« Redistribuer l’espace, mutualiser les moyens »
Ministre de la Mobilité et des Travaux publics et homme politique au long cours, François Bausch est au cœur des décisions qui ont engagé le pays sur la nouvelle voie des transports et qui définissent l’horizon de la mobilité efficace et décarbonée. Interview.
2035, c’est l’horizon avec le Plan national de mobilité (PNM 2035), c’est aussi celui de l’Europe pour la fin des véhicules thermiques. Quelles sont les clés luxembourgeoises de cette nouvelle mobilité ?
« D’abord la multimodalité. Il faut pouvoir utiliser toute la chaîne des moyens de se déplacer selon ses besoins. On parle bien de déplacer des personnes, voire des services, d’un point A au point B, et non pas de voitures, véhicules parmi d’autres. On parle aussi d’efficacité, en termes de facilité, de coût, d’énergie, de confort, de fiabilité. Il faut combiner les moyens et créer les conditions pour rendre les alternatives praticables et combinables, pour que chacun puisse y trouver son compte. En fait, il s’agit d’utiliser efficacement toutes les infrastructures, existantes ou créées sur mesure. La route par exemple n’est plus seulement une voie pour les voitures mais un corridor multimodal. S’il n’y a ni « silver bullet » ni miracle technologique, il y a en revanche une redistribution de l’espace et une mutualisation des moyens ».
Cela souligne que l’on ne peut pas parler de mobilité sans évoquer l’aménagement du territoire, les infrastructures… ou les mentalités ?
« Bien sûr, la mobilité moderne, décarbonée, est intimement liée à la planification et c’est intégré dans l’aménagement du territoire, comme les questions d’énergie d’ailleurs, deux ressorts confiés à mon collègue ministre Claude Turmes. Le travail qu’il mène autour de la transition et de l’aménagement du territoire national, avec une vision transfrontalière, est fondamental parce qu’il dessine les contours de nos espaces de vie de demain, et parce qu’il s’appuie à la fois sur des scénarios élaborés par des experts, sur les besoins de la transition et sur la participation citoyenne – j’avais d’ailleurs commencé les consultations quand j’avais l’aménagement du territoire, les plans de secteur par exemple dans mes attributions ministérielles. Alors oui, la mobilité fait évidemment partie de cette réflexion. In fine, il s’agit d’assurer une utilisation rationnelle du sol, ce qui est un problème majeur de l’Humanité, en termes de ressources, de surface exploitée, de préservation de la biodiversité sans laquelle l’Homme ne peut vivre. »
On parle d’organisation de l’espace urbanisé ?
« Effectivement et les facultés de se déplacer dans ces espaces sont à bien penser. Selon un rapport de l’ONU, en 2050, 80% des habitants de cette planète vivront en milieu urbain. Il faut donc organiser ces espaces et la façon d’y vivre. Prenons Los Angeles comme contre-exemple, avec une population étalée sur un territoire extrêmement vaste où il n’y a aucune mixité des fonctions et où tout a été jadis conçu autour de la voiture. Prenons maintenant l’évolution du Kirchberg, que l’on a voulu au fil des années transformer par un urbanisme à échelle humaine. Au début, avec des immeubles de bureaux et presque pas d’habitants, la voiture était indispensable. Au fil des projets, on a redistribué l’espace, pour des habitations, des commerces, des services. Et développé la mobilité. Le tram bien sûr, la liaison funiculaire vers la gare Pfaffenthal, le carsharing, la piste cyclable qui utilise une partie de la voirie redessinée… Le Kirchberg est devenu un quartier imposant, une petite ville dans la Ville à laquelle il est connecté. Et cela n’a pas fini d’évoluer. Des projets comme celui du Kuebebierg, pour 7.000 nouveaux habitants, démontrent que l’environnement urbain à taille humaine est réalisable ».
Vous avez sillonné le pays dans une tournée de présentation de votre PNM 2035 ; vous sentez que la population juge aussi les choses réalisables ?
« Honnêtement, oui. Par rapport aux rencontres autour du Modu en 2017-2018, ça a changé. Les mentalités ont déjà évolué et on ressent même une certaine impatience du grand public. La société du 21e siècle a bien intégré les enjeux. Les gens auront toujours besoin de se déplacer mais les marqueurs changent et ce qui compte vraiment, c’est l’efficacité du moyen de déplacement. Le tram reste un bon exemple : qui en voulait quand on a commencé à en parler en Ville ? Mais depuis, il a démontré sa fiabilité. On sera rapidement aux 100.000 passagers par jour ! C’est une success story, qui d’ailleurs intéresse bon nombre de villes d’Europe et d’ailleurs, par sa conception en tant que maillon majeur d’une chaîne multimodale. »
Peut-on voir le Grand-Duché comme un espace urbain ?
« Il n’y a pas de longues distances d’un bout à l’autre du pays. Il y a des pôles urbains et des régions aux densités différentes, mais on peut aisément connecter les différents pôles urbains entre eux et y associer des liaisons efficaces avec les zones rurales. Cela fait partie de la réflexion, que l’on retrouve aussi dans l’aménagement du territoire et qui tend à faire de ces 2.600 km2 un territoire « net zero » en 2050.
La mobilité douce est d’autant plus à favoriser que les enquêtes montrent des chiffres interpellants : 50% des déplacements dans le pays sont de moins de 5 km. 30% sont sous les 1.000 mètres. On rejoint le succès fou qu’a le tram, parce qu’il répond à cela. Et on voit aussi la marge qu’il y a pour encourager et faciliter le vélo ou la marche à pied. »
Vous avez mené à bien, depuis des années, des projets d’infrastructures de mobilité au long cours. Ce sera votre héritage politique ?
« En 2035, je ne serai plus ministre, mais j’espère bien voir comment on vivra dans mon pays ! Vous savez, personne n’a envie d’être moins mobile. Tout le monde veut pouvoir choisir son déplacement. Je suis confiant : on va résoudre les questions d’énergie. La technologie évolue, pour l’autonomie des voitures électriques, pour les composants des batteries et des pièces électroniques, pour les carburants alternatifs propres. Cela avance tous les jours, dans tous les secteurs, même dans l’aviation… Ici, au pays des courts chemins, on doit donner les moyens à toutes les mobilités de cohabiter. Je dis souvent aux élus que je croise qu’ils auraient tort de ne pas inclure toutes les options liées à la transition dans leur programme. La société – et donc les électeurs – est prête. Ici, l’efficacité n’est pas une option. Et d’ailleurs ce PNM 2035 n’est pas, je pense, à prendre à la carte. C’est un concept global, que l’on doit mettre en œuvre intégralement. Donc oui, ce sera un héritage politique, dont j’espère que chacun fera bon usage ».
Propos recueillis par Alain Ducat
Photos : © Sophie Margue / MMTP
Extrait du dossier du mois « 2035 : Lëtz go ! »