
Déchets textiles : trois acteurs luxembourgeois dans un projet Horizon Europe
Pour mettre un terme à la quantité démesurée de déchets textiles, la Commission européenne finance le projet TRUSTex - Advancing Sustainable Textiles in the Circular Economy through Innovative Extended Producer Responsibility Schemes. Pilotée depuis le Luxembourg, cette démarche internationale doit apporter des solutions concrètes en 36 mois.
Interview de Xavier-François Verni, senior environmental engineer du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) et Laetitia Georgel, circular economy project leader chez Terra Matters.
Le LIST est à l’origine de ce projet international. Comment a-t-il démarré ?
Xavier-François Verni (LIST) : En 2024, il y a eu un appel au niveau européen dans le cadre des projets Horizon Europe, qui correspondait à certains domaines de prédilection du LIST, à savoir l’économie circulaire et le développement durable. Nous avons donc décidé de participer à cet appel à projets et nous avons cherché différents partenaires qui pourraient nous aider dans ce cadre.
Au Luxembourg, Terra Matters a rapidement été identifié comme partenaire idéal pour la partie digitalisation, et plus spécifiquement pour la traçabilité des données circulaires des produits tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Un troisième partenaire luxembourgeois est impliqué, LMDDC, expert en création de e-learnings (apprentissages en ligne), qui sera actif sur le volet communication externe. Son rôle intervient dans le programme de travail 6, destiné à la communication, à la fois avec les différentes parties prenantes, mais aussi avec les consommateurs.
Il est important de noter que ce projet est financé par l’Europe, mais aussi par la Suisse, via le SERI, State Secretariat for Education, Research and Innovation. Scantrust et Neovili sont nos deux partenaires suisses sur ce projet. Nous avons aussi un partenaire industriel en Turquie.
Quel est l’objectif du projet TRUSTex ?

X-F V : L’objectif global est d’essayer de rendre le secteur du textile plus circulaire, notamment à travers la responsabilité étendue des producteurs. Avec la directive cadre sur les déchets, la Commission européenne veut rendre obligatoire la mise en place d’un schéma de responsabilité étendue des producteurs au niveau européen. Cela existe déjà dans certains pays comme la France et les Pays-Bas.
Des objectifs clairs nous ont été fixés. On attend aussi de nous que nous apportions des pistes pour améliorer la circularité de l’industrie textile, qui consomme énormément de ressources. Il s’agit du 4e secteur en termes de quantités de ressources consommées, et du 5e plus grand émetteur de gaz à effet de serre. Il y a donc beaucoup d’efforts à faire au niveau de l’impact environnemental, et en matière de circularité, pour renforcer le réemploi, la réutilisation, le recyclage – mécanique ou chimique – et améliorer la conception (éco-conception).
À ne pas confondre :
- « réemploi » : toute opération par laquelle des produits ou des composants qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus ;
- « réutilisation » : toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau ;
- « recyclage » : toute opération de valorisation par laquelle les déchets sont retraités en produits, matières ou substances aux fins de leur fonction initiale ou à d’autres fins. Cela inclut le retraitement des matières organiques, mais n’inclut pas la valorisation énergétique, la conversion pour l’utilisation comme combustible ou pour des opérations de remblayage ;
Source : legilux
Laetitia Georgel (Terra Matters) : C’est devenu d’autant plus pressant qu’avec le développement de la fast fashion, la quantité de textile fabriqué au niveau mondial a doublé entre 2000 et 2020, ce qui est déjà énorme. Et elle devrait tripler jusqu’à 2030 par rapport à 2000.
« L’impact de la fast fashion est très important, et la notion de responsabilité étendue des producteurs vise justement à insister sur le fait que les producteurs sont responsables de la totalité du cycle de vie des produits qu’ils mettent sur le marché. C’est ce que nous allons tester dans le cadre du projet. »
Laetitia Georgel, Terra Matters
Concrètement, quels sont les champs d’action de TRUSTex ?
XFV : Notre projet a pour mission de soutenir la Commission européenne en amenant des recommandations pour la mise en place de cette responsabilité étendue des producteurs (ci-après REP). Nous allons aussi développer toute la partie communication dans la chaîne d’approvisionnement, notamment à travers le Digital Product Passport, et également développer des solutions innovantes pour améliorer le désassemblage du textile, son tri en vue d’un réemploi/d’une réutilisation ou d’un recyclage, son recyclage et, tout en amont de la chaîne, la transition vers l’écoconception (ou ecodesign), qui rentre dans le cadre de la réglementation ESPR. Toutes ces notions interviennent en faveur d’une meilleure circularité du textile.
C’est donc un projet européen, mais nous allons aussi nous pencher sur les impacts au niveau des pays non européens, notamment africains. Comme beaucoup le savent déjà, depuis début 2025, il y a une obligation de collecter les textiles de façon séparée. Suite à cela, le volume de déchets textiles collecté va exploser, et ce volume va devoir être trié et revalorisé. Il faut savoir qu’une partie est envoyée vers les pays africains, et il y a actuellement un manque de transparence et de traçabilité dans ces transferts.
« L’innovation prend une grande place dans ce projet, et, pour cela, nous avons impliqué des industriels qui vont pouvoir tester des solutions, par exemple d’automatisation du tri ou de désassemblage de fibres textiles. »
Xavier-François Verni, LIST
En tant qu’initiateur du projet, quel(s) rôle(s) détient le LIST ?
XFV : Le LIST est le coordinateur, c’est-à-dire le responsable vis-à-vis de la Commission par rapport aux objectifs et aux attentes.
En plus de cette partie gestion de projet, le LIST prend aussi en charge certains aspects technique du projet. Je fais partie des programmes de travail qui vont s’intéresser aux réglementations en place et faire des recommandations sur ce qui pourrait être amélioré pour faciliter la transition circulaire du secteur textile, notamment dans le cadre de la REP. En pratique, nous allons observer ce qui se fait déjà – la France, par exemple, est un des pays pionniers puisqu’elle a mis une réglementation REP en place dès 2007 ; l’Italie et les Pays-Bas sont aussi bien avancés. Nous allons comparer les différents systèmes existants et analyser dans quelles mesures ces réglementations peuvent être transposées au niveau européen.
Le LIST va aussi mettre à disposition ses compétences en termes d’analyse de cycles de vie pour vérifier le bénéfice environnemental des technologies qui seront développées. D’autres partenaires étudieront l’impact socio-économique.
Et enfin, notre Institut va mettre en place un outil informatique, un tableau de bord pour le partage d’informations entre les différentes parties prenantes. On y retrouvera des documents clés, comme la liste des substances préoccupantes.
En tout, neuf personnes du LIST travailleront sur ce projet : sept sur la partie technique/management et deux en tant que fonction support (finance et affaires légales).
Terra Matters intervient dans le programme de travail lié à la digitalisation (Value Chain Digitalization). Quel sera son rôle ?
LG : Nous allons travailler avec différents partenaires basés dans plusieurs pays européens. Il y a notamment le CETIM (Espagne) qui a un rôle important dans ce programme de travail, ainsi que Scantrust (Suisse) et Made2Flow (Allemagne), par exemple. Ensemble, nous allons développer une infrastructure qui va permettre la collecte et la transmission de données des produits textiles. Ce travail s’inscrit dans la directive ESPR et plus spécifiquement dans la notion de passeport numérique de produit (DPP). Tous les produits devront disposer de ce passeport, qui est encore en cours de définition, et qui comprendra toutes les informations concernant les impacts environnementaux des produits, et tous les aspects de circularité.
Et c’est là que Terra Matters a son rôle à jouer, puisque nous fournissons une plateforme digitale permettant d’identifier, pour un produit donné, toutes les propriétés circulaires, tant au moment de sa conception (Comment a-t-il été conçu ? Contient-il des matières recyclées ou réemployées ?), qu’au cours de la vie du produit (Est-il réparable ?), et évidemment aussi en fin de vie (Est-il démontable ? Peut-il être réutilisé pour d’autres objectifs que son but initial ? Peut-il être amélioré ?). En bref, quelles sont les propriétés circulaires permettant que le produit ne devienne pas un déchet ?
Qui sont les autres partenaires et quels rôles jouent-ils ?
XFV : Il y a en tout 19 partenaires. On retrouve des RTO - pour Research and Technology Organizations -, comme le CTB – Centre scientifique & technique de l’industrie textile belge, des spécialistes de la chaîne d’approvisionnement, des universités, des petites et moyennes entreprises, et comme nous le disions des industriels qui vont entre autres nous apporter les lignes de test. On retrouve aussi des associations non gouvernementales, telles que Humana, pour tout ce qui est impact sur les pays tiers. Pour la partie exploitation des résultats, nous pouvons compter sur ENA, responsable du programme de travail 7 (Exploitation strategy for EPR mainstreaming).
TRUSTex sera en contact de manière récurrente avec d’autres projets Horizon et Interreg, notamment ECHT et Circulatex, avec lequels nous allons nous coordonner pour améliorer nos résultats respectifs.
Quels sont selon vous les plus grands obstacles dans ce projet, qui est prévu sur 36 mois avec un budget de 7 millions d’euros ?
LG : Comme nous l’avons mentionné, dans le contexte de la directive déchets, la quantité de déchets textiles qui vont devoir être collectés va énormément augmenter. Et aujourd’hui, les infrastructures logistiques et les technologies actuelles ne sont pas encore adaptées. Il y a donc un énorme mise à échelle à faire à la fois en physique sur les infrastructures, mais aussi sur la technologie.
Du point de vue réglementaire, beaucoup de textes ne sont pas finalisés. Nous allons devoir nous adapter au fur et à mesure. Nous avons mentionné le DPP : il y a des groupes de travail de normalisation qui sont en train d’y travailler, que ce soit du côté de ISO ou du CEN. Il y a également le projet européen CIRPASS 2 qui doit définir le contenu d’un passeport produit. Il sera primordial d’avancer de concert, et cela est prévu dans le projet.
XFV : Concernant la gestion de projet, une des défis sera de coordonner l’ensemble des partenaires, qui peuvent parfois avoir des intérêts différents. Il faut veiller à amener tout le monde dans la même direction et à apporter des solutions concrètes.
Nous sommes dans un projet Horizon Europe de la catégorie Innovation, pour lequel la Commission européenne a beaucoup d’attentes. Nous devons aboutir sur des propositions concrètes dans le cadre de l’amélioration des lignes de fabrication, d’optimisation du triage, de la collecte, de la conception de textiles qui soient dès le départ pensés pour être réparés, réutilisés, recyclés. »
Le projet TRUSTex en chiffres :
- Durée : 36 mois
- Budget : 7 millions d’euros
- 19 partenaires
- 10 pays de l’Union européenne + la Turquie et la Suisse
- Environ 50 personnes impliquées

Interview de Marie-Astrid Heyde
Photo : Licence CC