REGEN : impliquer les citoyens dans les projets de régénération urbaine
Environnements naturel et bâti cohabitent depuis les premières constructions humaines érigées il y a des millénaires. Depuis lors, l’impact du bâti sur l’environnement et sur l’Homme n’a cessé de croître, menant à des situations critiques tant pour les ressources naturelles que pour le bien-être des citoyens.
Pour y apporter des solutions concrètes, un projet européen piloté par le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) va mener une série d’initiatives de régénération de quartiers durant les quatre prochaines années. Explications avec Sylvain Kubicki, Lead Research and Innovation Associate au LIST.
Pouvez-vous poser le contexte du projet REGEN ?
Le projet REGEN (REGENeration of neighbourhoods towards a low-carbon, inclusive, and affordable built environment, NDLR) sur la régénération des quartiers est financé par Horizon Europe, en lien avec le partenariat Built4People et New European Bauhaus. Dans ce contexte, nous nous intéressons à des aspects liés à la durabilité, à l’inclusivité, mais aussi à la dimension esthétique. Le New European Bauhaus promeut en effet une certaine qualité architecturale et urbaine dans ce type d’initiatives.
Par ailleurs, nous essayons d’adopter une approche variée entre contextes urbains et contextes ruraux.
Pendant quatre ans, le LIST a pour mission de coordonner une équipe comprenant pas moins de 23 partenaires pour un budget total de 7,5 millions d’euros afin de mener à bien nos développements et nos implémentations concrètes.
REGEN s’applique à quatre écosystèmes « urbains », ou quatre sites démonstrateurs :
- Beckerich, Luxembourg : avec sa connotation rurale mais très innovante, en particulier en matière d’énergie, grâce à sa centrale de génération basée sur la biométhanisation et biomasse et son réseau de chaleur ;
- Laredo, Espagne : une petite ville balnéaire du pays basque, dont le centre-ville pose des problèmes de mobilité notamment pour les populations plus vieillissantes ;
- Milan, Italie : elle fait partie des 100 villes sélectionnées, comme Differdange au Luxembourg, pour la mission des villes climatiquement neutres, avec des objectifs énergétiques, de qualité de l’air et de rénovation urbaine. Nous travaillons sur un petit quartier au sein duquel des bâtiments vont être reconstruits sur base des dernières normes environnementales, et ce, en impliquant les usagers ;
- Dublin, Irlande : un quartier a été sélectionné comme zone de décarbonisation avec l’objectif d’introduire des énergies renouvelables dans la grille énergétique.
Quel rôle jouez-vous, et plus largement le LIST, dans ce projet européen ?
Le rôle du LIST est d’abord un rôle de coordinateur. Nous avons monté et organisé cette collaboration de zéro et rassemblé les différents partenaires. Certains sont des partenaires techniques, d’autres viennent faciliter la fameuse régénération urbaine en support direct aux municipalités. Nous nous appuyons sur des outils informatiques et des outils méthodologiques, que nous appliquons aux différents sites.
Un des points à l’origine de l’idée est l’appel européen visant à impliquer les citoyens dans des démarches participatives pour que ces régénérations urbaines soient non seulement acceptées, qu’elles améliorent le cadre de vie, mais aussi qu’elles permettent d’atteindre des objectifs environnementaux. Nous savons qu’il faut une adhésion forte et qu’il faut aussi vérifier que les bonnes pratiques que nous cherchons à introduire soient maintenues dans le temps. Ce projet vise donc à rendre plus habituelles les pratiques de planification participative et de participation citoyenne.
Au List, cette participation citoyenne a été adressée via un outil informatique, la table tangible MUST, une interface simplifiée qui facilite les échanges entre groupes de citoyens. Cela faisait partie de notre apport initial à ce projet. Nous avions le souhait de promouvoir cette technologie et de lui donner un avenir puisqu’il y a des partenaires industriels dans le consortium qui seraient susceptibles de la développer ou de la transférer plus tard vers le marché.
Ce qui est également important dans la participation du LIST, c’est que nous formalisons le cadre d’évaluation environnementale, économique et sociale de l’application des diverses interventions. Nos travaux sur l’analyse du cycle de vie (ACV) sont portés à l’échelle du quartier grâce à cette approche holistique.
Parmi les sites concernés se trouve la commune de Beckerich. Que va-t-il s’y passer et qui va y contribuer ?
À Beckerich, nous démarrons par une collecte de données, notamment sur base du Géoportail et des données satellites de Copernicus, pour pouvoir mettre en place des outils et établir les premiers diagnostics. Nous visons ici la mise en œuvre d’un jumeau numérique. Par après, cet outil nous permettra d’effectuer un certain nombre d’analyses, mais aussi de mettre des informations à disposition des citoyens dans des démarches participatives et des workshops.
Pour l’instant, deux sujets distincts sont traités à Beckerich :
- D’une part l’énergie, et en particulier l’efficacité énergétique des bâtiments : faciliter et accélérer leur rénovation pour améliorer la qualité de vie des occupants (réduction des coûts énergétiques), ce qui requiert de sensibiliser les citoyens, par exemple aux subsides en support de leurs projets de rénovation. Cela va de pair avec l’amélioration de l’efficacité du réseau de chaleur urbain – qui est déjà très avancé, et même un modèle du genre.
- Le deuxième sujet est celui de la circularité. Aujourd’hui, nous savons qu’il manque des maillons dans la chaîne de valeur, il manque notamment des endroits de stockage, même si tout cela évolue très rapidement au Luxembourg. L’idée avec REGEN n’est donc pas de déconstruire un bâtiment particulier, mais plutôt d’étudier les typologies de bâtiments existants, que ce soit des bâtiments publics, écoles ou des bâtiments privés et d’analyser le potentiel de ressources réutilisables, recyclables, afin de créer ce concept de mine urbaine. Pour cela, il faut non seulement améliorer les pratiques des professionnels, mais il faut aussi une certaine compréhension de tout un chacun, une adhésion de la population au concept. C’est cela que nous visons à partir d’exemples, de simulations, dans un cadre de participation citoyenne médiatisée par nos outils, tels que MUST.
Au Luxembourg, dans le projet REGEN, nous avons un écosystème qui est formé d’acteurs nous permettant de répondre à ces questions. À Beckerich, la municipalité elle-même est techniquement impliquée.
Il y a également The Impact Lab, une société luxembourgeoise de consultance, notamment en participation citoyenne, qui a de nombreuses références ici sur le territoire.
Le bureau d’ingénierie Schroeder et Associés fait aussi partie de l’équipe. Il a déjà été impliqué dans des projets de recherche antérieurs, notamment pour son expertise en circularité, déconstruction et réutilisation des matériaux.
Et enfin le LISER, qui intervient sur les aspects plus sociaux de cette transition environnementale pour faire émerger et tester des nouvelles habitudes comme des nouvelles pratiques, et voir comment elles peuvent durer dans le temps, avec des méthodes scientifiques.
À Milan, nous allons travailler sur des solutions fondées sur la nature, en s’appuyant sur un outil du LIST qui s’appelle NBenefit$ et qui permet de réaliser des simulations et l’évaluation de l’intérêt de solutions fondées sur la nature. Cela pourrait être appliqué à Beckerich également, mais il n’y a pas encore d’éléments concrets sur ce sujet.
Pour tous les projets que nous menons, nous avons un objectif de réplicabilité. Nous ne pouvons pas traiter le sujet à l’unique échelle d’ un quartier ou d’une commune sans prendre aussi en compte l’échelle nationale ou même de la Grande Région. C’est pourquoi nous tenterons de mesurer les impacts possibles de nos interventions locales à une échelle plus globale, dans la lignée des trajectoires de décarbonisation développée dans la consultation Luxembourg in Transition.
Sustainable Places 2024
Du 23 au 25 septembre, le LIST organise un cycle de conférences sur tous les sujets traités par la communauté européenne de recherche et d’innovation dans l’environnement bâti. À cette occasion, l’institut luxembourgeois fera une démonstration de son outil MUST et fera état de l’avancement de REGEN, ainsi que de nombreux autres projets.
Un stand regroupera les projets financés dans le partenariat Built4People, dont fait partie REGEN.
Plus d’informations : sustainableplaces.eu
Marie-Astrid Heyde
Illustration principale : REGEN