10 raisons de croire au potentiel positif de l’IA
Santé publique, préservation de la biodiversité, lutte contre le changement climatique… L’intelligence artificielle offre des solutions révolutionnaires qui peuvent contribuer à un avenir durable et plus équitable. Dix experts ont partagé leurs expériences et leurs projets au dernier Luxembourg Sustainability Forum.
Le 22 octobre dernier, IMS Luxembourg organisait le Luxembourg Sustainability Forum. Après une première partie consacrée aux enjeux multiples posés par l’IA, place à la deuxième partie ayant comme thématique « 10 raisons de croire au potentiel transformateur positif de l’IA ». Dix experts ont présenté des avancées exceptionnelles qui attestent du potentiel de l’intelligence artificielle (IA) à créer un changement positif.
Cornel Amariei, fondateur et CEO de .lumen, a partagé son expérience inspirante, en mettant en avant son parcours personnel et son engagement à améliorer la vie des personnes handicapées, en particulier celles souffrant de déficience visuelle. Voici les principaux points de son intervention.
Le projet .lumen : des lunettes pour aveugles
Cornel Amariei a présenté les lunettes .lumen, une innovation technologique conçue pour aider les personnes aveugles ou malvoyantes à se déplacer de manière autonome. Ces lunettes utilisent des technologies de réalité augmentée pour guider les utilisateurs en leur envoyant des signaux sensoriels qui les aident à éviter les obstacles. Cornel Amariei a comparé cette technologie au fonctionnement des chiens guides, mais avec une approche numérique et plus accessible. Il a souligné l’importance de cette innovation dans un monde où seulement 28.000 chiens guides sont disponibles pour plus de 300 millions de personnes aveugles.
Le contexte personnel
Cornel Amariei a expliqué que son engagement dans la technologie d’assistance est en grande partie inspiré par son histoire familiale. Né dans une famille où la plupart des membres ont un handicap, il a développé une sensibilité particulière à ces enjeux dès son enfance. Il a décrit son parcours comme étant façonné par la curiosité et la volonté de comprendre pourquoi sa situation familiale était différente, ce qui l’a poussé à explorer des solutions créatives pour aider les autres.
« J’ai grandi dans une famille où tout le monde avait un handicap, sauf moi. Cette expérience m’a appris l’importance de la curiosité et m’a conduit à l’innovation. »
Le succès des lunettes .lumen
Le projet .lumen a remporté de nombreuses distinctions, dont le prestigieux Prix Red Dot du meilleur design industriel, le plaçant au même niveau que des géants comme Apple. Cornel Amariei a raconté comment il a travaillé avec son équipe de manière intensive pour affiner le produit, en mettant l’accent sur l’ergonomie et l’utilité pour les personnes aveugles.
« Nous avons construit quelque chose qui aide vraiment. Les personnes qui ont testé nos lunettes ont pleuré de joie, certaines disant qu’elles pensaient qu’une telle technologie ne serait jamais possible de leur vivant. »
Une philosophie centrée sur l’humain
Cornel Amariei a également souligné que la motivation derrière .lumen n’était pas l’argent, mais le désir sincère d’aider les gens. Il a affirmé que l’argent suivrait naturellement si l’on se concentrait d’abord sur la création de valeur et sur la résolution de vrais problèmes.
« Faites des choses qui ont du sens, et l’argent viendra ! »
Il a ajouté que le rôle d’un fondateur n’est pas simplement de diriger une entreprise, mais de créer un contexte dans lequel chaque employé peut faire le meilleur travail de sa vie. En racontant l’histoire de son collaborateur Ciprian, un designer industriel qui a réussi à créer un design gagnant après s’être mis dans la peau des utilisateurs, Cornel Amariei a insisté sur le pouvoir de la créativité et de la collaboration dans un environnement favorable.
« Les personnes ordinaires, dans un bon contexte, peuvent accomplir des choses extraordinaires. »
Un modèle d’innovation durable
.lumen est aujourd’hui en voie de commercialisation, avec des essais réalisés auprès de 300 utilisateurs aveugles. Cornel Amariei a partagé l’émotion des retours qu’il reçoit, des personnes bouleversées par la possibilité de se déplacer en toute autonomie grâce à la technologie.
« Créer du sens, pas de l’argent. L’argent viendra après. »
Cornel Amariei a clôturé son intervention en rappelant que l’origine sociale ou géographique importe peu lorsqu’on a la volonté d’innover et d’aider les autres. Grâce à des initiatives comme .lumen, il est possible de changer des vies en fournissant des solutions pratiques et durables pour les personnes ayant des besoins particuliers.
« Ce n’est pas important d’où vous venez, mais ce que vous faites avec ce que vous avez. »
Son discours, empreint d’humanité et de passion, a encouragé l’audience à repenser l’innovation non pas comme un simple moteur économique, mais comme un véritable levier de transformation sociale.
Une expertise internationale
Après Cornel Amariei, neuf autres experts ont eu chacun 5 minutes pour présenter leur projet respectif. Plongée au coeur de l’IA...
Dans son discours, Baptiste Fosséprez, CEO de PEPITe, a expliqué comment son entreprise utilise des algorithmes de machine learning pour réduire l’empreinte carbone du secteur industriel, qui représente 29 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Avec des données de production précises, PEPITe aide les entreprises à optimiser leur consommation d’énergie et de matières premières, tout en maintenant la qualité de leurs produits.
Baptiste Fosséprez illustre cette approche dans le secteur pharmaceutique, où les unités de traitement de l’air consomment jusqu’à 40 % de l’énergie d’un site. En ajustant les paramètres grâce à l’IA, PEPITe a permis d’économiser jusqu’à 27 % d’énergie par unité, soit environ 1.000 tonnes de CO₂ par an pour un grand site.
« Ne pas faire ceci, pour moi, aujourd’hui, c’est simplement de la folie L’IA éco-responsable est importante pour un impact réel. »
Dans son discours, Luis Figueroa, expert en biodiversité et analyste chez Space4Good, a expliqué comment les capteurs à distance et l’IA permettent de mieux observer et préserver la biodiversité. Il a illustré comment des images haute résolution, capturées par satellites ou drones, permettent d’identifier des espèces et de suivre la santé des écosystèmes, jusqu’à des détails précis de 35 centimètres. Les données volumineuses sont ensuite traitées par des algorithmes de machine learning et de deep learning pour automatiser l’analyse, ce qui rend possible l’étude de grandes régions.
Luis Figueroa a partagé l’exemple d’un inventaire réalisé à Amsterdam, où l’IA a aidé à cartographier les arbres urbains et leurs états de santé.
« La biodiversité est complexe, mais l’IA et les capteurs nous aident à mieux comprendre sa dynamique. »
Il a aussi évoqué des projets en Indonésie qui utilisent des données acoustiques pour détecter des espèces d’oiseaux et évaluer la qualité de l’environnement.
Théo Alves da Costa, ingénieur en IA chez Data 4 Good, a présenté un projet appelé Pyronear, développé pour lutter contre les feux de forêt. Il a souligné que les incendies de forêt représentent 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et que ce problème s’aggrave avec le changement climatique. Pyronear utilise des stations équipées de caméras et d’un mini-ordinateur pour détecter les départs de feu précoces, notamment les fumées, permettant ainsi aux pompiers d’intervenir rapidement. Cette approche a montré qu’une détection précoce augmente les chances de contrôler les feux de 90%.
« Intervenir le plus tôt possible augmente les chances de résolution de plus de 90%. »
Le système est déjà en place dans plusieurs forêts en France et au Chili. Théo Alves da Costa a insisté sur l’importance de collaborations avec les pompiers et les gestionnaires forestiers pour garantir le succès du projet, tout en insistant sur le fait que tout le matériel est en open source, facilitant sa réplicabilité.
Sviatlana Höhn, chercheuse postdoctorale chez LuxAI, a présenté un projet visant à soutenir les enfants et les familles confrontés à des handicaps ou à des troubles d’apprentissage. Elle a expliqué que les délais d’attente pour obtenir un diagnostic et un accès à la thérapie peuvent aller jusqu’à 12 mois, ce qui est difficile pour les familles. LuxAI a développé un robot interactif conçu pour aider les enfants ayant des besoins spéciaux en leur fournissant un soutien éducatif et émotionnel.
Ce robot peut être utilisé par les parents à domicile, réduisant ainsi le temps d’attente pour les thérapies et aidant les enfants à interagir de manière ludique et éducative. Il offre aussi une plateforme pour les chercheurs, permettant le développement de nouvelles applications pour des personnes atteintes de démence ou souffrant de solitude.
Le robot peut s’adapter aux besoins spécifiques de chaque enfant et propose une approche interactive à l’apprentissage.
Jérémy Lefèvre, référent technique chez Ibisa, a expliqué le fonctionnement des assurances paramétriques, qui se basent sur des indicateurs prédéfinis plutôt que sur des évaluations de pertes réelles après un sinistre. Ces assurances se déclenchent automatiquement lorsqu’un seuil est dépassé (par exemple des précipitations extrêmes) et l’indemnisation est versée rapidement, sans vérification des dommages.
Ibisa se concentre principalement sur les paramètres climatiques, qui deviennent de plus en plus fréquents et graves avec le changement climatique. Leurs clients sont majoritairement des agriculteurs, dans des pays comme l’Inde, les Philippines et le Sénégal, des régions souvent démunies en termes d’accès aux assurances.
« Grâce à l’intelligence artificielle et aux données satellitaires, nous avons permis à plus de 500 000 fermes agricoles d’être assurées. »
Hovig Etyemezian, directeur du Service de l’Innovation du Haut-Commissariat pour les réfugiés (UNHCR), a partagé son parcours de vie de réfugié pour expliquer son engagement au sein de l’organisation. Le UNHCR, qui aide plus de 20 millions de réfugiés, explore des solutions innovantes, notamment en IA, pour améliorer la vie des populations déplacées. L’IA permet d’anticiper les crises humanitaires, de mieux comprendre les besoins des réfugiés et d’optimiser les services humanitaires.
« Nous explorons des solutions, sans réponse parfaite, pour anticiper et répondre aux crises plus efficacement. »
Le UNHCR collabore avec des partenaires comme la Fondation Leader du Luxembourg pour renforcer l’inclusion numérique et l’accès aux services financiers des réfugiés. Ce processus, basé sur des données traditionnelles et non traditionnelles, permet de mieux anticiper et préparer les interventions humanitaires dans des contextes de crise.
Fouzi Benkhelifa, CEO et co-fondateur de NEXQT, a souligné les enjeux critiques liés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, surtout dans les villes, qui sont à l’origine de 70% des émissions mondiales. Il a expliqué que les villes, bien que centrales dans la lutte contre le changement climatique, ne reçoivent que 5% des financements climatiques mondiaux. Actuellement, les outils à disposition, comme les bilans carbone, sont limités et ne permettent pas de cibler efficacement les actions à mener.
NEXQT propose une solution innovante en utilisant les données générées par les infrastructures urbaines (bâtiments, routes, réseaux énergétiques) et l’IA pour fournir des bilans carbone en temps réel et identifier les leviers d’action.
« Pour agir, il me faut une carte. Pour agir, il faut savoir où est mon 80-20. »
Fouzi Benkhelifa a appelé à une plus grande implication des acteurs financiers pour rendre les financements climatiques plus accessibles aux villes.
Maxime Allard, co-fondateur de Helical-AI, a évoqué l’importance de démocratiser l’IA dans les systèmes de santé. Il a présenté le concept de modèles bio-foundation, qui fonctionnent comme des modèles de langage tels que ChatGPT, mais pour les données biologiques. Grâce à ces modèles, il est possible de simplifier et d’accélérer des processus comme la découverte de médicaments, actuellement longs et coûteux, en simulant des tests directement sur ordinateur, sans expérimentation animale ou humaine.
Maxime Allard a mis en avant la réduction significative des coûts liés au séquençage de l’ADN, rendant la collecte de données biologiques plus accessible et promettant des avancées en matière de médecine personnalisée.
« Nous croyons qu’avec ces modèles d’IA, nous nous rapprochons d’une réalité où nous pourrons simuler et tester des stratégies directement in silico. »
Il a souligné également le potentiel de ces technologies dans l’agriculture, avec le développement espèces résistantes aux conditions extrêmes.
Enfin, Malik Afegbua, artiste numérique nigérian, a détaillé comment il utilise l’IA pour transformer les représentations culturelles des personnes âgées africaines. Son projet, « The Elders », met en scène des personnes âgées dans des défilés de mode imaginaires et des espaces culturels inédits, valorisant leur identité et rompant avec les stéréotypes liés à l’âge et à l’image de la vieillesse.
Inspiré par sa relation avec sa mère décédée, Afegbua raconte comment l’IA l’a aidé à reconnecter avec elle et à partager des histoires significatives.
« Le narratif peut changer le monde, mais avec la technologie, l’imagination n’a plus de limite. »
Son projet, devenu viral, a permis de réintégrer les aînés dans la publicité et la culture visuelle mondiale. Malik Afegbua voit dans la technologie un outil pour véhiculer des messages forts et réinventer les normes sociales.
Sébastien Yernaux
Photos : © IMS Luxembourg