Le « Grand Luxembourg » transfrontalier, projet essentiel de codéveloppement

Le « Grand Luxembourg » transfrontalier, projet essentiel de codéveloppement

Carte blanche de Vincent Hein, directeur de Fondation Idea asbl.

La croissance économique et démographique ininterrompue du Luxembourg au cours des dernières décennies a contribué à faire émerger une métropole transfrontalière dans laquelle le Grand-Duché et les régions limitrophes sont toujours plus interdépendants. Les flux économiques et sociaux y ont pris une telle ampleur qu’ils sont parfois devenus vitaux pour les entreprises, les habitants, et l’économie en général. Ce modèle de développement génère des opportunités, mais il peut également comporter des risques, en particulier en l’absence d’une dynamique de coopération adéquate. Dans cette région, les politiques de coopération transfrontalière, qui se sont pendant longtemps focalisées sur l’amélioration des mobilités, devraient sensiblement évoluer vers une nouvelle étape : celle de la construction d’un projet de territoire partagé entre le Luxembourg et ses régions limitrophes.


La plupart des 230.000 travailleurs non-résidents (qui représentent près de la moitié des actifs en emploi) vivent dans un territoire qui dépasse les frontières grand-ducales de plusieurs dizaines de km, dessinant un « Grand Luxembourg » de près de 2 millions d’habitants.

Le marché du travail transfrontalier est l’aspect le plus visible de l’intégration économique entre le Luxembourg et les régions limitrophes, mais il n’est pas le seul. Dans le sillage de son développement, d’autres phénomènes contribuent à rendre le Grand-duché et ses voisins toujours plus dépendants les uns des autres, sans pour autant que n’existent de véritables outils de gouvernance, ni de projet propre à ce territoire bien spécifique.

Pourtant, la perspective d’une poursuite de l’expansion économique et démographique de cet espace pourrait bien révéler de sérieux goulets d’étranglement, qu’une approche coopérative permettrait d’envisager plus sereinement.


Le manque de disponibilité de main-d’œuvre qualifiée, la rareté et le prix du logement, la saturation des infrastructures de transport, la faible disponibilité foncière pour les activités économiques et les incontournables contraintes environnementales sont des paramètres toujours plus contraignants de l’équation du développement luxembourgeois dont la clef se trouve en partie de l’autre côté des frontières nationales.

À mesure que ces défis se précisent, l’opportunité de faire émerger un projet de territoire partagé avec les régions (et les États) limitrophes grandit. Il consisterait à élaborer une vision commune pour un développement dynamique, cohérent et soutenable de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans les deux ou trois prochaines décennies. Cette vision, qui serait naturellement à décliner en projets concrets, permettrait au Luxembourg d’aborder certains sujets stratégiques pour son développement mais pour lesquels il n’a pas forcément de possibilités d’agir directement, tandis qu’elle permettrait aux régions voisines de trouver des moyens de mieux bénéficier du dynamisme économique grand-ducal et d’aider à assurer la pérennité de ce moteur économique.

Si les aubaines permises par le modèle transfrontalier restent nombreuses, l’intégration transfrontalière ne débouche toutefois pas uniquement sur des relations d’intérêt « gagnant-gagnant » dans tous les domaines. L’actualité autour des difficultés de recrutement dans certains secteurs (comme la santé) est un exemple illustrant que les politiques de coopération cherchant une meilleure mobilité à l’intérieur de la région sont une condition certes nécessaire mais pas suffisante à un bon équilibre du marché du travail pris dans son ensemble. Compte tenu des projections démographiques défavorables dans la Grande Région, elles pourraient utilement être complétées à la fois par des politiques visant à renforcer l’attractivité de l’ensemble du territoire transfrontalier pour de nouveaux actifs, mais aussi par la mise en commun de certains dispositifs de formation, voire la création de nouveaux projets, en particulier dans les métiers les plus en tension.


Rendre la métropole transfrontalière du Luxembourg plus attractive et plus soutenable nécessiterait également une meilleure coordination en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme et de mobilité.

Il importerait par exemple de viser une densification des territoires frontaliers proches des infrastructures qui devraient être identifiés ensemble dans une vision territoriale commune. En outre, il serait nécessaire d’améliorer les liaisons ferroviaires transfrontalières et de mettre en œuvre une intégration plus poussée de la gestion des transports en commun (lignes, tarification, sociétés d’exploitation, etc.).

Un tel projet pourrait mener à créer de nouveaux organes de coordination et de décision transfrontaliers qui se superposent mieux au territoire, mais aussi des mécanismes de financement à la hauteur des enjeux et encadrés dans des conventions bilatérales. La Fondation IDEA asbl tout comme le Conseil économique et social ont formulé de nombreuses recommandations dans le domaine. Si le temps presse, il n’est pas trop tard pour bien faire !

Vincent Hein, directeur de Fondation Idea asbl
Photo : Fondation Idea
Article tiré du dossier du mois « Connectons nos territoires »

Article
Publié le mardi 4 juin 2024
Partager sur
Avec notre partenaire
Nos partenaires