Encadrement du handicap : des mots durs

Encadrement du handicap : des mots durs

Une lettre ouverte de la Commission consultative des Droits de l’homme, du Centre pour l’égalité de traitement et de l’Ombudsman jette le trouble dans le secteur de l’accompagnement des personnes en situation de handicap. Les trois organes cosignataires lancent des accusations graves et réclament un contrôle externe des institutions. Sur le terrain, on est abasourdi !

« Des pratiques inquiétantes dans les institutions pour personnes en situation de handicap » : c’est ce que dénoncent, dans une « lettre ouverte » (lire ici) et sans autre forme de procès, les trois organes signataires, et non des moindres : la Commission consultative des Droits de l’homme (CCDH), le Centre pour l’égalité de traitement (CET) et l’Ombudsman - le service du médiateur, rattaché à la Chambre des députés, qui reçoit des réclamations relatives au fonctionnement des administrations ou des établissements publics.

Cette dernière signature est importante dans le contexte, puisque la lettre ouverte, in fine, lance « un appel au Gouvernement afin d’élargir les pouvoirs de l’Ombudsman » pour lui permettre d’exercer un « contrôle externe » sur les institutions pour personnes en situation de handicap.

Capacité juridique

Une mission que n’a pas actuellement le service de la médiateure Claudia Monti (nommée en mars 2017). Pour l’heure, ce service n’a en effet pas la capacité juridique pour traiter d’éventuels cas rapportés par des citoyens en conflit avec une institution pour personnes handicapées. On le confirme au secrétariat de l’Ombudsman, interrogé sur le nombre et le fond des dossiers incriminés dans ce cas : « La loi ne nous donne pas les compétences et on le regrette, car on voudrait bien les avoir ».

C’est aussi la suggestion majeure faite par le CCDH et le CET, validée par l’Ombudsman-candidat donc : une structure indépendante, pour la protection des droits et des intérêts des personnes en situation de handicap, qui pourrait traiter des plaintes, voire ester en justice, et aussi exercer une mission de contrôle externe des institutions d’accompagnement et d’hébergement.

Les auteurs de la lettre évoquent une « longue liste » de faits s’étant produits « dans des institutions de soins accueillant des personnes en situation de handicap et qui leur ont été rapportées par des personnes concernées ». Exemples cités : « l’accès inopiné du personnel dans la chambre des personnes handicapées, la non fermeture de la porte du logement pendant les prestations de soins, la pesée collective systématique de tous les résidents, les mesures de sanctions et de représailles plus ou moins subtiles subies par les personnes concernées lorsqu’elles formulent un souhait particulier ou une opinion divergente de celle de l’institution, l’écartement non fondé des élections de délégués résidents, la mise au calme plus ou moins forcée par des médicaments sur des personnes inaptes à s’exprimer, le tutoiement des personnes handicapées… », des pratiques vécues, selon la lettre, « de manière dégradante et humiliante » par les personnes plaignantes.

Les acteurs de terrain sont stupéfaits

Les mots, sans utiliser le terme de « maltraitance », sont quand même très durs.

Selon quelques témoignages recueillis auprès de professionnels, qui vivent tous les jours l’accompagnement de personnes en situation de handicap – une appellation générique qui peut déjà masquer bien des réalités différentes, selon les types de handicap, les âges, etc - « il y a parfois des conflits ou des situations difficiles, selon les cas, qui sont tous individuels. Nous travaillons avec des personnes, toutes différentes ». Un éducateur spécialisé explique aussi : « Il y a des procédures mais aussi des mesures de bon sens : laisser la porte ouverte par exemple permet d’intervenir en cas de souci ; il peut y aller aussi de la sécurité des résidents comme du personnel d’encadrement ».

Le secteur s’est pris un coup sur la tête. On y parle de « stupéfaction devant des allégations graves », d’une « incompréhension alors que tous les acteurs de terrain travaillent dans la même ligne » ou encore de « l’incohérence d’une démarche qui prend de court tout le monde, les institutions et le ministère de tutelle, mais aussi les associations de parents de jeunes handicapés ».

Pas de logique disqualifiante

On s’attend à une réaction officielle commune du secteur au début de cette semaine. Le ministère de la Famille pourra aussi apporter son éclairage.

Contacté par Infogreen, le président du CCDH, Gilbert Pregno, se défend de toute « logique disqualifiante » vis-à-vis des institutions. « Cela peut être perçu comme ça, mais notre action ne veut pas jeter l’opprobre sur le système, et surtout pas sur les acteurs de terrain qui font leur travail, avec les ressources disponibles. Mais nous demandons que le système s’améliore, en permettant à une instance d’être à l’écoute des doléances individuelles, afin qu’elles puissent être portées à la connaissance de qui de droit et, surtout, prises en compte. Il s’agit de droits de la personne : nous avons reçu des signalements, nous agissons ».

L’affaire aura des suites et les discussions risquent d’être longues. Nous pourrons d’ailleurs revenir sur les réactions des uns et des autres dans ce dossier, qui sent aussi la polémique voire la politique.

Alain Ducat

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Publié le lundi 13 juillet 2020
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