« Les normes conditionnent le fonctionnement du secteur de la construction »

« Les normes conditionnent le fonctionnement du secteur de la construction »

Les normes et labels poussent la construction vers la décarbonation. Bruno Renders, administrateur directeur général du Conseil pour le Développement Économique de la Construction (CDEC) et président du Conseil national pour la construction durable (CNCD), explique leur intérêt et leurs effets sur la chaîne de valeur qui compose ce secteur.

Pouvez-vous expliquer le rôle des normes dans le secteur de la construction ?

La norme peut être un frein, mais elle peut aussi être un accélérateur, car elle conditionne la réglementation et donc l’évolution du secteur. Elle doit être agile pour pouvoir favoriser et s’adapter aux innovations. Au sein du CNCD, nous identifions justement des freins et obstacles pour ensuite les partager avec les parties prenantes publiques et privées et ainsi aboutir à des solutions agiles, en phase avec la réalité du secteur.

Comment favorisent-elles la durabilité du secteur ?

Je prendrais pour exemple la directive sur la performance énergétique des bâtiments. Elle induira une nouvelle certification des bâtiments neufs qui combine les exigences énergétiques de l’actuel certificat de performance énergétique (CPE) avec des exigences de réduction des émissions de gaz à effet de serre.


« La directive sur la performance énergétique des bâtiments est en cours de transposition. En 2028, elle s’appliquera à tous les bâtiments neufs de plus de 1.000 m2 et à partir de 2030, à tous les bâtiments neufs de n’importe quelle surface. »

Bruno Renders, administrateur directeur général du CDEC

C’est une étape suivante après le passage aux maisons basse énergie, puis aux maisons passives. Ce texte va imposer un regard plus cohérent sur la consommation d’énergie des bâtiments, mais aussi des ressources et des matières premières, ainsi qu’en termes d’émissions de CO₂, sans parler des déchets ! La bonne nouvelle, c’est que nous travaillons déjà sur des solutions pour que le secteur puisse organiser cette mutation vers la décarbonation, et certaines sont déjà disponibles sur le marché.

Justement, les normes sont-elles toujours adaptées à ces nouvelles solutions qui voient le jour ?

Nous pouvons encore illustrer ça par un exemple avec la norme NF EN 206-1 appliquée au béton. Elle va sûrement devoir évoluer pour que les nouvelles formulations de béton décarboné puissent être mises en œuvre conformément à cette norme.

Il faut aussi noter qu’au Luxembourg, la construction est très liée aux règlements sur les bâtisses, c’est-à-dire aux prescriptions urbanistiques applicables au niveau local. Il y a 100 communes dans le pays, donc potentiellement 100 règlements sur les bâtisses différents, parfois contradictoires. Je plaide pour un règlement unique, avec des exceptions locales si besoin. Nous vivons dans un pays où les chemins décisionnels sont courts, ce qui devrait permettre d’amener des solutions qui visent l’agilité administrative, et d’une certaine façon, le permis d’innover.

Une fois une norme en place, elle va directement impacter les entreprises de construction. Celles-ci sont-elles prêtes à s’adapter ?

L’objectif de décarbonation concerne tous les acteurs de la construction. Les entreprises sont tout à fait capables de s’adapter, même si cela demandera un changement de leurs habitudes techniques et donc potentiellement du phasage d’un chantier. Mais une entreprise qui fait du préfabriqué en béton aujourd’hui, pourra faire du préfabriqué en béton décarboné demain. Les compétences sont avérées dans le secteur, il faut juste les faire évoluer, faire un upskilling grâce à la formation.


« Il est important que tout le monde comprenne que tous les acteurs de la chaîne sont concernés par la décarbonation, des fabricants de matériaux de construction jusqu’au facility manager. »

Bruno Renders, directeur général du CDEC

Il faut aussi tenir compte du fait que les entreprises possèdent des équipements qui ont représenté des investissements. Si on veut changer les choses, cela représentera un coût et il doit rester maîtrisé.

Considérez-vous que cette nécessité d’adaptation puisse être une opportunité pour les entreprises ?

Tout à fait, car elles ont compris ce besoin. Chacune reste libre de faire ce qui lui convient du moment qu’elle atteint l’objectif qui lui est assigné ou qui va lui être assigné. Dans tous les cas, même les réfractaires finiront par subir une contrainte administrative.

De par leur taille, certaines entreprises seront plus à même de construire de grands bâtiments avec de la préfabrication industrielle et de l’assemblage, ce qui se prête bien aux constructions neuves. Probablement que les petites et les moyennes entreprises (PME) vont se diriger vers d’autres choses, plutôt liées à la thématique du façonnage. Pour elles, les projets de rénovation seront plus adéquats. Je crois beaucoup à l’agilité des PME, qui ont toujours su se remettre en question.

Quel est alors le rôle des labels dans le secteur déjà très normé de la construction ?

Les labels sont là pour valoriser un projet, parce qu’il est plus décarboné, compact ou encore auto-consommateur qu’un autre. Ils ont le mérite d’apporter une vision structurée, systémique et holistique. Selon moi, la norme reste la règle, parce que c’est elle qui draine l’organisation du secteur. Les labels sont là pour soutenir, voire anticiper.

Je crois beaucoup à la thématique des labels, s’ils sont là pour augmenter la qualité du produit et de facto les compétences des entreprises qui le créent. Ça oui. Si c’est le label juste pour le label, alors on peut discuter de l’intérêt de la chose.

Propos recueillis par Léna Fernandes

Extrait du dossier du mois « Cocher les cases »

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Publié le mercredi 16 avril 2025
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