« Les villes sont les catalyseurs centraux de l'économie circulaire »

« Les villes sont les catalyseurs centraux de l’économie circulaire »

L’annuelle Journée de l’économie circulaire, c’était ce mercredi 26 avril à Wiltz pour une 5e édition affichant complet. Flashback

Comme le rappelle son bourgmestre Fränk Arndt, la petite ville de Wiltz s’est portée volontaire, en 2015, lorsque le gouvernement a lancé un appel pour qu’une commune du pays s’implique sérieusement dans l’économie circulaire : « À l’époque, nous ne savions pas tout ce que cela allait signifier !  ». Mais à l’occasion de la 5e Journée de l’économie circulaire, c’est plein de fierté et de projets qu’il accueille une audience bien au rendez-vous.

« Nous avons pu accumuler beaucoup d’expérience et devenir le hotspot national que nous sommes aujourd’hui. Cela nous a permis de lancer un bon nombre de projets pilotes. Il y a évidemment des zones grises, et il faut être en mesure de faire des compromis, car travailler uniquement en économie circulaire peut s’avérer difficile pour une commune  », témoigne-t-il.

De l’Hôtel de Ville au campus scolaire, en passant par le quartier – en construction - Wunne mat der Wooltz, les exemples de mise en pratique de concepts - qui restent, pour beaucoup, théoriques – ne manquent pas à Wiltz. Insistant sur l’importance d’inciter le secteur privé, l’enseignement, les autres communes également, à suivre le mouvement, il rappelle qu’il est grand temps « de repenser nos approches pour que cela vaille encore la peine pour nos enfants de vivre sur cette planète ».

Zero Carbon Roadmap & Machinery

C’est également avec fierté et en élogiant son travail en faveur de l’économie circulaire, qu’il a invité M. Claude Turmes, ministre de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire, à prendre la parole. « En tant que ministre responsable de l’économie circulaire, avec Franz Fayot et Joëlle Welfring, je tiens à dire que Wiltz mérite sa position de hub sur la carte nationale, voire européenne. D’ici la fin du printemps, nous souhaitons avoir une sécurité de planification sur les 3 années à venir, concernant tout ce que nous attendons encore de Wiltz.  »

Et d’ajouter : « Économiquement, nous sommes très bien positionnés, mais nous portons aussi un sac écologique très lourd. Comment garder cette économie dynamique, tout en faisant diminuer notre impact écologique ? Notre ambition est de réduire d’au moins 55% nos émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Nous avons les objectifs d’efficacité énergétique les plus forts d’Europe. (…) Je suis très reconnaissant envers la commune de Wiltz d’avoir déjà entamé cette voie ».

Énergie, eau, emplois… les défis sont nombreux. Pour la construction également : « nous sommes en train de rédiger, avec Paul Schosseler (Director Sustainable Construction and Circular Economy, ndlr), une Zero Carbon Roadmap pour le secteur de la construction. Nous présenterons un projet définitif en juin ». Le guide de la construction durable est également en phase de finalisation et de nombreux autres projets sont en cours, comme le Zero Carbon Machinery visant à passer toutes les machines à l’électrique pour supprimer les émissions de carbone.

Perspectives européennes

Inviter un spécialiste allemand de l’économie circulaire se nommant Prof. Dr Henning Wilts, à Wiltz, cela ne s’invente pas. Avec 14 ans d’expérience dans le secteur, il dirige actuellement le département d’économie circulaire du Wuppertal Institut.

Limites planétaires, espèces en voie d’extinction, dépendance énergétique, objectifs de durabilité des Nations unies… Le constat est le même pour lui : « Il n’est plus possible de continuer comme jusqu’à présent ». Il en est persuadé, « la neutralité climatique ne fonctionnera que dans le cadre d’une économie circulaire » et « l’économie circulaire nous donne l’opportunité de devenir plus autonomes ».

À l’échelle européenne – l’Union misant également sur l’EC -, on estime à 640 milliards d’euros le potentiel d’économies en passant à un mode circulaire. Mais les défis sont de taille et touchent à beaucoup de domaines. Par exemple, l’emploi : + 1,2 million de nouveaux emplois avec l’EC, et un chômage réduit de 250.000. Cela signifie évidemment que de nombreuses personnes devront changer d’emplois et acquérir de nouvelles qualifications.

Toujours en Europe, actuellement, seuls 12% des matières premières utilisées dans la production, sont des matières secondaires réemployées. Les 88% restants consomment énormément de ressources et d’énergie. Il est possible de faire beaucoup mieux, les Pays-Bas le prouvent. « Ils nous montrent que c’est possible sur base des technologies actuelles, mais il faut mettre des stratégies en œuvre. »

Employer plus de produits recyclables, arrêter l’usage de certains produits dans tous les secteurs, faire de l’eco-design et prolonger la durée de vie des produits sont autant de leviers de changement. La numérisation a aussi son rôle à jouer dans la mise à disposition des passeports digitaux, en veillant à intégrer les particularités régionales, les perspectives consommateurs et PME, à faire interagir les flux d’informations, etc.

Le défi démographique de Wiltz

Patty Koppes, chef de projet en économie circulaire de la Ville de Wiltz, a présenté l’impact énorme attendu par la création de nouveaux quartiers : Wunne mat der Wooltz pourrait accueillir jusqu’à 2.000 habitants, et encore 400 habitants supplémentaires pour le projet Op Heidert. Pour une commune comptant actuellement 8.000 habitants, ces chiffres sont loin d’être négligeables. Parmi les défis : créer des emplois, gérer l’eau potable et les apports énergétiques.

En se développant comme hub circulaire, la commune espère attirer des entreprises actives dans ce même secteur et générer ainsi de nouveaux emplois.

Concernant l’eau, la Ville a calculé un besoin augmenté de 20 millions de litres d’eau potable par an dans un projet de construction classique, pour apporter l’eau nécessaire au futur quartier Op Heidert. En appliquant certains principes de l’économie circulaire, c’est-à-dire dans ce cas précis en ayant recours à l’eau de pluie pour le nettoyage, l’arrosage et les chasses d’eau, la demande en eau potable baisse à 10-11 millions de litres d’eau. « Toute l’eau qui entre dans le système, va également en ressortir. Ce volume de sortie sera le même. Nous menons actuellement un projet pilote de traitement des eaux grises afin de pouvoir les réinsérer dans le circuit. »

Le traitement des eaux usées représente une difficulté supplémentaire, puisque ce volume reste le même qu’il s’agisse d’eau potable ou de pluie. La Ville est en train de mener un projet pilote des eaux grises.

Enfin, pour l’énergie, la production verte et locale sera obligatoire grâce à des panneaux photovoltaïques en toitures et une utilisation qui sera optimisée à l’aide d’un réseau urbain de chauffage interconnecté. Les coûts seront optimisés en investissant massivement et de manière centralisée, au travers d’une coopérative.

Des villes « zéro déchet »

Rassemblant de nombreux acteurs locaux et conscients, les villes ont les conditions idéales pour l’implémentation d’une EC. Elles sont, pour Prof. Dr Wilts, le catalyseur central de l’économie circulaire.

Nous avons déjà communiqué au sujet des Circular Cities sur infogreen.lu, dont Wiltz fait d’ailleurs partie. M. Wilts fait part d’un autre type de villes engagées, les Zero Waste Cities, une initiative européenne rassemblant actuellement environ 400 villes (aucune certifiée au Luxembourg ou en Allemagne à ce jour). « Zéro déchet ? Pas tout à fait, évidemment. Ce n’est pas possible techniquement. Mais on cherche surtout à supprimer le gaspillage. Les villes qui rejoignent cette association s’engagent donc à arrêter l’incinération des déchets. » Les municipalités participantes profitent d’un important soutien, de directives, d’exemples pratiques pour enclencher le processus.

En Allemagne, le processus est enclenché pour la ville de Kiel, ville du nord du pays de 250.000 habitants où de nombreux jeunes sont intéressés par le sujet. Tout un processus participatif a été mis en place pour étudier la faisabilité du projet : « nous avons proposé 6 workshops à la population. Nous attendions 30 personnes et avons eu plus de 200 inscriptions ».

Une démarche encore plus concrète a été lancée à Berlin. Re-Use a pour devise : tant que c’est réparable, on continue à utiliser. Le processus a commencé par des visites de centres de collecte pour évaluer le potentiel de récupération. Implication politique, sensibilisation du grand public avec des stands d’information, intervention marketing… pour aboutir à l’ouverture d’un pop-up store dans un ancien dépôt, afin d’évaluer également les prix que les gens sont prêts à payer pour du matériel de récup’.

« Waste is material without an identity »

Reprenant cette citation de Thomas Rau, architecte et co-auteur de « Material Matters », Patty Koppes insiste sur l’importance de penser les villes comme des banques de matériaux. « Pour cela, nous devons comprendre ce que nous avons, connaître les stocks, les volumes. Le gouvernement a franchi une étape importante en publiant un cadastre national des surfaces commerciales. Cela nous permet de comprendre l’utilisation des surfaces, de voir quels services sont déjà disponibles, par quoi les compléter, etc.  »

Dans les nouvelles constructions, la chef de projet prône une réflexion pour une utilisation intelligente. Par exemple, dans le nouveau campus scolaire, si les éléments de construction massifs sont en béton pour assurer la solidité, les espaces intérieurs peuvent tous être transformés de manière flexible, pour divers usages.

Voilà qui résume cette première partie de la Journée de l’économie circulaire. Les participants ont pu poursuivre leur visite à Wiltz par la découverte du nouveau campus éducatif ou de l’hôtel de ville, deux projets emblématiques. Ils ont ensuite participé à des workshops leur permettant de disposer de plus de connaissance afin de progresser vers la circularité dans leurs communes, entreprises, associations, etc. :

  • Enjeux et opportunités de l’économie circulaire pour l’emploi (animé par SensBox)
  • L’économie du Doughnut mise en pratique dans un scénario concret (animé par le « Circular Innovation Hub »)
  • Business Innovation : défis, opportunités et leviers du secteur privé dans la transition vers une économie circulaire (animé par Luxinnovation)
  • La plus-value de la co-création dans les processus participatifs dans le contexte de l’économie circulaire (animé par Yellow Ball)

Autant d’ateliers inspirants dont déboucheront probablement de nouveaux cas concrets de circularité à présenter lors de la 6e Journée de l’économie circulaire, en 2024.

Marie-Astrid Heyde
Photos : Marie Champlon / Circular Innovation Hub / Ben Majerus

NB : les présentations et la vidéo de la matinée de conférences seront publiées dans les prochains jours sur le site de la Ville de Wiltz.

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Publié le jeudi 27 avril 2023
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