Zones de protection : « a (n)ever ending story »

Zones de protection : « a (n)ever ending story »

À l’époque au Grand-Duché, la loi du 27 juin 1906, concernant la protection de la santé publique déterminait dans son article 1er que « Dans chaque commune, le conseil communal est tenu, afin de protéger la santé publique, de déterminer, sous forme d’arrêtés communaux portant règlement sanitaire : […] 3° les prescriptions relatives à l’alimentation des agglomérations en eau potable et à l’évacuation des matières usées. » Les conditions de vie dans les villes qui n’arrêtaient pas de s’agrandir, étaient épouvantables : taux de mortalité infantile et maternelle très élevés et la durée de vie d’une personne correspondait à peine à celle d’aujourd’hui. La prière fut le seul remède que les gens pratiquaient pour échapper à la mort précoce – remède peu efficace.

Les progrès en microbiologie, réalisés au XIXe siècle par les scientifiques tels que le Français Louis Pasteur et le médecin allemand Robert Koch démontraient qu’une maladie infectieuse est liée à la présence de micro-organismes. Cette révélation secouait la vision du monde qui prévalait dans la croyance populaire et médiévale : émanations mystérieuses et pêchés religieux étaient jusqu’à présent responsables des maladies. Dorénavant les urbanistes, architectes et conseils échevinaux pouvaient avoir recours à des directives et normes scientifiques pour résoudre les problèmes d’hygiène dans leurs villes en expansion constante. Bien qu’on ne disposait pas encore d’instruments sophistiqués pour screener les substances dans l’eau et qu’il était encore trop tôt, d’un point de vue scientifique, pour accorder des valeurs limites à la notion de potabilité d’une eau, la loi du 27 juin 1906, concernant la protection de la santé publique se référait déjà à un prototype de zone de protection. L’article 3 mentionne que « L’arrêté visé à l’alinéa 1er du présent article déterminera en même temps, s’il y a lieu, un périmètre de protection contre la pollution de la source ou de la nappe souterraine. II est interdit d’épandre sur les terrains compris dans ce périmètre, des engrais humains ou d’autres matières susceptibles de nuire à la salubrité de l’eau, d’y enterrer des cadavres et d’y forer des puits. » Au début du XXe siècle, le Grand-Duché se présentait donc très progressiste et on est tenté de penser que les Luxembourgeois étaient chanceux de disposer d’une ancienne loi qui met l’accent sur la prévention – mais rien n’est plus fallacieux comme nous allons le voir.

Considérant l’intention précoce (au moins sur le papier) de prévenir une dégradation des sources hydriques sur le territoire national par rapport à l’essor économique de la région ou du pays, et donc par rapport aux pressions d’activités industrielles et urbaines sur les systèmes écologiques (terrestres et aquatiques), il est d’autant plus frustrant de constater qu’un bon siècle plus tard, aucune zone de protection autour les forages ou les captages de source exploités n’est jusqu’en fin 2014 encore mise en place. Depuis cinq zones de protection ont été créées par règlement grand-ducal. Tous les conseils échevinaux des municipalités luxembourgeoises respectivement les gouvernements nationaux étant au pouvoir depuis 1906, n’ont pas réussi à établir ces zones de protection, c’est-à-dire à faire suivre l’acte à la parole. Ce manque s’exprime d’ailleurs par une pollution ubiquitaire. Mais n’oublions pas les autres composés chimiques tels que les pesticides, les hydrocarbures polycliniques aromatiques, les éléments métalliques, etc. Le portfolio de contamination de la nappe phréatique est large et varié – et ceci aux dépens du système écologique souterrain et des consommateurs.

Rappelons que ces zones de protection forment d’ailleurs un élément indispensable de l’approche à barrières multiples de la source au robinet dans le processus de potabilisation complexe et coûteux des eaux souterraines. L’approche à barrières multiples vise à réduire le risque de contamination de l’eau potable, à augmenter la faisabilité et l’efficacité des mesures d’assainissement ou de prévention et à réduire les coûts de potabilisation. L’installation de systèmes de filtration de plus en plus performants pour respecter les paramètres du règlement grand-ducal du 7 octobre 2002 relatif à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine sont coûteux et leurs coûts d’investissement et de maintenance sont payés par les consommateurs. Une eau brute polluée par des pesticides et traitée par l’ultrafiltration revient plus chère qu’une eau brute qui est beaucoup moins contaminée et qui est protégée par des zones de protection. En 1906, l’intention du législateur a été certainement bonne, mais insuffisante pour protéger les sources hydriques nationales vu que son exécution n’a jamais eu lieu. Cette omission constitue certainement la principale raison de la dégradation qualitative continue des sources hydriques luxembourgeoises au cours des décennies. Une contamination « made by Luxemburg ».

Les bonnes intentions formulées dans les textes législatifs se répétaient régulièrement. Le législateur légiférait au fur et à mesure et à plusieurs reprises dans différents textes législatifs dans le domaine de l’eau – soit sur sa propre initiative, soit sur base des directives européennes – l’obligation de l’établissement des zones de protection. Le règlement grand-ducal du 11 avril 1985 relatif à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine prévoyait une fois de plus l’élaboration de telles zones. Notamment l’article 9, sous l’intitulé « Obligations des exploitants d´un réseau de distribution d´eau », mentionne que « La personne publique ou privée qui exploite un réseau de distribution d´eau est tenue 1) d´aviser les ministres compétents de l´existence de zones de protection autour des points de prélèvement d´eau potable ». Malheureusement, cet article n’a jamais trouvé son application et les bonnes intentions restaient donc sans effets.

Le règlement grand-ducal du 7 octobre 2002 relatif à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine abroge son prédécesseur sans pourtant faire référence à l’établissement des zones de protection. En effet, neuf ans plus tôt, la loi du 29 juillet 1993 concernant la protection et la gestion de l’eau abrogeant la loi du 9 janvier 1961 ayant pour but la protection des eaux souterraines et abrogeant l’article 3 de la loi modifiée du 27 juin 1906 concernant la protection de la santé publique, définissait finalement dans l’article 3 le terme de « zone de protection des eaux » en tant que l’aire géographique destinée à prévenir contre les risques de pollution les ressources d’eaux potables et d’eaux minérales naturelles. L’article 19 prévoyait que la déclaration de zone de protection des eaux se ferait par règlement grand-ducal. Il est d’autant plus frustrant de constater qu’un bon siècle plus tard, aucune zone de protection autour les forages ou les captages de source exploités n’est jusqu’en fin 2014 encore mise en place. Depuis cinq zones de protection ont été créées par règlement grand-ducal.

Il y a 16 ans, en 2000, le Parlement européen et le Conseil votaient la directive 2000/60/CE établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau – il s’agit ici de la fameuse « Wasserrahmenrichtlinie ». En 1995, l’Agence européenne de l’environnement, a présenté son rapport sur l’environnement dans l’Union européenne qui confirmait la nécessité d’une action visant à protéger les eaux dans la Communauté, tant au point de vue qualitatif que quantitatif. La nouvelle stratégie devrait intégrer davantage la protection et la gestion écologiquement viable des eaux dans les autres politiques communautaires, telles que celle de l’énergie, celle des transports, la politique agricole, celle de la pêche, la politique régionale, et celle du tourisme. La directive 2000/60/CE est l’outil approprié pour y arriver et il dépend des pays membres de saisir l’opportunité pour corriger les erreurs du passé. Huit ans plus tard et avec un retard de 5 ans, le Luxembourg a finalement trouvé le temps pour transposer cette directive-cadre en droit luxembourgeois, remplaçant ainsi entre autres la loi concernant la protection et la gestion de l’eau de 1993.

Sur le territoire national, il existe quelque 270 sources et 40 forages qui sont actuellement exploités à des fins d’approvisionnement en eau potable par les fournisseurs d’eau publics. Tous ces points d’eau sont exploités sans qu’il existe une zone de protection déclarée par règlement grand-ducal. Toutefois l’article 44 - point 9 de la loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau mentionne expressément que « chaque prélèvement d’eau exploité à des fins de consommation humaine doit disposer de zones de protection – sous peine de retrait de l’autorisation d’exploitation au plus tard pour le 22 décembre 2015 ». Si les autorités responsables n’arrivent pas à se conformer aux exigences de la loi dans les délais imposés, et si l’article 44 trouve son application, les robinets du Grand-Duché tariront le 23 décembre 2015. En tout cas, ce serait la conclusion logique si l’on appliquait rigoureusement l’article en question. Aujourd’hui nous savons que les autorités publiques se placent au-dessus des textes législatifs, car uniquement cinq zones de protection ont été créées depuis 2014 jusqu’à présent par règlement grand-ducal : trois captages du Syndicat des Eaux du Sud, un captage du SIDERE et un captage de la commune de Junglinster.

Il est difficile de le croire, mais au Grand-Duché la qualité et la quantité d’eau des fleuves et rivières ne peuvent plus assurer la durabilité de la faune et de la flore sauvages, des plantes et des écosystèmes uniques. La biodiversité nationale est en danger, car à cause de la pollution chimique ubiquitaire et continue, mais aussi à cause de l’eutrophisation des eaux, une grande partie des espèces des milieux aquatiques ont vu leurs populations diminuer considérablement. Reste encore un point à illustrer. Qui dit zone de protection, dit également expropriation au profit de l’État, de la commune ou du syndicat de communes qui exploitent ces installations. La loi modifiée du 15 mars 1979 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique devrait régler cela, mais à quel prix social ? L’article 61 de la loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau mentionnant les sanctions pénales est pourtant très clair : « Les infractions aux articles […] 44 […] sont punies d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 251 à 750.000 euros ou d’une de ces peines seulement » – sous condition évidemment que l’article sera appliqué.

Communiqué par notre partenaire Waasser Consulting

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Publié le lundi 19 septembre 2016
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