« Si on est entrepreneur un jour, on le sera toute notre vie »
Vice-rectrice aux partenariats et aux relations internationales de l’Université du Luxembourg depuis tout juste un an, Marie-Hélène Jobin est arrivée du Québec après 30 ans d’expérience au sein de HEC Montréal.
Épanouie au Luxembourg comme dans ses fonctions, elle nous a reçus pour partager les différents leviers d’innovation offerts par le contexte académique.
L’innovation est un thème transversal aux différentes entités dont vous êtes responsable. Pourquoi est-il important pour une université de soutenir l’innovation en accompagnant les étudiants désireux d’entreprendre ?
Les étudiants sont à l’âge parfait pour acquérir un état d’esprit entrepreneurial. Mon objectif est d’implanter cet état d’esprit, davantage que de développer des nouvelles start-ups ou idées. Si on est entrepreneur un jour, on le sera toute notre vie, que ce soit au sein de certaines fonctions qu’on occupe dans une entreprise ou institution, ou comme entrepreneur autonome. Or, tu ne deviens pas entrepreneur simplement en t’asseyant dans une classe, mais en regardant d’autres entreprendre, à travers le mimétisme, l’émulation.
L’Université dispose de son propre incubateur et programme d’entrepreneuriat. Comment fonctionnent-ils ?
La marque de commerce de notre incubateur et programme d’entrepreneuriat est plutôt la préincubation : nous développons une pépinière. Nous sommes beaucoup plus intéressés de mesurer le succès par la quantité d’idées que nous accompagnons que par le nombre de start-ups qui vont en émerger. Quand tu as une idée un jour, tu en auras d’autres par la suite. Et il en faudra peut-être deux ou trois avant d’avoir « la » bonne idée. Devenir entrepreneur, c’est aussi un parcours d’accompagnement. Le programme comprend les Co-Founders Nights, le concours My Big Idea et le Ideation Camp, un format de type hackathon pour affiner les idées les plus prometteuses sorties de My Big Idea et est complété par l’accueil continu au sein de l’incubateur.
Nous offrons aussi un accompagnement en matière de maturation et d’accélération. Nous avons notamment le Venture Monitoring Service (VMS), qui permet à des mentors d’accompagner différents projets. À ce stade, ce qui va souvent manquer à nos jeunes pousses, c’est l’équipe derrière la bonne idée. Le fondateur pourrait être un bon CTO, mais pas forcément un bon CEO, ou marketeur. Il faut savoir constituer une équipe. Par exemple, les start-ups les plus mûres vont partir aux États-Unis, pour visiter la Californie, la Caroline du Nord, New-York ou MIT à Boston, pour aller à la rencontre d’investisseurs et de partenaires d’affaires.
Nous ciblons également les étudiants de PhD ou les jeunes scientifiques post-doc. Nous pouvons leur offrir des cours d’Introduction to Entrepreneurship. Ils sont également éligibles à notre école d’été qui porte sur ces sujets. Le programme est un peu différent car il faut assurer un accompagnement professionnel particulier pour gérer la propriété intellectuelle, la licencier et éventuellement créer une spin-off de l’université. Dans ces cas, le savoir-faire du PaKTTO (Partnership, Knowledge & Technology Transfer Office) et des équipes de soutien au transfert technologique des entités est important.
« L’application d’apprentissage des mathématiques MaGrid est issue d’un savoir-faire et d’une connaissance acquis au cours d’un parcours de recherche à l’université. C’est super pour l’Uni d’avoir cette preuve par quatre que nous avons réussi à faire un transfert sur la société. C’est super aussi pour cette spin-off, avoir développé ce savoir-faire au sein d’une université constitue une garantie de succès. Ces modèles gagnant-gagnant, il faut les chérir, les mettre en vitrine et les émuler. »
Marie-Hélène Jobin, vice-rectrice aux partenariats et relations internationales à l’Université du Luxembourg
Dr. Tahereh Pazouki. Ph.D., fondatrice de MaGrid, est passée par notre incubateur et programme d’entrepreneuriat, mais ce n’est toutefois pas un passage obligé. Il nous arrive d’ailleurs d’envoyer certaines idées d’entreprises vers des incubateurs spécialisés, par exemple dans les fintech. Et à l’inverse, notre équipe accueille parfois des entreprises naissantes de l’extérieur et qui veulent créer des liens avec l’université.
Avez-vous des objectifs ou des ambitions pour l’incubateur et le programme d’entrepreneuriat ?
De façon pragmatique, au cours de mon mandat, j’aimerais augmenter, voire généraliser l’exposition de nos étudiants – mais aussi de nos chercheurs et du personnel administratif – à l’entrepreneuriat, pour que l’esprit entrepreneurial devienne pratiquement une valeur, pour que notre communauté développe le goût d’entreprendre et d’enrichir par la suite notre écosystème du Luxembourg.
Plusieurs programmes intègrent déjà une initiation à l’entrepreneuriat dans leur curriculum de façon formelle : Master in Technopreneurship, Master in Entrepreneurship and Innovation, European Master for High Performance Computing. Nous proposerons aussi des modules généraux donnés de façon transversale.
Témoignage de Simon Loutid, fondateur de Simon le financier, start-up incubée à l’Université du Luxembourg :
« L’incubateur et le programme d’entrepreneuriat agissent comme un véritable couteau suisse pour Simon le financier, nous offrant un soutien essentiel et multifonctionnel. En nous connectant avec des mentors et des experts, nous pouvons surmonter les défis et saisir les opportunités de croissance. Grâce à des ateliers et des formations ciblées, nous développons des compétences clés en stratégie, marketing et gestion financière. L’environnement collaboratif encourage également le partage des connaissances et les partenariats, renforçant ainsi notre capacité à réussir et à innover. »
➡️ Découvrez huit start-ups du Incubator and Entrepreneurship Programme dans l’article suivant
Vous mentionniez le « PaKTTO », Partnership, Knowledge & Technology Transfer Office. Quels sont plus précisément les champs d’actions de ce bureau ?
Une équipe est dédiée à la gestion de la propriété intellectuelle et à la promotion du transfert technologique. Nous pouvons d’ailleurs encore citer quelques exemples de spin-off qui ont été accompagnées par PaKTTO : WavyMeet issue du SnT sur le sujet de la cybersécurité, OrganoTherapeutics, qui a créé un cerveau artificiel pour simuler les effets des médicaments, Vagalume, spécialisée dans l’enseignement des langues et tout récemment Nium, qui simule le microbiome humain pour observer comment certains aliments ou médicaments sont digérés.
Le PaKTTO veille aussi aux partenariats avec les entreprises. Les industriels nous donnent en effet beaucoup d’occasions d’innover. Ils font appel à nous pour que nous fassions de la recherche dans un domaine spécifique, sous forme de partenariats ou de chaires. Il y a par exemple les chaires ArcelorMittal sur l’acier, Paul Wurth sur l’hydrogène, Ceratizit sur les métaux durs. C’est précieux pour nous, car cela nous permet de développer de la connaissance et créer de l’impact sur l’économie et la société.
Le Bureau des relations internationales est également sous votre tutelle. Le programme Erasmus+ est l’une de ses missions. Comment en bénéficient les étudiants ?
À Montréal, j’ai toujours envié le programme Erasmus+ européen et les possibilités d’émancipation qu’il peut offrir aux jeunes. Au Québec, il y a certaines bourses ciblées qui soutiennent des projets d’excellence, mais chaque institution doit créer son propre programme d’échange. HEC Montréal attirait d’ailleurs les étudiants pour son excellent programme.
La mobilité des étudiants est très bien soutenue ici par l’Europe. Et en plus, à l’Université du Luxembourg, elle est obligatoire durant le 1er cycle. Concrètement, l’étudiant de 2e ou 3e année part pour 6 mois, dans une université d’Europe ou au-delà. On inscrit dans l’ADN des étudiants l’importance de l’ouverture sur le monde. Le Luxembourg est d’ailleurs par définition une nation très internationale – par son profil démographique, par sa position géographique. Transférer cela chez nos étudiants est fantastique et vaut à l’Université du Luxembourg d’être classée 4e au monde en matière de capacité de rayonnement international.
« La mobilité fait croître. On laisse partir des enfants qui reviennent adultes. »
Marie-Hélène Jobin, vice-rectrice aux partenariats et relations internationales à l’Université du Luxembourg
Nous utilisons le programme Erasmus+, mais aussi toutes les bourses dont nous disposons, par le Ministère ou d’autres organismes. Par exemple, l’ambassade américaine fournit un soutien pour envoyer des étudiants au Canada ou aux États-Unis. Plusieurs étudiants ont aussi l’occasion d’aller au Japon ou en Australie.
Cela représente une responsabilité importante, car dès lors qu’on décide d’envoyer tout le monde, cela concerne aussi des personnes qui ont moins le goût de voyager, moins d’aptitudes pour le faire ou qui ne sont pas encore sûres d’être à la bonne place.
« L’innovation commence par la capacité à développer sa curiosité et à prendre des risques. Elle existe seulement si nous sortons de notre zone de confort, si nous sommes capables d’activer des ressources que nous n’avions pas activées avant. »
Marie-Hélène Jobin, vice-rectrice aux partenariats et relations internationales à l’Université du Luxembourg
L’ouverture sur l’autre et sur le monde, la curiosité et l’acceptation du risque sont tous des éléments qui vont favoriser l’innovation. Il y a bien sûr des actions qui sont très dirigées vers l’innovation, mais l’université doit aussi avoir une approche systémique, et l’international est une des dimensions systémiques pour créer cette innovation.
Comment souhaitez-vous faire évoluer ces programmes d’échange ?
Ce sont environ 700 étudiants qui partent chaque année de l’Université du Luxembourg. Eramus+ permet également d’envoyer des stagiaires, du personnel d’enseignement, des doctorants. La palette est extrêmement riche et un de mes objectifs est d’exploiter davantage toutes ces possibilités.
Mon deuxième objectif est de travailler au niveau de la mobilité à haute valeur ajoutée pour les étudiants de deuxième cycle (Master), en offrant plus de doubles diplômes, en allant vers des Erasmus Mondius, en intégrant – au moins avec un projet pilote – les Joint European Degrees, ces nouveaux diplômes européens dont on parle beaucoup mais qui n’existent pas encore. Il faut trouver les partenaires. Cela doit se faire petit à petit.
Comment l’Université de la Grande Région et UNIVERSEH complètent-ils le programme Erasmus+ ?
L’Université de la Grande Région est un réseau de proximité très important, principalement pour les doubles diplômes, les mobilités à haute valeur ajoutée, les collaborations de recherche pour le 2e ou 3e cycle.
Au-delà de cela, il existe des certificats qui se donnent dans la Grande Région, comme l’EurIdentity Certificate. Ces outils montrent que nous sommes capables de travailler de façon transfrontalière pour développer des consortiums et des groupes qui sont plus fort ensemble, plutôt que d’être en compétition. L’UniGR Center for Circular Economy of Materials & Metals est un autre exemple de coopération dans la Grande Région. Cette initiative porte sur l’économie circulaire et est propulsée par l’Université de Liège.
Nous travaillons encore avec six autres universités européennes sur la thématique de l’espace. Dans ce contexte, outre les aspects plus technologiques, les questions liées à la gestion des déchets, à l’éthique et au respect de l’environnement spatial devront certainement être étudiées. L’environnement et le droit de l’espace font déjà partie de notre Master in Space Technologies and Business. Des projets de recherche sont également en cours sur ces thématiques.
Souhaiteriez-vous mettre en place d’autres projets de relations internationales ?
Nous souhaitons mettre en place davantage de projets de collaboration avec des pays en voie de développement. Cela se fait déjà sur des sujets très précis tels que la cybersécurité. Cette collaboration doit cependant se faire dans le respect mutuel.
Nous allons par exemple travailler avec le Cap-Vert. Des étudiants vont venir chez nous, non pas dans une perspective de fuite des cerveaux, mais au contraire, pour qu’à leur retour au Cap-Vert, ils puissent être vraiment partie prenante de leur milieu. Dans d’autres cas, nous pourrions aussi bénéficier de connaissances pointues dans certains domaines. Prenons le Costa Rica, nous pourrions imaginer une transmission de savoir en matière de biodiversité.
« Il y a une expérience terrain d’exception dans les pays en voie de développement, dont on peut beaucoup apprendre. »
Marie-Hélène Jobin, vice-rectrice aux partenariats et relations internationales à l’Université du Luxembourg
Un an après votre prise de fonction au Luxembourg, que pensez-vous de son université et de ses différentes façons de soutenir les esprits innovants ?
C’est la plus belle année de ma vie. Je suis très heureuse d’être ici !
L’Uni est une jeune université avec encore un esprit de pionnier. Il y a plein de choses à améliorer, mais justement le concept même d’innovation est appréhendé par tous sans anxiété. On sait qu’il va falloir se retrousser les manches, mais les challenges sont envisagés avec ouverture. C’est vraiment génial de ne pas avoir à ramer contre le courant.
Le chemin déjà parcouru par l’Université du Luxembourg en une vingtaine d’années est phénoménal. Elle se trouve parmi les 20 meilleures jeunes universités au monde et est la 250e meilleure université. Les rankings ne font pas tout, mais ce sont tout de même des indicateurs qu’il faut regarder, et surtout quand ils sont à notre avantage ! Dans certaines disciplines, comme le droit, la physique, le software engineering, nous faisons partie du « club select » des 100. Il faut aussi se concentrer sur ces forces.
Nous sommes une petite université de 7.500 étudiants avec une force de frappe importante en raison des 1.000 doctorants que nous avons ici. Grâce à cela, nous développons vraiment de l’excellence en recherche et en enseignement.
Propos recueillis par Marie-Astrid Heyde
Portraits de Marie-Hélène Jobin : ©Fanny Krackenberger
Article tiré du dossier du mois « Innov’action »