Bientôt un Äerdschëff au Luxembourg !
Quand les projets de construction s’inspirent de la nature, cela donne des bâtiments autosuffisants, dont les fonctions sont multiples et dont l’aspect communautaire est central, à l’image du Äerdschëff qui verra bientôt le jour à Redange-sur-Attert.
C’est dans un esprit de co-création et en tant que membre du groupe de pilotage que Johanna Jacob aide à la réalisation de ce projet porté par le CELL – Centre for Ecological Learning Luxembourg. Cette jeune Ecosocial Designer a complété sa formation en architecture par un Post-Master européen en urbanisme et planification stratégique des villes et des territoires, puis par une formation sur l’aménagement du territoire à l’université de Luxembourg suivie récemment par des cours de design en permaculture. C’est en mai 2016 qu’elle découvre le projet ambitieux du Äerdschëff et rejoint l’équipe du CELL comme bénévole. Quelques mois plus tard, elle fonde Common Paradox, une structure « pluridisciplinaire, à géométrie variable » qui a pour vocation de réunir, autour de l’équipe classique d’architectes, urbanistes et designers, des professionnels avec des backgrounds différents (anthropologues, biologistes, spécialistes en communication, etc.) afin de relever les défis complexes qui sont aujourd’hui les nôtres en matière de bâtiments et d’aménagement du territoire. « Une action, un objet ou une plante n’ont jamais un seul effet ou un seul objectif. Un plant d’haricots, par exemple, n’est pas uniquement un aliment, il a également la capacité de fixer l’azote et il peut aussi procurer de l’ombre pour les plantes qui en auraient besoin. Cela s’appelle des services écosystémiques : la végétation, en général, permet de réguler la température, la luminosité et les courants d’air, de nombreuses plantes filtrent également l’air et/ou l’eau. C’est incroyable tout ce que la nature est capable de faire », dit-elle. « Et, il en est de même pour les animaux et l’être humain, car nous faisons partie de cette nature que nous observons ! Cela s’applique donc pour les différents acteurs de l’aménagement du territoire ou de la construction : population, politiques, entreprises, administrations, etc. Il est important de prendre en compte la pluralité des rôles et des impacts que chacun des acteurs a sur un projet, afin de répondre au mieux aux enjeux environnementaux et sociétaux », ajoute-t-elle. Cette approche écosystémique est commune à Common Paradox et au projet Äerdschëff.
Qu’est-ce qu’un Äerdschëff ?
Äerdschëff est la traduction luxembourgeoise de Earthship, un concept développé par Mike Reynolds, dans les années 70 dans le désert de Taos, aux États-Unis. Il s’agit d’un bâtiment qui produit et gère ses propres ressources pour satisfaire les besoins de ses utilisateurs de manière résiliente et durable. Autonome en eau, en énergie, en nourriture et capable de gérer ses déchets et ses eaux usées, il est un « véritable être vivant qui doit répondre à différents besoins et proposer plusieurs services ». Une autre facette de ce type de projets est d’utiliser des matériaux naturels et/ou recyclés pour sa fabrication dans un esprit d’économie circulaire, ainsi que des énergies propres comme celle produite par le vent et le soleil et de l’eau de pluie pour son fonctionnement et pour la production de nourriture. Bien que 2 de ses membres aient contribué à la construction d’un Earthship au Nouveau Mexique pour en comprendre parfaitement le fonctionnement, l’idée du CELL n’était pas de reproduire à l’identique le concept mais de l’adapter au contexte luxembourgeois et à ses conditions climatiques. Notre Earthship local, rebaptisé Äerdschëff, sera donc construit dans la commune de Redange sur le site du lycée Atert avec une structure poteaux-poutres en bois local. Le bâtiment s’intègre dans le dénivelé naturel du site et est enterré sur toute sa façade côté nord, composée de pneus usagés remplis de terre (pour l’inertie thermique) et recouverts d’un pare-vapeur afin d’éviter tout contact avec l’eau. La partie orientée sud est une serre dont le vitrage est récupéré auprès d’une entreprise luxembourgeoise qui a décidé de rénover son bâtiment. La température y sera telle qu’on pourra y cultiver toute l’année, et parmi une palette variée de fruits et légumes telle que des fruits exotiques comme des bananes, mangues ou kiwis. Ces aliments seront pour la plupart cuisinés sur place pour les personnes présentes. Le surplus sera vendu. Une des idées qui a émergé du groupe de travail serait de tisser des partenariats avec des maraîchers locaux pour compléter leur offre de paniers. Le chantier de construction sera participatif, réalisé dans la mesure du possible sans machine et par des bénévoles internationaux et locaux. Le système constructif se veut donc le plus simple possible. Toutes les personnes volontaires sont invitées à y participer dans un but social d’échange et de partage de connaissances et de techniques. Pour les phases qui requièrent un matériel ou une technique spécifique, les entreprises locales seront sollicitées. Depuis les années 70, les Earthships sont conçus comme des habitations unifamiliales. Le Äerdschëff sera un véritable laboratoire vivant de la transition sociale et écologique en espace rural, en particulier des matériaux et de l’habitat. Sur le modèle luxembourgeois, tout sera en place pour que des personnes puissent dormir dans le Äerdschëff, mais il sera public et sa fonction principale sera d’accueillir des conférences, workshops, cours et séminaires de sensibilisation et d’éducation à la nature, à la place de l’Homme dans notre biosphère, à la permaculture ou à l’urban farming. Les premiers à en bénéficier seront les élèves du lycée adjacent. « La dimension sociale et le rôle éducatif sont très importants, d’où l’intérêt de la proximité du lycée », souligne Johanna Jacob, « le plus gros challenge est d’abord de « désapprendre » car on fait beaucoup par habitude, on ne remet plus les choses en question. Lorsqu’on prend conscience de l’impact qu’on a sur l’environnement et sur la société, se poser les bonnes questions est primordial. Alors on peut « ré-apprendre » avec bon sens, en s’inspirant de la nature ». Une communauté a été créée autour du projet sous la forme d’un groupe de pilotage qui se réunit tous les 15 jours et qui implique notamment le directeur et des enseignants du lycée Atert, ainsi qu’une dizaine d’autres personnes avec des compétences très diverses liées ou non aux techniques du bâtiment. « Chacun apporte ce qu’il sait au moment opportun pour le bénéfice du projet et de la communauté », conclut l’architecte-designer du groupe.
Mélanie Trélat
Source : NEOMAG
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