« Collaborer avec l'existant pour réduire la multitude des systèmes »

« Collaborer avec l’existant pour réduire la multitude des systèmes »

Annoncée il y a quelques semaines, la création du GIE Terra Matters par le ministère de l’Économie et la Chambre de Commerce a pour but d’accompagner la transition des entreprises vers une économie circulaire. Sa première mission : la commercialisation du PCDS : Product Circularity Data Sheet. On en apprend plus avec Jérôme Petry et Christian Tock du ministère de l’Économie.

La terre est importante et ce n’est pas Terra Matters qui dira le contraire. Ce récent partenariat entre le Ministère de l’Économie et la Chambre de Commerce va s’atteler à faire rayonner le Product Circularity Data Sheet (PCDS), document visant à valoriser les propriétés circulaires des produits commercialisés au Luxembourg, mais pas que. Au ministère, Christian Tock et Jérôme Petry, respectivement chargé de direction adjoint et chef de projet à la direction générale Industrie, Nouvelles Technologies et Recherche, nous dévoilent les détails de ce nouveau groupement d’intérêt économique (GIE).

Il semble difficile d’expliquer Terra Matters sans préalablement rappeler ce qu’est le PCDS. Pouvez-vous nous résumer l’origine et les ambitions de ce document ?

Christian Tock : « Le projet de créer le PCDS a démarré quand un groupe d’experts nous a abordés au ministère de l’Économie en indiquant que beaucoup de projets se faisaient sur le sujet des ’passeports digitaux de matériaux’ d’un point de vue tout à fait intéressant, mais sans jamais aborder la vraie problématique, qui n’est pas le passeport en soi, mais l’obtention des informations et détails à y insérer. C’est cela qui a vraiment lancé l’idée : nous avons réuni les experts et entreprises intéressés pour comprendre les barrières qui rendaient difficiles l’obtention de ces informations. De fil en aiguille, cela a fédéré les acteurs de projets et, assez rapidement, nous avons eu une cinquantaine d’acteurs de 12 pays différents qui y ont pris part et qui nous ont aidés à identifier les principaux facteurs limitants :

  • D’abord, les gens ne veulent pas partager certaines informations, afin de préserver les secrets de fabrication ;
  • Ensuite, la façon de demander l’information n’est pas standardisée. De ce fait, le transfert de l’information dans la chaîne de valeur est mal compris, voire inutilisable dans cette chaîne de valeur ;
  • Et enfin, il n’y a actuellement pas réellement de réflexe de fournir l’information avec le produit. C’est celui qui met sur le marché qui doit fournir l’information en la demandant à son fournisseur, qui va lui-même s’adresser à son fournisseur,… jusqu’à remonter toute la chaîne de valeurs.

Au final, tous ces efforts à fournir sont extrêmement complexes et requièrent du temps et de l’argent.

L’idée que nous avons eue - avec toutes ces entreprises et experts qui ont participé - c’est de développer un système qui puisse lever toutes ces barrières. »

Comment fonctionne ce système ?

Jérôme Petry : « Notre solution est basée autour de trois axes :

  1. Une fiche de données répertoriant les informations nécessaires à propos des propriétés circulaires ; on se focalise sur les propriétés qui permettent au produit d’être réutilisé au terme de sa première utilisation. On utilise d’ailleurs uniquement des questions fermées : on y répond par ’vrai’ ou ’faux’, par ’oui’ ou ’non’. Nous avons choisi ce système binaire afin de pouvoir indiquer que l’information est disponible, sans avoir à divulguer de secret de fabrication ou d’autres détails qui restent la propriété intellectuelle du producteur.
  2. Le standard. Il était important d’avoir un langage commun et de mettre la sécurité nécessaire, pour que le producteur, qui répond positivement à une question, sache comment garder la preuve de ce qu’il avance. Ce standard est développé avec le concours de l’ISO (Organisation internationale de normalisation, NDLR). Il s’agira du futur standard ISO 59040 qui définira les obligations concernant les preuves à garder au niveau du producteur. Ces preuves informatiques devront être communiquées soit sur need-to-know basis, par exemple si un utilisateur final a besoin de connaître le détail de ces informations, soit à la demande d’un auditeur externe mandaté pour vérifier les informations et confirmer que le PCDS est conforme à la norme. C’est pour cela qu’il est primordial que nous disposions d’une norme ISO reconnue internationalement. Cette norme, dont je suis le rédacteur, est en cours d’élaboration par le working group 5 du comité technique TC323, dont les experts se réuniront du 24 au 26 avril à la Chambre de Commerce du Luxembourg.
  3. La plateforme d’échange de données, que nous souhaitons également développer sous le GIE. Le producteur conserve la plupart des données chez lui. On crée de facto un système décentralisé de données. Terra Matters va mettre en place une plateforme d’échange de données dans laquelle on pourra retrouver qui a émis tel PCDS pour tel produit dans une sorte de répertoire centralisé. Leur identifiant unique permettra à quiconque le souhaite d’entrer en contact avec le producteur et soumettre une requête pour obtenir la preuve nécessaire. »

Nous avons choisi un système binaire afin de pouvoir indiquer que l’information est disponible, sans avoir à divulguer de secret de fabrication ou d’autres détails qui restent la propriété intellectuelle du producteur.

Suite à la création du GIE Terra Matters, quels sont les rôles respectifs du ministère de l’Économie et de la Chambre de Commerce ?

Christian Tock : « Tout d’abord, le développement du standard que nous venons de mentionner reste la prérogative du ministère pour maintenir une structure claire et une certaine indépendance. Le GIE a, pour sa part, comme mission principale la commercialisation du PCDS qui se base sur ce standard.

Au sein du GIE, le rôle du ministère est de s’assurer que le projet développé ici ‘suit son cours’. Il fallait d’abord vérifier la faisabilité de l’idée. On a montré la nécessité d’un tel système ; sa faisabilité et son acceptation ont atteint une telle maturité qu’il était temps de monter une structure commerciale en charge de ce produit. À partir de là, ce n’est plus le rôle du ministère de faire croître cette initiative, mais bien le rôle d’une entité commerciale indépendante, d’où l’idée du GIE avec la Chambre de Commerce. Le rôle de la Chambre de Commerce est donc d’apporter ses connexions avec tout le tissu économique du Grand-Duché, ainsi que son savoir-faire en matière de ressources humaines, communication, support, événementiel, etc. La Chambre de Commerce est un partenaire avec lequel le ministère travaille beaucoup, notamment lors des missions économiques officielles et des expositions universelles. C’était pour nous le partenaire naturel pour travailler sur ce projet. »

De nouveaux emplois sont-ils prévus ?

Jérôme Petry : « Pour l’instant, Terra Matters consiste principalement en un conseil d’administration composé, côté ministériel, de Christian Tock, Jérôme Petry et Raymond Faber, et, à la Chambre de commerce, d’Anne-Marie Loesch et Christel Chatelain. D’autres collaborateurs de la Chambre de Commerce travaillent déjà sur le développement de l’identité du GIE et fournissent un support RH, entre autres.

Le GIE est également en train de recruter son directeur/trice. Les candidatures étaient ouvertes jusqu’au 1er mars. Nous avons reçu de nombreux CVs et avons mené une première série d’entretiens.

Nous devrions créer encore un à deux emplois supplémentaires cette année, à commencer par un business developer. Pour que la plateforme soit un succès, il est important de développer les cas pratiques nécessaires pour montrer aux entreprises la valeur ajoutée du PCDS. Beaucoup de gens se posent encore de nombreuses questions sur la nécessité ou le besoin d’un PCDS. Le business developer devra travailler sur la présentation de cette valeur ajoutée, car c’est un service qui sera payant. Naturellement, nous ne souhaitons pas rendre ce service extrêmement cher, mais nous devons couvrir les frais de fonctionnement et il faut donc qu’il y ait une activité commerciale liée à cela.

Nous avons établi un business plan sur 5 ans, au terme desquels nous prévoyons d’engager jusqu’à une vingtaine de personnes. »

La fiche de données existe déjà, le standard est en cours d’écriture. Quand pensez-vous publier la plateforme d’échange de données ?

Christian Tock : « Il n’y a pas encore d’échéance fixée. Ce sera une des priorités pour 2023. On espère bien sûr que cela se fera le plus vite possible. Pour l’instant, nous disposons d’une version Proof of Concept (POC), qui n’est pas ouverte aux personnes extérieures au groupe-test. Mais à partir de ce POC, nous devrions pouvoir assez rapidement créer une plateforme commercialement utilisable. Nous voulons que cette plateforme soit open source et, si possible, open data. On souhaite réellement jouer au maximum sur la transparence et la collaboration. C’est également en ligne avec le souhait de la Commission européenne de développer des passeports numériques pour différents secteurs. Il y a clairement une volonté d’alignement par rapport aux stratégies européennes. Nous ne souhaitons pas que notre démarche soit en concurrence avec les demandes de la Commission, mais bien qu’elle aille dans la même direction et puisse fournir un début de solution. »

Et que le PCDS devienne l’outil européen privilégié ?

Jérôme Petry : « Ce serait naturellement super, mais il y a bien entendu la libre concurrence. Ce qui est important aussi, c’est qu’on ne vise pas que l’Europe.

L’Europe peut uniquement imposer des contraintes à celui qui se charge de la mise sur le marché européen. Cela comporte beaucoup de problématiques. Par exemple, une étude indique que 86% des déclarations REACH sont falsifiées aujourd’hui. Il y a très peu de contrôle et la majorité des produits viennent de l’extérieur de l’Europe. Ceux qui falsifient ces déclarations sont dès lors ‘intouchables’ d’un point de vue juridique. Nous avons donc, dès le début, souhaité ancrer ce projet au niveau international. Cela complexifie les choses mais cela permet aussi d’avoir un système communément reconnu au niveau international.

Nous voulons un système qui soit facile à appliquer, peu cher et inclusif.

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Dans ce contexte, le co-convenor du working group 5 du TC323 à l’ISO représente la Chine. Nous avons, dès le début, souhaité impliquer les pays où les produits sont réellement fabriqués. Un autre point important auquel nous veillons depuis le début, c’est l’inclusion des PMEs. Beaucoup de systèmes sont inefficaces ou assez chers à mettre en place et donc inaccessibles pour des PMEs. Nous voulons donc un système qui soit facile à appliquer, peu cher et inclusif. La partie la plus onéreuse concernera la partie ’audit’ , qui sera échelonnée sur trois niveaux, du self-audit (déclaration sur l’honneur) à l’audit par une partie tierce (bureau d’expert qui va émettre un certificat officiel), en passant par l’audit réalisé par le client de son fournisseur. Le but est, dans tous les cas, d’entrer dans une forme de contrat entre le fournisseur et le client dans lequel sont réglés les détails à fournir entre partenaires. »

Les certifications de type Cradle to Cradle peuvent-elles appuyer, par exemple, un self-audit ?

Christian Tock : « Nous travaillons beaucoup avec le Cradle to Cradle Products Innovation Institute et, en effet, si le certificat fournit suffisamment de données, cela peut constituer une source de preuve. On fonctionne aussi dans le sens inverse : disposer d’un PCDS valide permet de prouver certains éléments pour obtenir une certification Cradle to Cradle. Un PCDS aidera à réduire la redondance qu’on retrouve dans certains systèmes déclaratifs. L’idée est bien entendu de s’aligner et de collaborer avec l’existant pour réduire la multitude des systèmes.

Nous souhaitons aussi que nos solutions soient machine readable. On ne peut pas avoir simplement un simple Word ou un Excel qui doit être ouvert, lu, contrôlé et validé par un humain. L’idée est plutôt que toutes les étapes puissent être réalisées de manière automatisée car nous souhaitons traiter un grand nombre de PCDS. Quelqu’un qui assemble un produit assez complexe peut avoir une centaine, voire un millier de fournisseurs pour tous les composants de son produit. Il faut donc pouvoir informatiser cela de manière assez simple tant pour la collecte que pour la compilation en vue d’obtenir le PCDS du produit final. »

Le PCDS représente-t-il une obligation pour les entreprises ?

Jérôme Petry : « Pour l’instant c’est un système volontaire ; il n’y a pas d’obligation ni de cadre légal qui oblige à y répondre. Il y a, par contre, une certaine pression au niveau de l’Europe et dans d’autres pays pour réguler certains aspects et nous espérons donc que cette pression va participer à l’acceptation d’un tel produit. Le Luxembourg n’a pas fait le choix d’une obligation. Je pense qu’il faut d’abord que le développement de la plateforme se fasse avant de penser à un tel élément. Ce n’est donc pas exclu mais ce n’est pas non plus à l’ordre du jour actuellement. »

Pour l’instant c’est un système volontaire ; il n’y a pas d’obligation ni de cadre légal qui oblige à y répondre.

Terra Matters sera dans un premier temps synonyme de PCDS, mais ses activités pourraient s’étendre à l’avenir ?

Christian Tock : « Dans le communiqué de presse officiel, cinq missions principales sont mentionnées, à commencer par la promotion et l’accompagnement de la transition des entreprises vers une économie circulaire. On a opté pour une formulation assez large au cas où nous souhaiterions aller au-delà du PCDS et loger d’autres projets dans ce GIE, toujours à destination des entreprises. C’est bien la mission faîtière, mais qui passe actuellement par un seul pilier, le PCDS. »

Propos recueillis par Marie-Astrid Heyde
Photos : Terra Matters/Ministère de l’Économie

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Publié le jeudi 9 mars 2023
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