Défis et perspectives du Luxembourg face à l'impératif climatique

Défis et perspectives du Luxembourg face à l’impératif climatique

La transition énergétique est devenue un enjeu central pour de nombreuses nations, et le Luxembourg, bien que petit par sa taille, n’échappe pas à ce défi mondial.

Transition énergétique : défis et perspectives du Luxembourg face à l’impératif climatique

Avec une économie particulièrement dépendante aux importations énergétiques, un potentiel en énergies renouvelables limité et des engagements pris en matière de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le pays est maintenant confronté au grand défi de la mise en œuvre concrète de la transition tout en garantissant à l’avenir un approvisionnement énergétique sûr, abordable et durable. Le présent article se penche sur les défis de cette transition au niveau des entreprises du secteur énergétique qui jouent un rôle clé dans cette transformation fondamentale et qui sont confrontées à des changements disruptifs à de nombreux niveaux qui les forcent à évoluer et à redéfinir leur rôle, passant de simples producteurs et distributeurs d’énergie historiques à des prestataires de services proposant des solutions énergétiques durables, flexibles et digitales.

Le triangle énergétique : un équilibre à trouver

Le triangle énergétique adresse les trois dimensions incontournables du monde énergétique : la sécurité d’approvisionnement, l’efficacité économique et la durabilité environnementale. Les décideurs politiques et acteurs économiques du secteur devraient l’utiliser comme boussole avec l’objectif de maintenir un équilibre adapté des trois dimensions, au risque de compromettre l’approvisionnement énergétique de nos sociétés et économies.

La transition énergétique, majoritairement impulsée par des décisions politiques au niveau européen, a eu deux effets majeurs au cours de la dernière décennie : d’une part, la création d’un déséquilibre croissant dans le triangle énergétique au détriment de l’efficacité économique et de la sécurité d’approvisionnement – dont la dernière a notamment été dévoilée par les conséquences du conflit en Ukraine – et d’autre part, une transformation fondamentale de la nature des dimensions du triangle énergétique par la promotion intense de la transition énergétique.

Il s’agira maintenant d’adresser ces défis : rétablir l’équilibre du triangle énergétique (voir figure 1) et mieux organiser la transition entre l’ancien et le nouveau monde énergétique. Il ne s’agit rien de moins que de passer d’un modèle fossile stable mais polluant à un système renouvelable nécessitant flexibilité, stockage et résilience, de gérer les prix d’énergie tout en réalisant des investissements très conséquents dans les énergies renouvelables et l’infrastructure de réseau. À ces défis s’ajoutent la réduction des émissions de dioxyde de carbone et la protection de la biodiversité.

Le changement de paradigme vers un nouveau modèle énergétique illustré autour du triangle énergétique
Le changement de paradigme vers un nouveau modèle énergétique illustré autour du triangle énergétique

Les infrastructures énergétiques : des investissements cruciaux

La transformation des infrastructures est multiple, touchant les réseaux d’électricité et de gaz naturel existants, mais également la création potentielle de nouvelles infrastructures dédiées à l’hydrogène et au dioxyde de carbone.

Les réseaux électriques nécessiteront d’une part un renforcement conséquent afin de pouvoir répondre à l’augmentation de la demande liée à l’électrification des secteurs du chauffage, du transport et de l’industrie, et d’autre part une entière digitalisation pour pouvoir gérer les profils de production et de consommation de plus en plus volatils, impliquant subsidiairement la gestion des risques en matière de cybersécurité.

L’adaptation du réseau gazier est un autre volet crucial. Alors que le gaz naturel, un pilier essentiel de l’actuel approvisionnement énergétique, se voit confronté à une diminution des consommations dans le cadre des objectifs climatiques, les infrastructures existantes doivent être repensées. Deux options s’offrent : le désinvestissement progressif ou la transformation de ces infrastructures pour accueillir de nouveaux vecteurs énergétiques, comme le biogaz ou l’hydrogène.

Pour le vecteur énergétique hydrogène, il s’agit d’étudier avec le sens des réalités qui s’impose, comment la mise en place d’une infrastructure peut s’organiser en Europe et au Luxembourg. La création des premiers écosystèmes raccordant des clients – potentiellement issus de l’industrie et du secteur des transports lourds (de personnes et de marchandises sur de longues distances) – et des producteurs d’hydrogène vert par des réseaux de transport et de distribution ne dépassent actuellement pas le stade embryonnaire. Dans ce domaine, tout reste à faire et le nombre d’incertitudes est considérable.

Finalement, il y a lieu d’adresser le domaine des infrastructures dédiées au dioxyde de carbone dans le contexte du captage et du stockage du carbone vers des sites de stockage sécurisés, domaine considéré comme indispensable, pour respecter les objectifs climatiques formulés au niveau européen. Il reste à décider si et, le cas échéant, comment le Luxembourg entend mettre en place une telle infrastructure afin de permettre aux secteurs les plus concernés, notamment l’industrie cimentière et celle de l’incinération des déchets, de bénéficier de cette option pour réduire leurs émissions de carbone.

En guise de conclusion, il y a lieu de souligner que la modification, l’adaptation ou encore le démantèlement des infrastructures existantes, ainsi que la création de nouvelles infrastructures, représentent un défi majeur tant sur le plan technique, organisationnel et plus particulièrement financier.

Production et fourniture d’énergie : un tournant vers le renouvelable

Le plan climat-énergie du Luxembourg prévoit d’ici 2040 une augmentation de 200% de l’électricité renouvelable, de 340% de la chaleur renouvelable et de 280% des carburants renouvelables. Cette croissance considérable entraînera des répercussions majeures sur le paysage énergétique du pays.

La croissance de l’électricité renouvelable sera principalement portée par le développement de l’éolien, du solaire et de la biomasse. En conséquence, en 2040, une quote-part de quelque 75% de la production nationale sera couverte par des sources hautement variables nécessitant des réseaux d’électricité intelligents pour garantir une stabilité d’approvisionnement ainsi que potentiellement du stockage d’énergie.

Le développement de la chaleur renouvelable reposera principalement sur les pompes à chaleur, qui devraient fournir la moitié de la chaleur renouvelable en 2040, marquant ainsi un tournant vers l’électrification du chauffage dans le pays. L’hydrogène jouera également un rôle clé avec environ un quart de la chaleur renouvelable, utilisé principalement dans des applications industrielles, tandis que la biomasse devrait voir sa part diminuer substantiellement.

Finalement, la transition du secteur des carburants serait dominée par l’hydrogène, qui devrait devenir le principal carburant renouvelable au Luxembourg, avec une part prépondérante pour le trafic aérien, et une part nettement plus faible pour le transport routier. L’électricité jouera également un rôle important, représentant autour d’un cinquième des carburants renouvelables en 2040, en particulier dans les transports routiers et ferroviaires qui sont amenés à intensifier leur électrification, tandis que les biocarburants ne joueront plus qu’un rôle marginal.

En guise de conclusion, il y a lieu de retenir que la croissance de l’électricité renouvelable à l’horizon 2040 nécessitera d’une part des investissements substantiels et posera d’autre part un défi en termes d’intégration dans les réseaux électriques. Dans le domaine de la chaleur, la transition des installations de chauffage au fioul et au gaz vers les pompes à chaleur électriques représente un enjeu pour le développement des réseaux électriques ainsi que pour le démantèlement potentiel – et le cas échéant les investissements échoués qui en découlent – des réseaux de gaz à moyen et long terme. Enfin, la conversion du secteur des transports, actuellement basé sur les produits pétroliers, vers l’électricité et l’hydrogène exigera des investissements considérables en infrastructures, qu’il s’agisse des bornes de recharge ou des stations à hydrogène et les investissements dans les infrastructures de transport et de distribution qui y sont liés.

Services techniques et accompagnement des consommateurs

La transition énergétique a comme effet supplémentaire que le rôle des consommateurs d’électricité évolue profondément. Cette couche supplémentaire s’ajoute aux transformations des infrastructures de transport et de distribution existantes ainsi qu’à la création des installations d’énergies renouvelables centralisées tel que l’éolien et le solaire.

Les simples consommateurs d’électricité d’hier deviennent des « prosommateurs » et « flexsommateurs » d’aujourd’hui, qui non seulement produisent leur propre électricité, en consomment une partie, injectent le surplus dans le réseau et peuvent, ensemble avec des systèmes des stockage locaux, fournir de la flexibilité au système électrique. Il va sans dire que ces changements de rôle introduisent une nouvelle complexité dans le système électrique, qui ne peut être gérée que par la numérisation du système entier.

La redéfinition du client va de pair avec la redéfinition des rôles des gestionnaires de réseau et des fournisseurs. Les gestionnaires de réseau, autrefois chargés de distribuer l’électricité, deviennent des opérateurs dynamiques gérant numériquement un système décentralisé, équilibrant en temps réel production renouvelable et consommation. Les fournisseurs, anciennement centrés sur la vente d’électricité aux consommateurs, sont désormais censés se transformer en prestataires de services énergétiques globaux. En plus de gérer la flexibilité et l’intégration des énergies renouvelables, ils offrent des solutions complètes telles que l’installation de panneaux photovoltaïques, de pompes à chaleur, de batteries et de bornes de recharge. Ces services incluent également la maintenance, l’assurance et des solutions de financement pour faciliter l’adoption de ces technologies par les utilisateurs. De plus, ils accompagnent le développement de l’autoconsommation et la création de communautés énergétiques, permettant aux consommateurs de produire, partager, stocker et consommer leur propre énergie de manière collective et optimisée.

Conclusion : un avenir énergétique incertain, mais réalisable avec une approche concertée et un rythme adapté

La transition énergétique représente une tâche colossale pour tous les pays de l’Union européenne. La complexité et l’ampleur du défi nécessitent, en particulier pour les petits pays comme le Luxembourg, des approches adaptées et innovantes pour la mise en œuvre.

Il est essentiel de garder à l’esprit le triangle énergétique et d’assurer un équilibre pérenne, en tenant compte de la forte dépendance du Luxembourg aux pays limitrophes aussi bien en ce qui concerne les importations d’énergie que le maintien de notre sécurité et stabilité d’approvisionnement. Ainsi, il est essentiel de suivre de près les évolutions et les politiques énergétiques chez nos voisins directs qui sont très souvent divergentes malgré le cadre européen commun. Bien que l’équilibre du triangle énergétique soit avant tout une question nationale, il ne pourra être réalisé sans une coordination et connexion intelligente avec les politiques de l’un ou plusieurs de nos pays voisins.

La création d’une vision cible claire et coordonnée à court, moyen et long terme, tout en mettant à profit l’intelligence collective par la participation de toutes les parties prenantes concernées, y inclus les acteurs clés du secteur énergétique, les ministères concernés ainsi que les régulateurs, est essentielle. Le Luxembourg devra choisir quelles filières de production d’énergie et quelles infrastructures de transport et de distribution privilégier pour préserver son tissu industriel et économique actuel, tout en définissant clairement le type de tissu économique qu’il souhaite développer à l’avenir. La réalisation de toutes les variantes envisageables de production énergétique et d’infrastructures ne sera ni faisable sur le plan technique et organisationnel, ni finançable.

La définition d’une stratégie industrielle claire, ainsi qu’une vision plus détaillée de l’avenir des exportations de carburants, est essentielle. Le développement de ces secteurs, constituant aujourd’hui près de trois quarts de la consommation finale nationale d’énergie, sont des facteurs d’influence substantiels pour le système énergétique futur. Ils impacteront de façon considérable le degré d’électrification du pays, le rôle futur de la production et du transport d’hydrogène ainsi que le rôle potentiel d’une infrastructure de transport de dioxyde de carbone et les infrastructures de captage, de séquestration et d’utilisation du carbone associées.

La vision cible doit être à la fois claire et coordonnée, tout en étant réaliste. Son déploiement doit rester pragmatique, en écartant tout dogmatisme qui pourrait entraîner des risques majeurs : d’une part, une mise en œuvre inefficace et coûteuse de la transition, et d’autre part, un désengagement des citoyens et des acteurs économiques vis-à-vis de la transition énergétique.

Finalement, la mise en place d’un cadre juridique et réglementaire intelligents, équilibrés et bien pensés par les autorités étatiques et réglementaires sera une clé de voute pour le succès de la transposition de la transition énergétique, en raison du fait qu’elle est avant tout portée par des décisions politiques. Il sera essentiel de créer ce cadre en suivant le principe « autant que nécessaire, aussi peu que possible », tout en tenant compte de manière équilibrée des dynamiques présentes dans les pays voisins.

Pour conclure et en guise d’appel à l’action : recherchons un équilibre approprié dans le triangle énergétique, mobilisons notre intelligence collective pour élaborer une vision holistique commune en tenant compte des développements dans les pays limitrophes, affinons notre stratégie industrielle et d’exportation de carburants afin d’apporter davantage de clarté, appliquons un pragmatisme éclairé plutôt qu’un dogmatisme aveugle, et aspirons à un système énergétique, un cadre législatif et régulatoire adapté au Luxembourg, économiquement efficient et résilient, en harmonie avec le développement économique et industriel futur.

Retrouvez cet article écrit par Tom Eischen, head of Strategy, Innovation & Acquisition chez Encevo, dans le recueil IDEA Les politiques de transition énergétique du Luxembourg – l’impératif climatique sous contraintes multiples

Contribution partenaire in4green
Publié le lundi 24 mars 2025
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