reUSE.lu : faire matcher le besoin et l’offre en matériaux de déconstruction
Interview de Philippe Genot, Chief Innovation Officer chez Schroeder&Associés, et Benoît Frisch, développeur web et d’applications et directeur de BeFresh.
Schroeder&Associés promeut reUSE.lu, une plateforme co-construite avec BeFresh qui permet de mettre en relation vendeurs et acquéreurs potentiels de matériaux de déconstruction - en l’occurrence maîtres d’ouvrage et ingénieurs, architectes ou entreprises de construction. Un projet circulaire et aussi économique, qui se veut win-win, pour les parties concernées comme pour la planète. Un 1er projet est en ligne : un complexe polyvalent situé à Born, dans la commune de Rosport, dont la déconstruction commence cet automne.
Dans quel contexte la plateforme reUSE.lu a-t-elle été développée ?
Philippe Genot : Nous traversons une crise des ressources : on ne peut plus commander les matériaux qu’on veut quand on veut, ce qui soulève de nombreuses questions, dont celles de la préservation des ressources, de leur durabilité ou de leurs origines.
Le cadre légal évolue en conséquence. L’idée du réemploi ou du recyclage des matériaux est sur la table avec la stratégie économie circulaire qui a été mise en place il y a quelques années. Le réemploi occupe également une place importante dans la feuille de route bas carbone qui a été présentée en juin. Et la loi Null Offall, votée l’année dernière, pose un cadre pour le traitement des « déchets » et le réemploi des matériaux.
Nous produisons chaque année plus de 9 millions de tonnes de déchets de construction au Luxembourg. Il importe donc de ne plus démolir les bâtiments en fin de vie, mais de les déconstruire pour pouvoir revaloriser un maximum de leurs composants.
En tant qu’ingénieurs, il nous incombe de trouver des solutions pour mettre en pratique la déconstruction. Le bureau Schroeder&Associés, qui a intégré toutes ses valeurs dans sa stratégie d’entreprise socialement responsable, avait déjà participé avec un « chantier-pilote » au projet Interreg Digital DeConstruction dont l’idée était de relever et inventorier les éléments réemployables d’un bâtiment via le BIM et l’intelligence artificielle.
Avec reUSE.lu, co-construite avec BeFresh qui l’a développée, nous allons aujourd’hui plus loin en proposant en ligne une plateforme qui permet de mettre en relation directe le maître d’ouvrage - celui qui a la ressource - avec de potentiels acquéreurs. La plateforme a une vocation plutôt professionnelle donc elle vise en priorité les architectes, ingénieurs et entreprises de construction. En fait, cette plateforme ne fait que formaliser les échanges que nous avions autrefois à la cantine du type : « est-ce que tu ne connaîtrais pas quelqu’un qui aurait… ? ».
Comment la plateforme fonctionne-t-elle ?
Benoît Frisch : Selon le principe de la mise en relation avec la possibilité de proposer une offre d’achat sur des matériaux issus de la déconstruction de bâtiments, décrits dans un inventaire. Un acheteur potentiel peut s’identifier sur le site et faire une offre directe au maître d’ouvrage qui choisira l’acquéreur parmi les différentes propositions. Nous sommes en train de réfléchir à l’introduction d’un log-in sécurisé de type Luxtrust.
PhG : Un prix minimal est fixé pour chaque élément. Ce prix correspond en principe au coût de la déconstruction, afin que la démarche reste financièrement attractive pour le maître d’ouvrage. L’idée de cette plateforme est de valoriser un maximum d’objets par projet. C’est circulaire et économique…
Est-ce que le prix d’un matériau de déconstruction reste intéressant par rapport au prix du neuf ?
PhG : Cela dépend à la base du montant demandé par l’entreprise de déconstruction, mais nous veillons à ce que le prix d’une poutre issue de la déconstruction, par exemple, reste inférieur au prix d’une nouvelle poutre, afin que le maître d’ouvrage comme l’acheteur soient gagnants dans cette transaction. Pour certains produits, le prix de déconstruction est plus élevé que la valeur résiduelle du produit. D’un point de vue économique, on ne peut que les évacuer. Donc, les prix sont fixés par le maître d’ouvrage, qui est responsable de la vente, sur base d’une proposition que nous faisons en tant qu’ingénieurs-conseils.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le premier projet mis en ligne ?
PhG : Il s’agit d’un centre polyvalent, rénové en 2013 mais qui a été victime des inondations en 2021. Il se situe dans la localité de Born et le maître d’ouvrage est la commune de Rosport-Mompach. Vus le changement climatique et les épisodes de fortes pluies qui se multiplient, la malchance que ces inondations se reproduisent est élevée. La commune a donc décidé de déconstruire le bâtiment pour en reconstruire un nouveau plus haut.
Quel type de produits peut-on trouver dans ce bâtiment ?
PhG : Il s’agit principalement de matériaux structurels - des poutres en bois lamellé-collé notamment-, mais aussi des éléments techniques. Ici, par exemple, l’installation de ventilation est quasiment neuve. Il en va de même pour l’ascenseur qui a à peine 10 ans. Ce serait vraiment dommage de le vendre au prix du métal. La commune a géré elle-même tout ce qui est mobilier. Elle a réalisé un 1er curage intérieur et a mis de côté tout ce qu’elle souhaitait conserver ou donner.
Quel est le rôle de Schroeder&Associés dans ce projet ?
PhG : La plateforme fonctionne par projet : on clique sur un bâtiment et on voit ce qui est disponible dans ce bâtiment. Les projets doivent être accompagnés par un bureau d’études afin de garantir un certain niveau de qualité ; il ne faudrait pas que n’importe qui puisse mettre n’importe quoi sur le site. En revanche, le sujet préoccupe les professionnels et imaginer une sorte de communauté de re-users serait tout bénéfice pour le secteur.
BF : Schroeder&Associés est le premier à intégrer du contenu sur la plateforme, mais il est prévu d’élargir cette possibilité aux bureaux d’ingénierie, architectes et entreprises de construction, garants du sérieux professionnel et de la qualité des produits.
PhG : Nous travaillons aussi par projet pour des raisons de temporalité : le projet se déconstruit à un temps T et il faut que le besoin et l’offre « matchent », c’est-à-dire que nous devons trouver un acquéreur qui a besoin des matériaux au moment où la déconstruction est programmée. Un démontage soigné est réalisé par une entreprise qui va ensuite déposer l’objet dans une zone de stockage sécurisée sur le chantier où l’acquéreur peut venir le récupérer. Et nous organisons la mise à disposition des éléments.
Après cette 1re approche purement numérique, l’étape suivante, c’est une plateforme physique ?
PhG : En tant que bureau d’études, ce n’est pas notre rôle de mettre en place et de gérer une plateforme physique. Ce volet est plutôt du ressort institutionnel. Ce sont des sujets qui sont en discussion depuis un moment et des contacts ont déjà été pris avec des acteurs de pays voisins qui ont mis en place ce mode de fonctionnement. Le plus souvent, il s’agit de plateformes spécialisées qui ne fournissent que des portes ou des fenêtres, par exemple. L’idéal serait de mettre en place un concept ouvert à un plus large éventail de matériaux et d’équipements, comme c’est l’ambition de reUSE.lu.
Pour plus d’informations : https://reuse.lu/
Mélanie Trélat
Extrait du NEOMAG#57
Plus d’informations : http://neobuild.lu/ressources/neomag
© NEOMAG - Toute reproduction interdite sans autorisation préalable de l’éditeur