L’œuf ou la poule ? That is the question
Un paradoxe qui peut freiner fortement le développement de l’économie circulaire et coûte cher (ou peut coûter cher) au secteur de la construction au Luxembourg.
Si la question ancestrale (ou le paradoxe) sur l’œuf et la poule est devenue un running gag tant scientifique que philosophique, la question (ou le même paradoxe) sur la primauté de l’offre ou de la demande est devenue vitale pour le développement de l’économie circulaire au Luxembourg.
Il y a les pro-poules et les pro-œufs
La mise en place de l’économique circulaire à impacts positifs dans le secteur de la construction nécessite un effort coordonné. L’implémentation devra se faire progressivement et passera par la mise en place progressive d’un écosystème complet incluant toutes les parties prenantes et les « facilitateurs » (enablers) tels que les financiers, les assurances ou la logistique pour n’en nommer que quelques-uns.
Pour qu’un marché se développe, les pro-œufs (lire : les entreprises) argumentent qu’il faut une demande certaine. Les entreprises ne sont guère intéressées à développer des produits ou services circulaires nouveaux, investir dans la recherche et le développement, établir des partenariats... tant qu’il n’y a pas de marché demandeur de ce genre de nouveaux produits ou services.
Pour les pro-poules (lire : les maîtres d’ouvrage ou développeurs immobiliers), la question se pose différemment. Cela ne fait pas de sens pour eux de développer des projets intégrant des produits ou services circulaires comme il n’y a pas d’entreprises sur le marché qui en proposent. Et puis, dans le marché actuel de la construction, on a déjà suffisamment de mal à trouver des entreprises qui remettent des offres à des prix compétitifs pour des solutions standards, il est peu probable de trouver des entreprises qui se lancent dans l’aventure pour un marché de niche.
Face à cette impasse, que faire ?
Les projets avec mention « circulaire » se démultiplient
Depuis à peine deux ans, on constate que les projets essentiellement publics reprennent de plus en plus la philosophie de l’économie circulaire comme base pour la conception des projets immobiliers. À titre d’exemple, voici deux extraits parmi une trentaine d’appels à candidature.
« La construction devra s’insérer parfaitement dans son environnement bâti et naturel. La conception du projet prendra en compte le cycle de vie de l’ouvrage, les principes de flexibilité, d’adaptabilité et de la construction circulaire à impact positif et prévoira l’utilisation d’énergies naturelles et renouvelables, une gestion efficace et responsable de l’eau et des matériaux de qualité, sains et sans effets négatifs sur l’environnement et la santé humaine. Dans la mesure du possible, le complexe sera à énergie positive et aura un impact positif sur l’environnement et la santé ».
Ou encore :
« Le Ministère est prêt à s’engager dans des contrats non-conventionnels (d’économie circulaire à impact positif), tel que la location des équipements ou l’achat de performance, afin de montrer l’exemple que d’autres business models sont possibles et rentables. Ainsi, des coûts habituellement d’investissement peuvent être proposés en coûts périodiques (annuels). Le soumissionnaire est libre de proposer un business model pour le projet ».
Il est difficile de chiffrer exactement le nombre de m2 concernés par tous les projets (surtout que les marchés travaux ne sont pas encore sortis), mais on peut imaginer qu’il s’agit de plusieurs centaines de milliers de m2 et donc d’un marché qui va vite dépasser le milliard d’euros.
Les pro-poules ont donc pris les devants !
Les risques pour le secteur de la construction
Parlons d’abord des « poules » : le risque principal pour les pouvoirs adjudicateurs est de ne pas recevoir d’offres, ou de ne pas recevoir d’offres compétitives. La dynamique actuelle peut donc vite être fortement freinée ou même être arrêtée si les futurs marchés de travaux et de service « circulaires » doivent être annulés et remplacés par des marchés « standards » ou linéaires.
Pour les « œufs », la situation peut être à risque également. Ce nouveau marché (encore de niche) est très convoité par des entreprises étrangères, essentiellement nordiques. Il est à craindre que cette concurrence étrangère intègre ces marchés et s’y installe définitivement. D’ailleurs, de premières expériences l’ont déjà confirmé.
Les entreprises locales sont donc conseillées de s’intéresser dès maintenant à comment se préparer à cette vague d’appels d’offres qui s’annonce dès ce jour.
L’État joue son rôle
Le secteur public se positionne actuellement en tant que pro-poule et a lancé de nombreux projets à connotation circulaire. L’État remplit ainsi son premier rôle : celui de donner l’exemple.
Si les premiers pas sont faits, il est essentiel de continuer à sensibiliser, informer et former toutes les parties prenantes. Il faut étendre les outils de soutien aux entreprises notamment au niveau de la recherche et de l’innovation, adapter le système fiscal et comptable, adapter les réglementations (marchés publics, par exemple), etc.
Il ne faut pas seulement une réflexion nouvelle mais une réflexion radicale. La circularité impose que l’état d’esprit change pour prendre en compte le cycle de vie complet d’un bâtiment au-delà de sa phase opérationnelle, ainsi que de tous ses composants.
La poule va pondre ses premiers œufs... C’est un début mais presque tout reste encore à faire.
Circulairement, Romain Poulles
Article du NEOMAG#29
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