L’Union européenne doit contribuer à cet effort, les soutenir.
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Tout comme le coordinateur PEFC, il est optimiste quant à l’attrait de la certification Fairtrade : « Le commerce équitable est non seulement en avance sur l’Union européenne en ce qui concerne la question de la déforestation, mais inclut déjà également la garantie du living income. Nous avons des critères stricts en ce qui concerne la déforestation, la protection des forêts, la végétation, la conservation des zones protégées et la protection de la biodiversité. Somme toute, la certification Fairtrade est une excellente base pour ceux qui seront concernés par ce règlement. »
Dans tous les secteurs concernés, les grandes et moyennes entreprises auront 18 mois pour s’adapter et 6 mois de plus pour les petites entreprises. À compter de la mise en ligne d’un texte qui doit encore être peaufiné, voté et approuvé puisqu’il s’agit, pour rappel, d’un accord préliminaire entre le Conseil des ministres de l’Union européenne et le Parlement européen. Affaire à suivre donc.
Marie-Astrid Heyde