« Viens « chez moi », je n'y suis pas ! »

« Viens « chez moi », je n’y suis pas ! »

Fondation IDEA - Série « Monde du partage ou partage du monde ? » – Hébergement (1/4)

À en croire Sénèque, « un bien n’est agréable que si on le partage ». Cet adage résonne particulièrement à l’heure où l’économie du partage est aussi médiatiquement promue ou crainte qu’économiquement balbutiante.

Consommation collaborative, économie collaborative, consommation basée sur l’accès, économie du partage, économie à la demande, Gig economy, économie de louage, capitalisme de plateforme… La taxinomie est riche pour désigner ces modèles économiques couvrant des biens et services comme des modalités d’échange aussi multiples que familiers, dont la nouveauté réside sans surprise dans les outils numériques, qui ont changé la vitesse et l’échelle des échanges. L’avènement des plateformes a ainsi décuplé les opportunités de rencontre, (quasi) immédiate, entre offre et demande, avec des coûts d’information et de coordination réduits, créant ou ouvrant ainsi des marchés. Cependant, les contours de l’économie du partage suscitent encore des désaccords conceptuels donc comptables sur son poids actuel (très limité rapporté au PIB a priori), ce qui n’augure en rien de son poids futur. L’avenir étant difficilement prédictible, restons dans le réel. Aujourd’hui, on partage pour l’essentiel (un peu) de son temps et de ses compétences, son logement, sa voiture et ses trajets ou encore son argent sur des plateformes.

Explorant ces pratiques qui suscitent engouement et controverses, IDEA a élaboré une série de 4 contributions, intitulée « Monde du partage ou partage du monde ? ». Elles offrent plusieurs angles de vue sur la réalité de l’économie du partage au Luxembourg dont le premier volet sera celui de l’hébergement : « Viens « chez moi », je n’y suis pas ! ».

Si l’impact des plateformes d’hébergement de courte durée sur l’hôtellerie comme l’immobilier locatif de longue durée divise, le Luxembourg semble, pour l’heure, assez faiblement exposé aux déboires comme au fait des opportunités.

Sans prétendre à l’exhaustivité, quelques raisons « simples » peuvent être invoquées.

D’une part, l’offre est limitée. Au Luxembourg, on partage encore difficilement « sa maison » (goût de la propriété, caractère rural, sous occupation, réticences quant à la colocation, rareté, absence de besoin de complément de revenus etc.). Ainsi la plateforme Airbnb – pour ne citer qu’elle – comptabilise environ 700 offres soit 8 % rapportés à la capacité d’hébergement de courte durée totale du pays, contre plus de 50 % à Paris par exemple.

D’autre part, le Grand-Duché est encore majoritairement une destination de tourisme d’affaires avec une clientèle sensible à l’efficacité, le confort, la disponibilité du personnel de service, l’intimité voire « l’anonymat » – autant de qualités prêtées à l’hôtellerie traditionnelle. Avec 2/3 des nuitées qui y sont liées, l’hôtellerie dépend fortement de la santé économique du pays, pour l’heure, florissante et affiche donc un bilan encourageant au regard de la progression des indicateurs clés de la performance hôtelière (nombre de nuitées, taux d’occupation ou « average day rate »), bien qu’il n’échappe pas à certaines difficultés (moindre résistance des « petites » structures (rentabilité, succession, classification, etc.)).

Mais gare à l’excès d’optimisme ou au déni imprudent. Comme celle de l’hôtellerie, la « santé » de l’immobilier locatif, déjà en relative surchauffe, devra être régulièrement auscultée à l’aune du développement de l’offre de « logements entiers » sur les plateformes. Avec l’arrivée de sites de conciergerie qui professionnalisent la location de courte durée susceptible d’assurer un meilleur rendement, il conviendra de rester vigilant et réactif afin d’éviter une raréfaction de l’offre de logements disponibles pour une occupation plus pérenne.

D’un point de vue juridique, s’il est inexact de considérer que les particuliers qui proposent un hébergement à la location sur une plateforme œuvrent en dehors de tout cadre légal au Luxembourg (oui, les revenus générés doivent être déclarés à l’ACD), il peut sembler déconstruit (frontières entre professionnels et amateurs au regard des cotisations sociales, protection de l’utilisateur, rôle des autorités communales etc.).

Chez les voisins, les autorités ont adopté des attitudes divergentes pouvant s’expliquer par des degrés d’exposition différents à « la disruption ». Mais certaines ont aussi su anticiper, se préservant de situations catastrophiques comme de décisions hâtives. Ainsi, la municipalité d’Amsterdam a très tôt ouvert les discussions avec toutes les parties prenantes pour co-définir un cadre et contenir les dérives éventuelles. Au Luxembourg, la recherche du consensus, la proximité des décideurs, l’interconnaissance et la diversité du pays comme la résilience de son économie semblent opportunes pour mettre en œuvre cette approche coopérative (« shared regulation »).

À bon entendeur, dodo.

Source : Fondation IDEA - www.fondation-idea.lu

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Publié le vendredi 16 juin 2017
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