
La transposition de la directive sur le devoir de vigilance doit être ambitieuse
L’Initiative pour un devoir de vigilance a présenté son « Guide pour la transposition de la directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité ». L’occasion de passer un message au gouvernement : la transposition est urgente et doit être ambitieuse, mais aussi cohérente et précise.
En mai 2024, les États membres de l’UE ont adopté la Directive sur le devoir de
vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD). Un texte qui a pour ambition de garantir la conduite responsable des entreprises en ce qui concerne les incidences négatives de leurs activités sur les droits de l’homme et la protection de l’environnement.
Comme toute directive européenne, celle-ci doit être transposée dans le droit national luxembourgeois. C’est pour parler de cette étape clé que David Hoffmann, Jean-Louis Zeien, Pascal Husting et Nora Back – tous membres de l’Initiative pour un devoir de vigilance (IDV) – ainsi que Charel Schmit Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher (OKAJU) étaient réunis lundi 10 février 2025, à la Chambre des salariés.
Les « big five » de la transposition
En proposant un « Guide de transposition » au gouvernement, l’IDV veut « protéger les droits humains, le climat et l’environnement dans les chaînes d’approvisionnement, tout en ancrant la durabilité dans l’économie », déclare Jean-Louis Zeien. Cette feuille de route s’articule autour de cinq piliers, les « big five qui seront déterminant pour la mise en œuvre de la directive » : cohérence, précision, ambition, changement des mentalités et allocation de ressources.
« Soyons cohérents »
Pour l’IDV, il est très important que la future loi de transposition soit en accord avec les engagements internationaux déjà pris par les gouvernements luxembourgeois. Nora Back, également présidente de l’OGBL et de la Chambre des salariés, cite les « deux conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), n° 155 et n°187, que le Luxembourg a ratifiées en 2001 et en 2008, qui traitent de la sécurité et de la santé des travailleurs. »
David Hoffmann, coordinateur du travail politique auprès de l’ASTM (Action Solidarité Tiers Monde asbl), estime qu’il « faut utiliser cette législation pour garantir aux victimes de violations des droits humains un accès réel et efficace à la justice, ici au Luxembourg. » Ce qui passera notamment par la fixation d’un délai de prescription d’au moins 10 ans pour l’introduction d’une action en responsabilité civile contre une entreprise, et non pas de 5 ans comme prévu dans la CSDDD.
« Soyons plus précis »
« En ce qui concerne les plans de transition climatique, ce que nous demandons, c’est avant tout de la précision, » affirme Pascal Husting, qui a notamment passé une partie de sa carrière chez Greenpeace. Le Guide explique la nécessité de fournir des instructions et des objectifs clairs pour l’élaboration des plans de transition climatique, mais aussi de garantir un contrôle rigoureux de la mise en œuvre de ces plans.
De la précision est aussi demandée concernant la définition des « parties prenantes » des entreprises concernées par la directive. Au-delà des salariés des entreprises, des filiales, des et des délégués du personnel, « nous voulons que cette définition soit élargie afin d’inclure tous les travailleurs impliqués dans les chaînes d’approvisionnement, y compris les travailleurs informels, ceux qui exercent à domicile ou qui sont soumis à des formes précaires de contrat de travail », déclare Nora Back.
« Soyons ambitieux »
Pour garantir un accès à la justice pour les victimes, David Hoffmann explique qu’il faudra renverser la charge de la preuve pour les actions en responsabilité civile. Le but étant de « rééquilibrer le rapport de force entre les grandes entreprises, qui disposent de ressources quasi illimitées pour leur défense juridique, et les victimes, qui travaillent souvent dans des pays où il leur est extrêmement difficile d’accéder à un passeport, à un avocat ou à toute autre forme d’assistance légale. » L’accès à un recours collectif efficace devra aussi être mis en place.
Jean-Louis Zeien affirme qu’il « est également crucial d’être ambitieux sur la question des secteurs à haut risque », c’est-à-dire ceux ayant ont plus de chances d’impacter négativement les droits humains et l’environnement. Il s’agit de l’industrie pornographique « qui viole les droits des enfants » rappelle Charel Schmit, celle des cybertechnologies, ainsi que du secteur des biens militaires et de produits et services à double usage. Pour l’IDV, les sociétés œuvrant dans ces domaines d’activité, qu’elles soient des PME ou de grandes entreprises, doivent entrer dans le champ d’application de la CSDDD.
« Nous voulons que ce soit aux entreprises de prouver qu’elles ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter les violations des droits humains et environnementaux, plutôt qu’aux victimes de démontrer que ces entreprises ont failli à leurs obligations. »
David Hoffmann, membre de l’IDV
« Un autre sujet incontournable est celui du secteur financier », ajoute Jean-Louis Zeien. Alors qu’il est exclu du champ d’application de la directive en ce qui concerne les services qu’il fournit (crédit, financement, investissement…), celui-ci doit être responsabilisé pour empêcher le financement d’activités liées à des violations des droits humains et environnementaux.
Plus généralement, le Guide veut étendre le champ d’application du texte européen, en abaissant les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires. L’idée étant d’y intégrer plus d’entreprises et de couvrir l’ensemble de la chaîne d’activité.
« Contribuer à un changement de mentalité »
Le document l’affirme : « Afin d’intégrer une véritable prise de responsabilité dans l’ADN des entreprises, il est nécessaire d’opérer un changement de mentalité. » Il rappelle à ce titre que les associations patronales luxembourgeoises n’ont pas soutenu l’introduction de la directive sur le devoir de vigilance lors des négociations. Pourtant, la diligence raisonnable en matière de droit humains et d’environnement peut offrir certains des avantages économiques et stratégiques à long terme aux entreprises.
« Le modèle du business first qui se fait au détriment des droits humains, du climat et de l’environnement doit cesser. »
Jean-Louis Zeien, co-coordinateur de l’IDV
Au Luxembourg, l’IDV a déjà eu un réunion avec un groupe de travail interministériel et avec le ministre de l’Économie sur le sujet de la CSDDD et de sa transposition. Jean-Louis Zeien ajoute que d’autres aspects du texte « concernent la transition écologique et environnementale ou encore la justice », et donc les ministères en charge. L’organisation prévoit également de rencontrer différents acteurs économiques et de la société civile.
« Allouer des ressources suffisantes »
Pour « garantir une application rigoureuse de la législation », il faudra que l’autorité de surveillance et de contrôle nationale, dont la création est prévue par la CSDDD, dispose des ressources nécessaires pour remplir ses missions. Elle devra surtout être en mesure d’enquêter efficacement sur les violations commises par les entreprises et d’imposer des sanctions significatives. Celles-ci pourront être financières (amendes) et non-financières (exclusion des marchés publics et des accès aux financements publics).
Conclusion
Finalement, Jean-Louis Zeien pose une question sur la future transposition de la « CSDDD » : « Le Luxembourg sera-t-il fidèle à ses engagements, ou bien est-ce toujours le business avant tout ? » Il rappelle que « derrière chaque violation des droits humains, il y a un enfant, une femme, un homme, une communauté » et conclut avec une phrase : « La justice est l’affaire de tous. »
Léna Fernandes
Photo : © IDV