Économie circulaire : preuves par l’exemple
À travers tous les secteurs producteurs de déchets et de gaz à effet de serre, des solutions se développent pour passer des modes linéaires aux modes circulaires. Une récente conférence à Wiltz a mis en lumière quelques exemples luxembourgeois.
Le troisième et dernier rendez-vous circulaire de l’année, organisé par in4green en collaboration avec la commune de Wiltz et le Circular Innovation Hub a rassemblé près de 80 personnes au Château de la capitale des Ardennes.
Après un mot d’accueil de Frédéric Liégeois, fondateur et CEO de Picto Communication Partner (infogreen.lu, magazine 4x3, réseau de partenaires in4green, etc.), Carole Weigel, bourgmestre de la commune de Wiltz, a pris la parole pour introduire la conférence : « Ces 3 manifestations ont toutes porté sur le sujet de l’économie circulaire avec pour objectif de montrer l’application de ses principes sur le terrain et d’encourager un échange entre tous les acteurs concernés. »
« Passons donc à l’action maintenant ! Votre engagement envers cette cause est vraiment essentiel. »
Carole Weigel, bourgmestre de la commune de Wiltz
La table ronde a ensuite débuté, modérée par Frédéric Liégeois et Patty Koppes, chef de projet en économie circulaire pour la commune de Wiltz. Structurée en trois questions (raisons de la transition circulaire, historique du projet, étapes à venir), la discussion a inclus des échanges avec un public intéressé.
Zoom sur les initiatives présentées :
Wiltz, petite ville du nord devenue hotspot de l’économie circulaire
Le gouvernement a lancé en 2015 un appel national pour qu’une commune développe des projets selon les principes de l’économie circulaire. Ariane Bouvy, gestionnaire du Circular Innovation Hub de la commune de Wiltz : « À l’époque, c’était assez nouveau. Nous nous sommes lancés sans savoir ce que nous allions faire. On a décidé de prendre la question en main et d’essayer de trouver des solutions. Le ministère nous a attribué le soutien de Luxinnovation, qui était déjà bien lancé sur la thématique. Par la suite, Patty Koppes et moi avons pris le relai. »
Les projets pilotes s’enchainent, de la rénovation de l’Hôtel de Ville à la zone d’activités en développement actuellement, en passant par le campus sain Géitzt. « Depuis 2018, on développe le Circular Innovation Hub pour partager notre expérience, discuter avec tout le monde, aussi bien les communes, les entreprises que les lycéens et particuliers. »
Depuis la rentrée, les locaux de la commune abritent également une exposition dédiée à la circularité : « Au-delà des limites de la planète. Et si l’économie circulaire était la solution ? »
« La question fondamentale aujourd’hui, c’est comment faire pour que notre environnement survive ? On nous a déjà prévenus il y a 30 ans, on ne peut pas attendre 30 années de plus. »
Ariane Bouvy, Circular Innovation Hub de la commune de Wiltz
Geobloc, des terres d’excavation aux briques de construction
Régis Bigot, innovation manager chez Neobuild, et responsable du projet Geobloc : « Le secteur de la construction est extrêmement impactant au niveau du climat. Au Luxembourg, on a un comportement sur-consommateur. Demain, qu’on le veuille ou non, il va falloir faire avec moins. Deuxième problème, le Luxembourg est un pays d’importation, dépendant de manière assez unilatérale. Or les ressources sont de plus en plus faibles et nous devrons composer avec le bon vouloir de nos voisins. Il va donc falloir trouver des solutions. »
La start-up Geobloc, installée au sein du Neobuild Innovation Living Lab, développe depuis 2019 une de ces solutions, basée sur les millions de tonnes de terre d’excavation extraites chaque année sur les chantiers de construction. « C’est un matériau considéré comme inépuisable, qui demande très peu de transformation pour en faire, par exemple des blocs de construction ». Durant l’été 2023, pour répondre à une commande importante, Geobloc est passé à une production industrielle en partenariat avec l’entreprise Contern.
« Nous avons encore un travail de persuasion à faire. Pour l’instant, la brique de terre crue est perçue comme un matériau bon pour les pays en développement. »
Régis Bigot, Geobloc
Les cloisons se recyclent avec Bamolux
Sébastien Jungen, CEO de Bamolux : « Tous les 5-6 mois, on démolissait des cloisons de musée pour en construire de nouvelles. En discutant, on a déjà réussi à réduire les déchets de 8%. Pour aller plus loin, il fallait innover avec une cloison démontable, sans joint apparent pour répondre aux exigences esthétiques des clients. Un jour, un fournisseur en Belgique m’a contacté et son produit répondait à tous les points de mon cahier des charges. Avec ce système déconstructible, on supprime 95% des déchets. Les panneaux JuuNoo sont cradle to cradle. Ils peuvent donc être réutilisés pour faire du neuf. »
Les cloisons JuuNoo ont une durée de vie moyenne de 7 ans, non pas parce qu’elles ne sont plus utilisables, mais parce que les bâtiments changent de fonction ou la cloison n’a plus d’utilité. « Nous avons commencé à les proposer en vente avec valorisation de rachat, dans le but de les récupérer pour les utiliser autre part. »
« Notre enjeu, c’est de réaliser notre métier avec un bilan carbone le plus faible possible. Au-delà de la qualité, on veut aller vers l’excellence, dans la noblesse des matériaux, des produits cradle to cradle, biosourcés, etc. »
Sébastien Jungen, Bamolux
Réinventer la mode avec Lët’z Refashion
Caritas Luxembourg tient une boutique en centre-ville, dédiée à la mode durable. On y trouve par exemple les baskets circulaires de la marque luxembourgeoise Our Choice, ainsi que les créations de stylistes spécialisés en upcycling. Ana Luisa Texeira, coordinatrice du programme Lët’z Refashion by Caritas : « On a fait une étude et on s’est rendu compte qu’on jette beaucoup, plus de 12 kilos de textile par personne par an. Sur les dernières 20 années, nous avons aussi doublé notre consommation, alors que 30% de la garde-robe d’un Européen n’est pas utilisée. »
Lët’z Refashion se présente comme une vraie alternative à la fast fashion, à travers ses trois principaux champs d’action : la sensibilisation, le développement des compétences et la promotion des acteurs du secteur.
« La nouvelle stratégie européenne du textile demande qu’à partir de 2025, les communes trient réellement les déchets, y compris textiles. C’est un véritable enjeu. Puisqu’on est un petit pays, la masse critique est petite et il est dès lors difficile de se lancer comme entreprise. Il faut vraiment que l’État intervienne »
Ana Luisa Texeira, Lët’z Refashion by Caritas
BENU, l’exemple radical de la circularité
BENU, c’est un mini village entièrement dédié à l’expérimentation circulaire. Les choix architecturaux sont les premiers témoins visuels de cet engagement. Ce projet-pilote a débouché sur des certifications de modes de construction à base de chaux et d’argile, qui sont certifiés et consultables en open source.
Au sein de ce village, on trouve un atelier couture dédié à l’upcycling - où les créations sont facturées au prix de la main-d’œuvre (30 euros de l’heure) -, un restaurant et service traiteur bio, spécialisé dans la rescued food et les aliments de saison. Enfin, BENU Reuse est une plateforme d’échange ou d’achat d’articles de seconde main.
« Nous sommes cités comme des excentriques, des radicaux. Cela nous va bien. (…) J’ai juste besoin d’un endroit pour réellement essayer, et montrer des cas pratiques. D’où notre engagement dans la couture, l’ameublement, la gastronomie et prochainement l’hôtellerie. »
Georges Kieffer, manager du projet BENU Village
Luloop préserve les ressources avec des contenants réutilisables
En amont des dispositions légales signant la fin des gobelets jetables, la start-up Luloop s’est lancée dans la mise à disposition de gobelets réutilisables.
« Je pense souvent qu’on doit agir plus et parler moins. Avec mon compagnon, on a beaucoup voyagé et on a constaté que les humains ne sont pas assez conscients de ce qu’ils font des ressources disponibles dans la nature. On utilise et on jette des gobelets en papier, mais un gobelet c’est déjà un demi-litre d’eau pour sa fabrication. La nature produit des matériaux, nous on lui apporte des déchets. »
Cheryl Ury, CEO de la startup Luloop
La gamme s’est entre-temps élargie à différents formats de contenants réutilisables à destination de l’Horesca et à la mise en place d’un service de nettoyage, principal frein dans l’adoption des gobelets et autres emballages lavables. Rappelons que des dispositions légales interdisent progressivement le plastique à usage unique. Le secteur de l’Horesca n’aura d’autre choix que de s’y conformer.
Visite de terrain à Clervaux
À l’issue de l’événement, une vingtaine de participants a eu l’occasion de visiter Hydro Aluminium Clervaux. Depuis 1996, cette usine produit des billettes d’aluminium sur base de déchets issus de la déconstruction.
Le centre de recyclage luxembourgeois a récemment annoncé la construction de bâtiments pilotes équipés de menuiseries issues du CIRCAL 100R : de l’aluminium réalisé à partir d’au moins 99,5% de matière post-consumée. Récemment certifié, le CIRCAL 100R promet des émissions de CO2 de maximum 0,5 kg (équivalent CO2) par kg d’aluminium, soit un aluminium ultra-bas carbone.
Marie-Astrid Heyde
Photos : Marie Champlon