Que retenir du 6e rapport du GIEC ? (2/2)
Acteur du GIEC en sa qualité de représentant national luxembourgeois, Andrew Ferrone est l’interlocuteur privilégié pour aborder et analyser le volet de synthèse du 6e rapport du Groupe d’expert sur l’évolution du climat. Avant qu’il ne s’attèle aux réunions préparatoires à la COP28, ne passez pas à côté de son éclairage et de son décryptage. Vous allez tout comprendre.
Quelle est votre première réaction à chaud, quel est votre bilan de ce dernier acte du 6e rapport du GIEC ?
Le changement climatique est réel, il est bien dû à l’homme. Les impacts du changement climatique sont sérieux, déjà maintenant, et ils vont augmenter avec chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire. Il y a urgence d’agir pour limiter le réchauffement et essayer de tout mettre en œuvre pour ne pas dépasser les 1,5°C de réchauffement.
Admettre que le réchauffement ne peut plus qu’être contenu, n’est-ce pas une forme de résignation ?
Le 6e rapport du GIEC le stipule : il faut d’ores et déjà s’adapter au réchauffement climatique. On le voit d’ailleurs au Luxembourg avec l’augmentation des périodes de très hautes températures, les sécheresses et les pluies torrentielles. Tous les pays du monde doivent s’adapter au changement climatique. Ce n’est pas nouveau.
Mais le rapport le montre : au-delà de 1,5°C, il y a des limites d’adaptation qui vont être atteintes. L’adaptation au-delà de 2°C, 2,5°C - cela dépend un peu des endroits où l’on regarde - devient pratiquement impossible dans certaines régions du monde.
Que retenez-vous des solutions mises en avant dans ce rapport du GIEC ?
C’est le point très positif du rapport. Il souligne qu’il y a encore la possibilité de limiter à 1,5°C et que les solutions pour y parvenir sont toutes sur la table. Il n’est pas nécessaire d’attendre une nouvelle technologie ou d’avoir de l’information et du savoir supplémentaires. Tout est à notre disposition.
Mais il est clair que ces solutions, il faut les intensifier nettement durant les prochaines années. Dès à présent, l’action doit débuter et se poursuivre jusqu’en 2050, jusqu’à ce qu’on parvienne à la neutralité climatique.
Si on suit les leviers du GIEC pour atténuer les effets du changement climatique, se présente alors le sujet du manque d’investissements. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, le GIEC signale que les investissements qui sont faits maintenant, dans des structures qui utilisent des énergies fossiles, ne permettent pas de limiter le réchauffement à 1,5°C, voire même à 2°C.
Pour l’instant, nous ne sommes pas sur le bon chemin. Il faut avoir une diversification de ces flux financiers vers des énergies renouvelables. Les finances globales ne manquent pas, mais elles sont orientées dans la mauvaise direction.
Le Luxembourg, en tant que place financière majeure, a-t-il un rôle à jouer ? Que dire si on recentre ainsi le rapport du GIEC dans le paysage national ?
Pour le Luxembourg, il faut faire une analyse ciblée, or le GIEC ne fait pas d’analyse régionale. Il s’attache à la situation globale.
En revanche, pour le Luxembourg, nous en sommes quand même à une consommation très haute avec des émissions de gaz à effet de serre par habitant très élevées. Le Luxembourg doit aussi s’écarter des énergies fossiles qui sont utilisées principalement dans le transport et l’habitat.
À la fin de ce mois-ci, il y aura la mise à jour du Plan National Énergie Climat (PNEC) qui va concrétiser les mesures que le gouvernement veut prendre pour arriver au but que l’on s’est donné dans la Loi Climat.
À la fin de l’année se tiendra la COP28 à Dubaï. Est-ce que le rapport du GIEC peut infléchir les politiques internationales et continentales à cette occasion ?
Oui, absolument. Au niveau international, il y aura une réunion préparatoire pour la COP en juin. Le rapport sera présenté par les auteurs à cette réunion pour que les pays puissent en prendre connaissance. Ensuite, il y aura des discussions sur comment agir sur base de ce rapport.
La COP sera le cadre du très important « Global Stocktake » (le Bilan mondial), une mise à plat des émissions qui ont déjà eu lieu, qui sont âgées.
NDLR : le Bilan mondial est un processus qui permet aux pays de voir où ils en sont de leur progression vers les objectifs décidés lors de l’Accord de Paris (2015). Il a lieu tous les 5 ans et le premier bilan s’achèvera lors de la COP28 à Dubaï.
Une réunion préparatoire à laquelle vous allez assister ?
Je coordonne une équipe de négociation européenne. Au GIEC, ensemble, avec mes collègues, nous représentons le Luxembourg. Si nous faisons une intervention, c’est au nom du Luxembourg, tandis que dans les COP et les réunions préparatoires, c’est l’Union européenne qui s’exprime. Nous avons donc toute une équipe de négociation.
Avec une collègue danoise, je coordonne la partie nommée Science. Celle-ci a pour but d’amener les rapports du GIEC et d’autres informations scientifiques au cœur du processus de négociation.
En tant que partie prenante, quelles sont vos ambitions pour cette COP ? Êtes-vous optimiste ?
Pour le moment, le GIEC a établi qu’avec les politiques en vigueur, si l’ambition des mesures n’est pas revue à la hausse, nous arriverons à un réchauffement correspondant à +3,2°C vers la fin du siècle.
Il y a 7 ans, quand nous avons finalisé l’Accord de Paris, nous étions sur une voie qui nous amenait à une augmentation de plus de 4°C. Donc, avec les politiques et les mesures instaurées à l’aide de l’Accord de Paris, nous avons amélioré notre perspective. Avec les instruments qui vont désormais être mis en place, je reste optimiste sur notre capacité à dévier de la trajectoire actuelle.
Dernier point important, le GIEC avance que les solutions existantes ne sont pas seulement bénéfiques pour le climat mais aussi dans bien d’autres domaines, la pollution de l’air notamment. Les co-bénéfices sont très forts au niveau du développement durable.
Pour finir, quelles sont pour vous, les mesures les plus urgentes et les plus efficaces ?
Le plus important au niveau technique, c’est que l’on passe des énergies fossiles aux énergies renouvelables.
Cependant, le GIEC rappelle qu’il n’y a pas une seule priorité mais un ensemble. Si l’on regarde la figure 7 du résumé pour décideurs, on voit que les courbes pour investir sont pour la plupart négatives alors que le potentiel est très haut pour le solaire et l’éolien.
Un autre levier très fort sur le long terme, c’est le changement de comportements. Dans les transports, les bâtiments mais aussi l’alimentation.
Le GIEC estime que seuls les changements de comportement peuvent réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% à 70% d’ici 2050. On n’est pas exactement à 100% mais les 30% restant peuvent être comblés grâce à des mesures techniques. En combinant les deux, il y a la possibilité d’y parvenir.
Redécouvrez le résumé du 6e rapport du GIEC sur Infogreen.lu
Sébastien Michel
Photos : ©Marie Champlon