Vers une stratégie cohérente pour le logement au Luxembourg

Vers une stratégie cohérente pour le logement au Luxembourg

Le Luxembourg fait face à une crise du logement accentuée par une croissance démographique rapide et une offre de logements abordables insuffisante. Les terrains disponibles sont mal exploités, souvent vendus sans vision à long terme, et les inégalités dans l’accès au logement se creusent.

Les ministres Claude Meisch (Logement et Aménagement du territoire) et Max Hahn (Famille, Solidarités, Vivre ensemble et Accueil) étaient présents cette semaine au Forum Campus Geesseknäppchen pour célébrer les 15 ans de la Fondation pour l’Accès au Logement afin d’aborder la question des logements abordables, les initiatives visant à optimiser l’utilisation des ressources foncières et à diversifier l’offre de logements tout en mettant en lumière les défis institutionnels et économiques.

Depuis 2009, la Fondation s’est imposée comme un acteur clé face à la crise du logement, gérant aujourd’hui près de 700 logements sociaux, collaborant avec 57 communes et employant 52 salariés.

Durant cette journée d’anniversaire, des experts nationaux et internationaux ont enrichi les réflexions. On peut citer Jean-Michel Campanella(assistant social au Centre psycho-social et d’accompagnement scolaires - (CePAS)) qui a rappelé le rôle essentiel de la défense des locataires au Luxembourg, où moins de 3% des logements sont sociaux, le Dr. Gerlinde Gutheil-Knopp-Kirchwald (Fédération autrichienne des associations de logement à but lucratif) qui a partagé le modèle autrichien, reconnu pour sa pérennité, et Laurent Ghekiere (Directeur affaires européennes et rayonnement international à l’Union sociale pour l’habitat, Président de l’Observatoire européen du logement de Housing Europe) qui a expliqué les politiques françaises pour maintenir un parc de logements sociaux durable.

En dernière partie, un atelier prospectif, modéré par Magali De Rocco, a permis de créer des visions inspirantes pour le logement en 2040. Ces idées, présentées aux ministres Claude Meisch et Max Hahn, ont été accueillies positivement dans un échange ouvert et constructif. En voici les grands points.

Implication des propriétaires privés :

Les propriétaires pourraient être incités à vendre ou louer leurs terrains à l’État pour des projets spécifiques comme les logements sociaux ou alternatifs. Cela nécessite des incitations fiscales attractives et des modèles juridiques adaptés pour encourager la participation au bien commun.

Claude Meisch a suggéré la création d’un registre des logements vacants couplé à une taxation sur les biens inoccupés. « Cette taxe pourrait être modulée selon la durée d’inoccupation et les avantages fiscaux du propriétaire. L’objectif est d’encourager la mise sur le marché des logements inutilisés sans pénaliser inutilement. »

La durabilité est essentielle, incluant la rénovation et la densification des structures existantes. « Les bâtiments inutilisés représentent un gaspillage énergétique et matériel important », a poursuivi Max Hahn. « Une meilleure utilisation des ressources bâties contribuerait à réduire les émissions de CO2 tout en répondant aux besoins en logements. »

Gestion proactive des terrains publics

Les terrains publics inutilisés pourraient être mobilisés pour des projets de logement. Des outils comme le droit de préemption ou des incitations à la vente/à louer des terrains privés pourraient renforcer cette approche.

Gilles Hempel, directeur de la Fondation pour l’Accès au Logement et modérateur du débat, a mis en avant les efforts déployés par la ville de Vienne. « 66% des nouveaux projets sont dédiés à des logements abordables. Cela démontre qu’une réglementation adaptée peut limiter la spéculation foncière et augmenter l’offre de logements accessibles. » Une version luxembourgeoise pourrait imposer 20-30% de logements abordables dans les nouveaux développements.

Le succès repose sur une collaboration entre les gouvernements locaux, les promoteurs, les associations et les citoyens. Il est crucial de sensibiliser les parties prenantes sur l’importance collective de résoudre la crise du logement.

Absence de stratégie publique claire

L’État n’a pas adopté de planification à long terme pour constituer des réserves foncières. Les terrains disponibles sont souvent vendus en réponse à des besoins immédiats, compromettant leur utilisation stratégique future.

Même avec des terrains publics, les projets initiés par les autorités sont ralentis par des procédures complexes. Il est nécessaire d’élaborer une stratégie gouvernementale efficace pour gérer et diriger le développement urbain tout en respectant les priorités économiques, sociales et environnementales.


« La taxation sur les friches ou les biens inoccupés est perçue comme une solution partielle. Une meilleure approche serait d’accroître les investissements publics dans l’acquisition de terrains pour un contrôle stratégique. »

Claude Meisch, ministre du Logement et de l’Aménagement du territoire

Gestion locative sociale

Ce modèle permet de proposer des logements abordables tout en assurant un accompagnement social des locataires. Il est indispensable de doter les acteurs impliqués des moyens nécessaires pour maintenir ce système viable.

Les Ministres ont été invités à se plonger dans un scénario virtuel se déroulant en 2040, où une majorité de la population est exclue du marché immobilier luxembourgeois, contrôlé par une minorité. Des mesures urgentes sont nécessaires pour garantir que le logement ne soit pas un luxe, mais un droit accessible à tous.

Une utopie ? L’avenir nous le dira

Afin de l’anticiper, il est important de mettre des mesures en place. Un scénario prospectif envisage notamment un Luxembourg où 65% des propriétaires participeraient activement à la rénovation et à la mise sur le marché de logements vacants grâce à des incitations fiscales. Les ressources ainsi générées pourraient être réinvesties dans des projets similaires pour élargir l’offre de logements.

La crise du logement au Luxembourg nécessite une stratégie ambitieuse et coordonnée. Cela inclut :

  • Une gestion proactive des terrains publics,
  • Des politiques fiscales incitant les propriétaires privés à collaborer,
  • L’adoption de modèles éprouvés, comme la gestion locative sociale,
  • Une coopération renforcée entre les différents acteurs pour répondre aux besoins collectifs.

Les solutions doivent être adaptées au contexte luxembourgeois tout en s’inspirant des réussites internationales. Le logement doit être conçu comme un droit fondamental, soutenu par des politiques visionnaires favorisant l’accessibilité et la durabilité.

Logements sociaux : un pilier essentiel

Le logement social joue un rôle clé pour stabiliser les populations les plus vulnérables, comme celles confrontées à des accidents de vie ou à l’exclusion sociale. Cependant, ces quartiers sont souvent stigmatisés, ce qui limite leur acceptabilité dans certaines communes. Pour résoudre ce problème, il faudrait :

  • Renforcer les agences sociales, comme les gestionnaires de logements sociaux (GLS), qui aident les personnes en difficulté à retrouver une autonomie sociale et économique,
  • Augmenter les investissements dans les logements subventionnés et les services d’accompagnement social,
  • Étendre les programmes sur plusieurs années pour répondre aux besoins croissants.

Malgré les progrès, éradiquer le sans-abrisme d’ici 2030 reste un défi ambitieux. Offrir un toit ne suffit pas : il faut accompagner les individus vers une autonomie durable grâce à des services adaptés.

Protéger les locataires : un enjeu crucial

La protection des locataires est une priorité, mais les ressources dédiées à cette mission sont insuffisantes. Le service actuel manque d’expertise juridique et de moyens pour répondre aux abus dont les locataires sont souvent victimes.

Pour améliorer la situation, les pistes incluent :

  • Renforcer la protection des locataires comme un service public essentiel, potentiellement géré par des organisations spécialisées financées par l’État,
  • Développer des services de conseil et de médiation similaires à ceux de Vienne, en Autriche, pour informer les locataires de leurs droits et les accompagner en cas de litige,
  • Sensibiliser les propriétaires pour encourager des pratiques éthiques et équilibrées.

Réinventer le marché locatif

Le Luxembourg doit encourager la location, encore perçue comme une solution transitoire face à une culture immobilière centrée sur la propriété. Cela nécessite :

  • Des incitations fiscales pour les investisseurs institutionnels et privés, afin de développer un marché locatif accessible,
  • Une réflexion sur le plafonnement des loyers, bien que cela doive équilibrer les intérêts des propriétaires et des locataires,
  • Une offre locative diversifiée et adaptée aux besoins des jeunes générations, qui privilégient souvent la location à la propriété.

Gestion foncière et logements alternatifs

La mobilisation des terrains publics et privés est essentielle pour accroître l’offre de logements :

  • Acquisition de terrains stratégiques par l’État pour un contrôle plus direct du développement urbain,
  • Encourager les propriétaires de grands terrains inutilisés à participer à des projets de logement par des partenariats public-privé ou des incitations fiscales,
  • Explorer des solutions innovantes comme les logements modulaires, rapidement déployables sur des terrains disponibles et inutilisés à court terme.

Un modèle inclusif et durable

Des exemples internationaux, comme celui de Vienne, montrent que des politiques ambitieuses, basées sur des quotas de logements abordables dans chaque nouveau projet, peuvent limiter la spéculation et favoriser une offre équilibrée. Inspiré de ces modèles, le Luxembourg pourrait :

  • Imposer des quotas de 20-30 % de logements abordables dans les nouveaux développements,
  • Soutenir des initiatives comme les coopératives ou la colocation intergénérationnelle pour diversifier l’offre,
  • Renforcer les structures existantes, comme les GLS, pour maximiser leur impact et répondre aux besoins croissants.

Inclure les populations vulnérables

Les réfugiés et autres populations marginalisées doivent être intégrés dès leur arrivée au Luxembourg. Cette période d’attente peut être utilisée pour :

  • Former ces individus par l’apprentissage des langues ou des compétences professionnelles.
  • Faciliter leur intégration économique et sociale en collaboration avec les structures d’accueil et les employeurs.

Sensibilisation et coordination collective

La réussite de ces initiatives repose sur une prise de conscience collective et une collaboration entre les gouvernements, les municipalités, les associations et les citoyens. Faire du logement une priorité nationale implique une coordination accrue entre tous les niveaux.

Construire un avenir inclusif

Le Luxembourg doit adopter une approche proactive et innovante pour garantir un logement accessible à tous. Cela passe par une gestion stratégique des ressources foncières, un renforcement des droits des locataires et un soutien accru aux populations vulnérables. Avec des politiques bien conçues et une coopération entre les acteurs, il est possible de bâtir une société où chacun peut se loger dignement et prospérer.

Sébastien Yernaux

Article
Publié le vendredi 29 novembre 2024
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